Chroniques des pilotes de syucamechos

Solitude

13 juillet 2345

Le travail de la section RC peut se décomposer en trois grandes étapes. D'abord, un long travail d'observation sans interaction pour connaître tous les aspects de la Colonie Perdue, depuis les plus évidents jusqu'au plus subtils. Ce travail fastidieux est indispensable pour la seconde étape : l'infiltration d'agents capables de se faire passer pour des locaux. Ces derniers vont à la fois observer et influencer la civilisation concernée. Enfin, la dernière étape consiste à rendre public la civilisation galactique au grand nombre, et l'intégration progressive dans celle-ci.

Encyclopedia Galactica, édition 2867

Cela faisait désormais trois semaines que Lexan était arrivé sur Astafold III, et même s'il refusait de se l'avouer, il ne souhaitait déjà plus qu'une seule chose : repartir au plus vite. Il savait avant de venir que cette planète ne correspondait pas à sa spécialité et que son exil ici était en fait une subtile punition. Mais la réalité était encore pire que ce qu'il avait prévu. Son supérieur local était une imbécile bornée et sa mission n'était même pas une infiltration, catégorie qui était pourtant sa spécialité. Il avait vite découvert que la civilisation locale avait déjà été recontactée, quelques années plus tôt. Sa mission rentrait donc dans le cadre de la dernière phase : la transition d'Astafold III du statut de planète isolée politiquement à celui membre à part entière de l'Empire.

Il n'avait en principe rien contre l'idée d'une telle mission qui l'aurait changé de ses habitudes. Mais il ne comprenait pas comment la section RC avait pu déclarer une planète de niveau technologique II-0 prête pour retrouver la civilisation galactique. Le niveau de technologie était bien trop bas, la pauvreté omniprésente, et la xénophobie rampante. La population comme les dirigeants considérait tous les galactiques comme des envahisseurs, et toutes les aides qu'on avait tenté de leur donner comme une forme de corruption. C'est-à-dire que certains refusaient, outrés, tandis que d'autres y voyaient uniquement un moyen de devenir plus influents et riches que leurs rivaux. Il y avait anguille sous roche, mais Lexan n'avait encore aucune piste pour comprendre dans quoi il était tombé. Il ne pouvait qu'accomplir sa mission, aussi vague que soit les instructions du commandant So'Patil.

Pour compléter le tableau, le climat était effroyable dans la zone géographique où il devait travailler : il faisait plus de 40° à l'ombre, et l'humidité était omniprésente. L'hygiène fort rudimentaire des habitants souvent réduits à la misère n'améliorait pas la situation. Il avait bien activé ses nanoniques et diverses améliorations génétiques qui l'aidaient à endurer tout ceci, mais même avec ces atouts, c'était encore insuffisant.

— Je cherche la maison de M. Tegenyl. Pouvez-vous m'indiquer le chemin ?

Les trois premiers habitants l'ignorèrent, tandis que le quatrième lui indiqua vaguement une direction, sans lâcher un mot. La couleur de sa peau était déjà un désavantage, mais dès qu'il ouvrait la bouche, c'était encore pire, et on le traitait systématiquement comme un intrus. Chaque patelin semblait avoir un accent totalement différent, et il n'avait pu apprendre que celui de la capitale dans le court laps de temps qu'il avait pu y accorder. Son ami Felis aurait été dans son élément ici, ayant une peau aussi noire qu'eux, le même genre de traits, un don pour les langues, et une passion pour ce genre de monde. Mais on avait réussi à lui confier la mission la plus pourrie possible : bancale, désagréable et très éloignée de ses compétences et ses préférences. Et bien sur, il ne pouvait rien y dire. Il pouvait déjà s'estimer heureux de pouvoir travailler seul, sans chaperon dans un syuk furtif pour noter tout ce qu'il faisait. Enfin, il espérait que ce soit le cas.

Espérant être sur la bonne route, il continua à avancer, même si le terrain était de plus en plus difficile. Les routes carrossables du coin étaient un nid d'ornières, ou l'on conduisait ni à gauche, ni à droite, mais du côté de la route avec le moins de nids de poule. Quand les chariots et les voitures diesel importées ne roulaient pas tout simplement sur le bas côté. La rue du village où il progressait, quant à elle, méritait à peine ce nom. C'était un vague chemin serpentant entre les maisons, et montant ou descendant au gré de la pente. Il avait souvent bien du mal à distinguer chemin public et chemin privé, s'attirant un peu plus l'hostilité et la méfiance des habitants.

Il finit par enfin arriver devant une maison un peu plus prospère que les autres, ou un panneau écrit à la main indiquait le nom de son contact.

— M. Tegenyl ? Vous êtes là ? demanda-t-il en frappant à la porte.

Pendant plusieurs minutes, seul le silence répondit et ses appels, et il s'apprêtait à partir quand la porte s'ouvrit en grinçant.

— Entrez, et par tous les Anges, cessez donc de hurler.

Il faisait sombre à l'intérieur de la maison, sans fenêtre ni éclairage digne de ce nom, et la pièce était encombrée de tout un bric-à-brac entre des meubles poussiéreux. C'était l'entrée typique d'une maison locale, et Lexan commençait à en avoir l'habitude. Ce qui ne l'exemptait pas d'avancer lentement en faisant attention à ne pas se cogner contre quelque chose. Une fois cheminé entre les piles d'objets à l'utilité inconnue, il arriva dans une autre pièce, ou plusieurs canapés fatigués entourait une table basse en bois.

— Installez-vous, je vous apporte le thé.

Le thé, où plus exactement, la boisson locale qui en tenait lieu, était ici une véritable institution. Impossible d'aller chez quelqu'un, ou même d'échanger quelques mots avec lui, sans qu'une tasse de ce breuvage corsé et brulant ne soit offert. Et il était important de l'accepter, puis de la boire, ni trop vite, ni trop lentement. Tout comportement autre était, au mieux une impolitesse flagrante, au pire une injure mortelle.

Quelques instants, plus tard, le nommé Tegenyl revint avec un plateau et servit son hôte. De taille moyenne, il n'en avait pas moins une stature carrée qui trahissait une force physique respectable. Et vu son métier, il devait également être plus intelligent qu'il ne voulait bien le montrer. Les deux hommes burent le thé, échangeant quelques banalités. Puis, cette étape franchie, ils abordèrent la raison de leur rencontre.

— Mes informateurs m'ont dit que vous étiez le meilleur guide possible pour aller dans la jungle de Tchawi. Et que cela ne vous gênerait pas de travailler pour un Galactique.

— Ils ont raison sur un point. Personne de vivant ne connaît aussi bien que moi ces montagnes. Mais travailler avec vous autres Galactiques, c'est une autre histoire. Je n'apprécie pas plus que n'importe lequel de mes compatriotes votre ingérence dans les affaires de notre planète. Je sais que mon frère a travaillé avec les Galactiques, mais j'ai du mal à voir ce qui me pousserait à vous aider, moi, de quelconque façon que ce soit.

Il avait parlé avec fermeté, mais Lexan n'était pas dupe. S'il ne voulait vraiment pas avoir affaire avec les Galactiques, il ne l'aurait même pas laissé entrer chez lui. Il aurait même probablement tiré sur l'intrus, comme cela arrivait de temps à autre aux agents de la section RC. C'était donc un autre message qu'il voulait faire passer.

— Je comprends bien vos réticences à me louer vos services et les inconvénients que vous pourriez subir par la suite. C'est pour cela que nous avons prévu une rémunération tout à fait à la hauteur de ces éléments.

— Vraiment ?

Lexan cita un chiffre en monnaie locale, en précisant que la même somme serait versée après l'exécution du contrat. Tegenyl essaya de rester impassible, mais Lexan vit que ce dernier était surpris, même sans utiliser ses senseurs pour suivre ses paramètres biologiques.

— Nous savons être très généreux envers les personnes qui offrent des compétences uniques.

— C'est ce que je constate. Malgré tout, je préfèrerai que les choses se déroulent dans la plus grande discrétion. Je prends des risques en vous aidant.

— Naturellement. Personne ne saura que vous avez accepté notre offre. Et personne ne nous verra partir ensemble dans la jungle de Tchawi. Mais j'ai du mal à comprendre toute l'hostilité des gens de cette planète envers nous.

L'homme ricana, puis repris la parole.

— Vous attendiez à quoi ? Des étrangers débarquent des étoiles, promettant monts et merveilles, et par-dessus le marché, ils nous ressemblent comme deux gouttes d'eau. La méfiance et la paranoïa sont bien naturelles, avec ce genre d'histoire trop belle pour être vrai.

Lexan ne chercha pas à lui expliquer un énième fois leurs intentions, ce serait une perte de temps. Il laissa donc parler son hôte,qui semblait vouloir vider son sac.

— Si je n'avais pas juré à mon frère de continuer son travail au cas où il n'était plus de ce monde, je ne serais probablement pas en train de discuter avec vous. Je n'ai jamais compris sa fascination pour les Galactiques, mais si je veux découvrir la raison de sa mort, je vais devoir vous supporter.

Tegenyl semblait visiblement vouloir justifier ses actions, non pas auprès de Lexan ou des Galactiques, mais pour lui-même. Lexan ne l'écouta pas moins attentivement, la mort mystérieuse du frère de son guide, alors qu'il travaillait pour la section RC étant un autre élément intriguant de sa mission.

— Bref, conclut M. Tegenyl, je vais peut-être faire une exception pour vous. Je vous donnerai ma décision dans trois jours. Ne cherchez pas à revenir ici, ni à me contacter, c'est moi qui le ferait.

— J'ai bien compris vos exigences.

Tegenyl lui servit une nouvelle tasse de thé, qu'ils burent en silence. Puis les deux hommes se séparèrent. Lexan quitta la maison précipitamment, sous les insultes et quelques projectiles. Comédie, bien entendu, destinée aux voisins qui l'avait vu arriver. Il se demanda si ces derniers étaient dupes, ou bien si tout cette comédie était transparente pour tout le monde. Peu importe, elle était indispensable, c'est tout ce qui comptait.

Trois jours plus tard, un gamin lui apporta un message qui, sans surprise, confirmait que M. Tegenyl acceptait de se servir de guide. Il y avait également la date, un point de rendez-vous spécifié, ainsi que des instructions pour y aller discrètement, et le matériel à emporter. Envers et contre tout, la mission de Lexan semblait enfin démarrer.

20 juillet 2345

La différence de niveau technologique entre la communauté galactique et les colonies perdues est souvent immense. Un des points délicats d'un ReContact est donc de bien choisir à quelle allure faire découvrir les technologies inconnues localement, et dans quel ordre. Ces deux paramètres peuvent en outre varier du tout au tout sur chaque monde, en fonction de leurs spécificités.

Encyclopedia Galactica, édition 2867

Appliquant scrupuleusement les instructions de son contact, Lexan se présenta avec la plus grande ponctualité à un croisement entre plusieurs pistes, non loin de l'orée de la jungle de Tchawi. M. Tegenyl était déjà présent, et l'accueillit en grommelant. Vérifiant les bagages de Lexan, il ne trouva rien à y redire, ce qui sembla le contrarier un peu. Ces derniers étaient bien sûr peu nombreux, puisque la plus grande partie de l'expédition se ferait à pied. Aucun véhicule ne pouvait s'aventurer dans la jungle en dehors de quelques rares pistes qui ne faisaient que pénétrer superficiellement cette dernière.

Un gros 4x4 déglingué à moteur diesel, une des rares technologies importées, les attendaient là. Il devait avoir vu plusieurs siècles et des dizaines de propriétaires avant d'échouer sur cette planète primitive. Peu importe, il serait suffisant pour les amener au bout de la piste boueuse et remplie d'obstacles divers. La progression se révéla sans surprise à peine plus rapide que s'ils étaient partis à pied, mais le départ de l'expédition n'en était que plus ordinaire, donc discret : Nul ne pouvait deviner qu'ils allaient s'enfoncer plus profondément dans la jungle que les visiteurs ordinaires.

— Il n'y a pas grand monde par ici, je comprends mieux l'état des pistes.

— Les habitants ne viennent ici que quand ils sont obligés, pour récolter certaines plantes ou chasser certains animaux, qu'on ne trouve que dans la jungle. Et comme il est hors de question de passer la nuit ici, ils ne s'enfoncent jamais très profondément. Il n'est pas rare de faire deux ou trois expéditions pour se procurer quelque chose, les premières servant juste à déblayer la piste.

— Vous redoutez donc tant que ça cette jungle ?

— Oui, nous ne savons que trop bien ce qu'on risque. Certes, il y a au final assez peu de gens qui disparaissent dans la jungle corps et bien. Mais tout monde peut voir ce qui est arrivé aux habitués de la forêt qui se sont attardés un soir : ils sont presque tous devenus fous. Dans le meilleur des cas, ils abandonnent tout ce qu'ils ont pour partir dans une grande ville, le plus loin possible de la jungle.

Tout ceci ressemblait fortement à de nombreuses légendes que Lexan avait rencontrées sur la plupart des colonies perdues, mais il y avait quand même des aspects intrigants. La peur de la jungle semblait ici bien plus profonde, et Lexan n'avait pu identifier aucun groupe, clandestin ou non, se rendant dans la jungle. En règle générale, il y avait toujours un petit nombre d'initiés qui n'avait pas peur et se rendait là où aucun autre habitant n'osait aller : Shamans, contrebandiers, braconniers, leurs buts variaient, mais ils étaient toujours présents, et étaient souvent ceux qui entretenaient les légendes, pour protéger leur gagne-pain. Ils semblaient absents pour cette jungle, ce qui était franchement anormal et très intéressant pour sa mission. Il n'avait aucune idée de ce qu'il allait trouver dans la jungle, mais sa supérieure locale avait jugé extrêmement important qu'il y aille, à peine arrivée sur place. Elle semblait même avoir développé une véritable obsession.

Au bout de quelques heures, ils arrivèrent au bout de la piste, ou tout du moins, de sa partie praticable. Autrefois, elle avait du s'enfoncer plus profondément dans la jungle, mais cette section n'avait pas été entretenue depuis trop longtemps. Lexan, Tegenyl et le porteur, un nommé Bauth, descendirent donc du 4x4, se répartissant les sacs à dos. Un généreux pourboire fut donnée au chauffeur du 4x4, puis ce dernier repartit vers la ville. Le retour allait normalement être plus rapide pour lui, la piste étant déblayée, mais ce serait quand même juste pour lui, s'il voulait rentrer avant la nuit. Les adieux ne se prolongèrent donc pas, et le 4x4 disparut bien avant que les trois hommes restants n'aient fini de se préparer pour la suite du voyage. Le moteur fort bruyant du véhicule fut rapidement un simple souvenir, remplacé par les bruits de la jungle, étranges et impossible à identifier pour Lexan qui venait ici pour la première fois.

— Nous aussi ne devons pas trainer. Nous allons passer la nuit au sommet d'un rocher isolé, où nous devrions être en sécurité relative. Mais si nous traînons en route, nous ne l'atteindront pas à temps.

— Je comprends. Je suppose que vous avez prévu très précisément nos lieux de bivouacs pour cette expédition.

— Oui. Tout du moins pour les premiers jours où on restera en terrain connu. Pour la suite, il faudra improviser, et c'est là que vous ne regretterez pas de m'avoir pris un guide et pas un notre.

— Ils ne connaissent pas aussi bien la forêt ?

— La plupart connaissent bien les alentours des pistes, et un peu plus loin. Trop bien même, jamais ils ne mettraient le pied dans un endroit que quelqu'un d'autre ne leur a pas montré. Tout le savoir sur la jungle se passe ainsi, de personne à personne. Mon défunt frère était le seul cinglé depuis quelques générations à être parti explorerdes zones oubliées de tous, et il m'a laissé de précieux carnets de notes.

Bien sûr, une partie de ce que disait Tegenyl était exagéré, mélange de bravade et de discours commercial. Mais probablement pas tant que ça. Au moins un point sur lequel la section RC locale avait fait son travail et lui avait fourni des informations fiables.

Comme prévu, la nuit tombait quand ils arrivèrent à un grand rocher de vielle pierre volcanique qui se dressait au milieu des arbres. Aucune végétation ne poussait dessus, et la pierre était lisse et glissante, à l'exception d'une section abimé qui faisait un escalier naturel. Enfin, c'était vite dit. C'était essentiellement une zone où on une personne en bonne forme physique pouvait escalader le rocher sans sortir tout la panoplie de l'alpiniste. En quelques minutes les trois hommes furent au sommet, avec une vue splendide sur les alentours. À l'Est, on voyait une succession de collines vallonnées, et, au loin, les villages et les cultures de la plaine mitoyenne. De l'autre côté, le relief était plus tourmenté : de grands massifs de roche sombre, aux formes arrondies, surgissaient ici et là de la jungle épaisse présentant toutes les nuances de vert profond. Même si ces montagnes étaient très anciennes, érodées par des centaines de millions d'années, elles étaient encore majestueuses et difficiles d'accès. Lors de leur jeunesse, ce devait être une chaîne remarquable, parmi les plus hautes des planètes de type M.

Lexan, en raison de tout ce qu'il avait entendu sur cette jungle, s'attendait à voir ou entendre des choses inexplicables durant la nuit. Mais rien d'étrange ne se produisit, et cette première nuit ne fut guère différente d'une nuit de camping ordinaire dans une des réserves naturelles de sa planète natale, les tours de garde en plus. Ses deux compagnons n'en semblait pas moins nerveux, et semblèrent avoir assez mal dormi. Ce qui ne les empêcha pas de partir à l'aube, le temps étant compté à chaque moment dans cette expédition.

La progression était très irrégulière, parfois assez rapide quand ils suivaient des sentes d'animaux, mais le plus souvent très lente en raison de la quantité de plantes prospérant sous la canopée. Elles s'entremêlaient en grands ensembles inextricables, dans lesquelles on trouvait trop souvent des plantes épineuses, ou pire, urticantes. Tout le monde jouait de la machette, mais même cette méthode avait ces limites, certaines lianes étant aussi résistantes que des câbles d'acier. Un bon coup de couteau-laser aurait réglé l'affaire, mais il n'avait pas eu l'autorisation d'utiliser ce genre de technologie galactique trop voyante en dehors des cas d'urgence. Si on y ajoutait le relief, les cours d'eau de taille variée, et les trous dans le sol, cachés par l'humus, il n'était pas étonnant que personne ne vienne ici, avec ou sans superstitions.

La vie animale n'était pas non plus très coopérative, avec une grande quantité d'arthropodes ou de reptiliens venimeux, qui surgissaient toujours au moment où ne les attendait pas. Heureusement, Lexan avait pu emporter avec lui plusieurs antidotes universels à base de nanoniques, qui lui permettraient de soigner ses compagnons si ces derniers faisaient une mauvaise rencontre d'un peu trop près. Ils avaient également repéré plusieurs grands fauves qui leur tournaient autour, n'ayant visiblement pas très peur des hommes. Ce qui était un indice de plus que personne ne venait dans cette jungle, même en secret. Les prédateurs y étaient chez eux, et n'hésiteraient pas à les attaquer s'ils avaient faim ou se sentaient acculés. Au niveau des points positifs, tous les êtres vivants qu'ils avaient croisés semblaient normaux au sein de la biodiversité de la planète. Nulle trace de mutation ou d'autre phénomène étrange qui auraient été causés par un contaminant technologique ou magique. Lexan avait vu dans les bases de données de la section RC les dégâts que pouvait causer certaines choses oubliées de tous sur un écosystème et n'avait aucune envie de les rencontrer en personne.

— La jungle me semble toujours parfaitement normale pour le moment. Déserte, dangereuse et difficilement pénétrable, je suis bien d'accord. Mais j'ai encore du mal à comprendre la peur profonde qu'elle inspire à vos concitoyens.

— Nous avons eu de la chance, en effet. Mais je doute que cela dure encore très longtemps. Cette jungle est dangereuse parce que c'est précisément quand on se relâche que les ennuis commencent.

— Je suis impatient de voir ces ennuis, dit-il par provocation.

M. Tegenyl foudroya du regard Lexan, qui n'insista pas. Ce dernier n'en était pas moins déçu. Avec l'idée d'un mystère à résoudre au fin fond de la jungle, il commençait enfin à trouver un intérêt à cette mission. Mais pour le moment, il n'avait toujours rien à se mettre sous la dent.

— Regardez, dit alors Tegenyl. Cette chose devrait vous intéresser.

Il regarda ce que lui montrait son guide, une masse qu'il avait au début pris pour un gros rocher identique à des dizaines d'autres qu'ils avaient croisés. Sa forme était cependant un peu trop régulière pour être parfaitement naturelle. Il s'en approcha et commença à l'examiner.

— Mmmm... En effet, ce n'est pas du rocher, mais plutôt du béton, ou quelque chose qui s'y apparente.

La vielle ruine était recouverte de végétation et plusieurs racines ou branches de très vieux arbres passaient dessus, dessous, ou dedans. De toute évidence, elle était ici depuis très longtemps. Le béton était en mauvais état, mais si ce bâtiment était aussi vieux qu'il le pensait, ce devait être un matériau haut de gamme, incroyablement résistant, d'une civilisation avancée, au moment de la construction.

— Il y a beaucoup de ruines dans ce genre ?

— J'ai du en croiser une demi-douzaine dans ma vie. Mais feu mon frère m'a confié que plus on s'enfonçait dans la jungle, plus on en trouvait. Et que certaines étaient bien plus grandes. Il pensait trouver une cité.

— Intéressant. Ces ruines sont-elles regroupée à certains endroits ?

— Non. Toujours d'après ce que m'a dit mon frère, elles son toujours isolées, même les plus grandes. Il n'a jamais réussi à trouver la cité qu'il cherchait.

Lexan avait beaucoup de mal à comprendre la présence de cette ruine. Cette jungle était ancienne, très ancienne, il le savait grâce aux études préalables de la section RC. Et si les ruines étaient si souvent isolées, ce n'était pas une simple cité antique qui se cachait sous la jungle, mais quelque chose d'autre.

— Tout ceci date à mon avis des premières années après la colonisation de cette planète. Soit il y a plusieurs dizaines de milliers d'années. Mais je n'ai aucune idée de leur rôle. Celle-ci pourrait aussi bien être une maison de campagne, un fortin militaire ou une gare ferroviaire, à ce que j'en sais. Il va falloir que j'en vois plus.

— Comme vous voudrez. Au point où on en est...

Les trois hommes restèrent quelques heures autour de la ruine, le temps que Lexan  l'examine et la scanne dans tous les sens, et installe quelques capteurs au cas où. Il nota également scrupuleusement ses coordonnées et laissa des balises. Pour le moment, aucune interférence n'avait perturbé ses travaux cartographiques, mais il ne serait pas surpris si ce genre de petite plaisanterie survenait. Il n'avait encore jamais vécu ce genre de phénomène dans ces missions, mais plusieurs de ses amis lui avait raconté avec force détails ce qui leur était arrivé quand les lieux qu'ils exploraient changeaient d'emplacement, de configuration ou de géométrie sans prévenir. Au mieux, c'était une migraine carabinée, au pire la disparition pure et simple de l'expédition dans un espace non-euclidien.

Les premiers phénomènes inexplicables surgirent le quatrième jour, au moment où ils s'y attendaient le moins, comme son guide l'avait prévu. Ce n'était pas des lumières étranges, des voies désincarnées, des courants d'air de température anormale, ou autres grands classiques de ce genre. Lexan nota d'abord que quelque chose influençait son métabolisme : son cœur battait plus vite, et il y avait un taux anormal d'adrénaline dans son organisme. Rien de plus normal s'ils avaient été en train d'affronter un danger, même minime, mais ces changements se produisirent alors qu'ils marchaient tranquillement dans un secteur un peu plus dégagé que les autres de la forêt. Il constata rapidement que ses compagnons présentaient les mêmes symptômes, sauf que ces derniers ne s'en rendaient pas compte, n'ayant pas de nanoniques médicales pour surveiller leur métabolisme.

— Quelque chose est en train d'essayer de nous faire peur, dit Lexan. Si vous voyez ou entendez quelque chose d'étrange, même si c'est une impression ou un mauvais pressentiment, dites-le tout de suite.

Les deux hommes acquiescèrent, mais n'avait pas l'air plus convaincus que ça.

— N'essayez pas de jouer les héros ou les forts, ça ne fera que nous mettre en danger. Compris ?

— Je... fit Bauth. Mais il en continua pas sa phrase.

Le porteur commençait à avoir l'air terrorisé, et M. Tegenyl se portait à peine mieux. Son aura de calme et de confiance en lui semblait avoir disparu. Malgré toutes ses mises en garde, ses réticences et ses protestations, il avait jusque là fait preuve d'un sang froid exemplaire. Mais ce dernier s'était évanoui en un laps de temps bien trop court pour être naturel.

Lexan mit tous sens en alerte, activa ses senseurs technologiques et ses sorts de détection. Mais il n'y avait rien d'anormal, aucune cause visible à leur changement profond de métabolisme et d'état d'esprit. Quelque soit la chose à laquelle ils avaient affaire, ce n'était pas un des mécanismes connus auquel il s'attendait. Diffuser sous une forme ou une autre le sentiment de peur était un moyen de protection très efficace, mais il était rare qu'il ne soit pas complété par autre chose. La question était de savoir quoi, surtout ici où le dispositif semblait particulièrement ancien et exotique.

Un cri très vite étouffé fit sursauter Lexan. Se retournant, il vit que M. Tegenyl avait tout simplement disparu. Le porteur, les yeux exorbités, poussa un gémissement de peur, et semblait près à s'enfuir au hasard dans la jungle. Lexan réussit à son grand soulagement à comprendre rapidement ce qui s'était passé, et à empêcher son compagnon restant de disparaître.

— Du calme, il est juste tombé dans un trou. Il faut aller le secourir au lieu de paniquer.

Le ton de Lexan et l'explication banale du phénomène le calma presque instantanément. M. Tegenyl avait en effet tout simplement marché sur un tapis de mousse qui dissimulait un trou dans la terre et ce dernier s'était aussitôt effondré sous le poids de l'homme. Ce genre d'incident leur était déjà plusieurs fois arrivé, mais jamais avec un trou assez grand pour engloutir un homme. En conséquence, ils se trouvaient désormais devant un problème potentiellement plus grave qu'une simple cheville foulée. Lexan espérait de tout son cœur que le gouffre n'était pas profond, et que son guide n'était ni mort, ni gravement blessé.

Il sortit corde et lampe-torche, pendant que Bauth appelait leur guide disparu, sans avoir de réponse. Il était donc au moins inconscient, à moins que l'acoustique du gouffre les empêche de communiquer. Les gens du coin n'avait pas particulièrement peur du monde souterrain, contrairement à plusieurs cultures qu'il avait croisées au cours de ces missions, et il s'en réjouissait. Il n'avait aucune envie d'avoir à gérer un homme terrorisé à la fois par l'étrange phénomène qu'il subissait et une claustrophobie galopante. Il avait eu du mal à cerner la personnalité de Bauth, homme taciturne et peu bavard. Il se révélait avec ce début de crise comme un homme courageux et vif d'esprit, ce qui était un vrai soulagement.

— On n'a pas le choix, on va devoir descendre.

Lexan fixa solidement la corde à un gros rocher, puis montra à son compagnon comment s'équiper, tout en faisant de même. Corde qui était bien trop courte à son goût, mais il n'avait pu en prendre plus vu le volume et le poids de ce genre d'objet. La quantité d'équipement qu'ils avaient emporté était limitée, et la spéléologie n'avait pas vraiment été prévue au programme.

L'entrée du gouffre étant à peine de la taille d'un homme, la faible lumière qui traversait la canopée fut vite un lointain souvenir. Ce qui heureusement n'était pas un gros problème, grâce aux lampes qu'il avait emportées. Très puissantes, fiables, d'une autonomie de plusieurs semaines, elles permettaient de voir parfaitement bien où ils allaient. Leur petite taille lui avait également permis d'en emporter un grand nombre, qui pouvaient se fixer sur le front, un bout de bois, ou même flotter avec leur antigrav. Cette dernière option, une technologie d'urgence, fut activée sans hésiter, Lexan jugeant que la situation le méritait. M. Tegenyl n'était visible nul part, mais Lexan constata que les parois étaient d'une sorte de glaise glissante formant un véritable toboggan : il avait pu être entrainé plus profond et s'en sortir sans trop de casse. Ils n'avaient donc pas d'autre choix que de s'enfoncer plus loin dans le gouffre.

— C'est assez étrange, toute cette glaise, ça ne colle pas du tout avec la géologie de la région. On croirait presque que c'est artificiel.

— Artificiel ? s'exclama Bauth. Mais c'est immense ! Et c'est au milieu de la jungle.

— Comme les ruines que nous avons croisées...

Les deux hommes continuèrent d'explorer le gouffre, suivant des traces dans la glaise qui étaient fraiches, et avaient donc du être laissées par la glissade de leur guide. Au bout d'une dizaine de minutes, ils arrivèrent enfin dans une cuvette, au pied de cette espèce de long toboggan, qu'ils avaient emprunté. M. Tegenyl gisait là, immobile. Lexan l'examina aussitôt, et constata avec soulagement qu'il était juste inconscient. Il devait également être couvert de bleus, mais ne semblait pas avoir d'os cassés. Vu la cascade involontaire qu'il avait fait, ce dernier était vraiment solide. Et chanceux.

Lexan sortit un pack de nanoniques médicales, et l'appliqua contre le coup de son guide. En quelques secondes, elles se propagèrent dans son sang, et de là, dans l'ensemble de son corps. Quelques minutes plus tard, il ouvrait les yeux, et après quelques examens complémentaires, il put se lever et les trois hommes se mirent à rebrousser chemin. La remontée n'allait pas être évidente, avec la glaise omniprésente et la rareté des prises solides. Ils décidèrent donc de progresser lentement, afin d'éviter un nouvel accident. Au bout de quelques mètres, ils constatèrent que de toute façon, ils n'auraient pas pu faire autrement.

Ils croisèrent un certain nombre de boyaux secondaires, dont certains qu'ils n'avaient pas remarqué à l'allée. Il n'y avait cependant guère de risque de se perdre, entre les traces de la glissade de M. Tegenyl, leurs propres traces, et les balises qu'ils avaient disposés par sécurité. Lexan fut cependant intrigué par un des boyaux, plus large que les autres et étrangement régulier.

— Qu'en pensez-vous ? demanda-t-il à ces deux compagnons. Ce tunnel me semble trop régulier pour être naturel.

— C'est vrai qu'il semble droit et parfaitement horizontal, répondit Bauth. Mais ce n'est peut-être qu'une coïncidence. Qui aurait intérêt à creuser un tunnel ici ?

— Quelqu'un avait un sens de l'humour étrange. Et la même question se pose pour les ruines et la présence de toute cette glaise.

— Oui...

— Le plus intriguant, c'est que ce tunnel est probablement bien plus récent que les ruines, et semble fait pour nous inviter à explorer le sous-sol. Il doit y avoir une raison à cela, et le seul moyen de savoir ce que c'est, c'est d'y aller.

— Vous voulez explorer ce tunnel ? Vous êtes fou !

— C'est pour ce genre d'explorations que je suis venu dans cette jungle. Je pensais que vous l'aviez compris.

— Je comprends mieux votre générosité, maintenant.

— Je peux donc compter sur vous pour la suite de cette petite expédition ?

Bauth et Tegenyl discutèrent quelques minutes entre eux, puis demandèrent une augmentation de leurs émoluments à Lexan. Ce qu'il avait prévu, et qu'il accorda rapidement. Il y avait des principes qui marchaient dans toutes les civilisations humaines.

Le tunnel était aussi rectiligne qu'il en avait l'air à son entrée, avec un sol bien régulier et une pente inexistante ou très légère. Les trois hommes pouvaient en conséquence avancer bien plus rapidement qu'à la surface. Le tunnel continuait, uniforme, sans embranchement ni même  une cavité ou une fissure dans sa paroi. Puis il s'arrêtait brusquement, obstrué par une paroi de la roche noire et ancienne qui formait la géologie normale de cette région.

— Tout ça pour un cul-de-sac ?

— Mmm... C'est ce qu'on veut nous faire croire... On nous teste, je pense.

Lexan sortit un petit appareil qui ressemblait à un stylo ou un tournevis pour qui ne lui accorderait qu'un regard superficiel. C'était en réalité un ensemble de senseurs sophistiqués qui lui fournit un grand nombre de données brutes à faire analyser par ses nanoniques.

— Ce matériau ressemble beaucoup aux roches de la région, mais présente de subtiles différences avec elles.

— Et qu'est-ce que ça signifie ?

— C'est là qu'on arrive au plus intéressant. Si mon intuition est juste, c'est la preuve que cette roche est artificielle. Elle doit donc cacher quelque chose de très intéressant.

— Ce serait une forme de camouflage ?

— Plus ou moins. Disons que c'est plus un heureux hasard judicieusement exploité.

Lexan se mit à tâter dans tous les sens la roche, et à la nettoyer de la mince couche de glaise qui la maculait par endroit. Les deux locaux étaient de plus en plus perplexes du comportement de leur employeur. Puis, sans prévenir, de la lumière commença à émerger de la roche. Plus exactement, des sillons gravés dans la roche, jusque ici à peine discernables, se mire à briller d'une lumière bleutée, les rendant spectaculairement visibles. Des formes complexes se mirent à émerger, dont certaines semblaient être une forme d'écriture.

— Qu'est-ce que vous avez fait ?

— J'ai apparemment réussi à activer les systèmes qui se cachent derrière la roche. Reste à savoir s'ils vont nous considérer comme des amis ou bien des ennemis. Les vestiges technologiques de ce genre sont imprévisibles.

La paroi rocheuse s'ouvrit alors, dans un affreux grincement de mécanisme grippé depuis des éons, et Lexan sourit.

— Bingo.

Lexan s'engouffra à l'intérieur, suivit par les deux autres hommes qui n'en menaient pas large, mais commençaient à être submergés par la curiosité. L'idée de comprendre enfin les mystères de leur jungle était bien trop tentante.

Ils franchirent une sorte de sas, puis se retrouvèrent dans un monde radicalement différent. C'était un long corridor chichement éclairé de la même lumière bleutée. Avec ses parois de métal et ses formes rectilignes, il était clairement artificiel, et dans un état étrangement bien conservé s'il était plus ancien que la jungle qui le surplombait.

— Mais qu'est-ce que c'est que cette chose, demanda le porteur.

— Il n'y a désormais plus aucun doute. Cette structure souterraine ne peut être qu'un vaisseau spatial datant de l'époque ou cette colonie a été fondée.

— Des vaisseaux spatiaux ici ? dit M. Tegenyl. C'est ridicule ! Ou alors... C'est donc vrai toutes ces histoires à dormir debout ?

— Quelles histoires ? demanda innocemment Lexan.

— Vous le savez bien ! Vous venez même d'en parler.

— Cette histoire ridicule de colonie perdue !

— Vous voulez dire que vous ne croyez toujours pas ce que nous autres Galactiques vous avons expliqué ?

— Bien sûr que non ! Presque tout le monde pense que ce ne sont que des fariboles que vous inventez pour mieux nous contrôler !

— Je vois... Décidément la section RC a encore plus foiré ses opérations ici que je ne le pensais. Jamais le ReContact n'aurait dû avoir lieu. La présence de ces Old Ships me donne un élément d'explication sur leur comportent, mais ça n'explique pas tout.

Lexan vit que les deux hommes le regardait, avec une expression ou se mêlait stupéfaction et un début de colère.

— Ok, Ok, je vais tout vous expliquer. Avec un peu de chance, je vais bien finir par vaincre votre scepticisme.

Tout en continuant à progresser dans les coursives, Lexan commença sa petite leçon d'histoire, tout en soupirant. Tout ceci était public, mais entre ce que les gens du coin n'avait pas cru, et ce que leurs gouvernements avaient caché, il fallait tout reprendre du début.

— Comme nous l'avons expliqué au moment du ReContact, nous sommes tous de la même espèce biologique. Et comme il est impossible que deux espèces biologiquement identiques apparaissent indépendamment, c'est en soit une preuve que cette planète est une colonie perdue.

— Nos érudits nous ont affirmé que c'était un tissu de mensonge. Mais avec ce que j'ai vu aujourd'hui, je commence à me dire que c'est eux qui ont menti pour ne pas avoir à désavouer leurs propres recherches.

— Ils se sont braqués par fierté mal placée, pas par intention de nuire... Il faudra leur pardonner d'une façon ou d'une autre, vous aurez besoin d'eux dans les années à venir. Mais revenons à mes explications. Notre espèce est très ancienne, répandue et puissante dans toute la galaxie. Ce n'est pas la seule ceci-dit, mais les espèces aussi influentes que les humains sont rares, alors que la vie prolifère avec une diversité que vous ne pouvez pas imaginer. Elle fait partie de ce que la tradition appelle les Nations Ainées, qui se comptent sur les doigts de la main. Notez que le terme de « nation » est un abus de langage de nos jours, et n'est utilisé que par habitude. Outre les innombrables colonies perdues comme votre planète, il existe des milliers de nations humaines indépendantes, mais néanmoins bien insérées dans la communauté galactique. Cela fait des dizaines de milliers d'années, au bas mot, que l'unité politique des humains n'existe plus. Le noyau, l'origine des humains, est une oligarchie du nom de Xyvagaga.

— Drôle de nom...

— Faite attention à qui vous le dites, les Xyvagagariens sont très susceptibles et fiers. Un autre point intéressant est que peu d'espèces dans la galaxie ont autant de colonies perdues que les humains. Il semblerait que nous ayons un certaine tendance à vouloir aller nous installer un peu partout en oubliant de garder un lien avec nos origines. Voire carrément à vouloir volontairement tout recommencer de zéro. Voilà donc pourquoi nous sommes en ce moment même en train de nous balader dans un vaisseau spatial probablement immense, caché ici depuis la fondation de cette colonie.

— D'accord... Mais comment expliquez-vous qu'il soit en aussi bon état ? Il y a certes un peu de poussière, et la peinture est un peu passé, mais on ne dirait vraiment pas que ce vaisseau est là depuis autant de temps que vous le dites.

En effet, les coursives qu'ils avaient empruntés étaient toutes en bon état, ils croisaient régulièrement des tableaux avec des indicateurs lumineux bleus ou verts, et pire, se trouvaient désormais dans un turbo-ascenseur qui fonctionnait. Ils arrivèrent donc rapidement sur la passerelle du vaisseau, qui sans surprise, étaient parfaitement opérationnelle. Tout au plus aurait-on pu penser en le voyant que l'équipage était un peu laxiste sur la discipline et le ménage.

— Ça, messieurs, ce sont les miracles des technologies auto-réparatrices de classe V.

Les portes du turbo-ascenseur s'étaient ouvertes, et ils avaient débouché sur la passerelle, une grande salle, d'environ 25 mètres de diamètre, où était disposés plusieurs consoles, sièges et écrans. Un siège se trouvait au centre, un peu plus grand et confortable que les autres : celui du capitaine. Lexan, satisfait d'avoir rapidement trouvé le centre névralgique du vaisseau, s'assit sur un des sièges d'une console secondaire. Tout en commençant ses tentatives pour accéder à la mémoire du vaisseau, il continua ses explications :

— Ce vaisseau n'est pas un vaisseau ordinaire, vous avez parfaitement raison de tiquer sur son état général. Sur la plupart des colonies perdues, les vestiges datant de la fondation ressemblent à ce qu'ils sont censés être : des ruines informes dont seuls des spécialistes peuvent comprendre le but premier. Mais nous sommes dans un Old Ship. Ils disposent de systèmes auto-réparateurs et de source d'énergie pouvant durer des millions d'années. Le temps que ce vaisseau a passé sous la jungle n'était qu'une grosse sieste pour lui. Ah, je crois que j'arrive à quelque chose...

Des schémas et du texte dans un alphabet étrange commença à s'afficher sur plusieurs écrans de toute taille. Les deux compagnons de Lexan furent surpris par cet affichage, et Tegenyl demanda :

— Comment pouvez-vous fouiller dans un ordinateur qui ne vous appartient pas ? Je croyais que c'était impossible.

— Ce n'est pas totalement vrai, il y a toujours moyen de percer les défenses de l'informatique quand on a une technologie plus perfectionné. Mais ce n'est bien sûr pas le cas ici. Très peu de gens peuvent craquer une technologie de classe V. Si on peut les désigner comme des « gens ». Je ne fais que dialoguer et parlementer avec l'IA de ce vaisseau. C'est fou ce que la politesse et la bonne volonté permettent d'obtenir.

M. Tegenyl étudia les schémas qui s'affichait sous son nez. Il était totalement incapable de lire les légendes, mais la signification de grandes taches grises noyées dans du vert semblait évidentes.

— Je me trompe, ou il y a toute une flotte de vaisseaux, identiques à celui où on est, dans le coin ?

— On dirait bien. Et pas des petits. La plupart font plusieurs kilomètres de long. C'est à peu près la taille maximale de ce qu'on peut cacher efficacement sur une surface planétaire. C'est une découverte de premier ordre, qui va bouleverser beaucoup de choses.

— Il est certain que l'opinion publique va changer complètement quand l'existence de cette flotte va être révélé. C'est une preuve irréfutable que vous autres Galactiques avez dit la vérité sur nos origines.

— Oui, ce genre de découverte est une très bonne nouvelle pour vous. Votre monde va en profiter, et peut devenir si elle se débrouille bien une planète prospère, puissante et influente. Même si dans votre état de développement actuel, ce n'est pas gagné... Cependant, les conséquences sont loin de concerner uniquement votre planète. Les technologies de classe V sont rares, très rares. Même si elles ont été découvertes puis redécouvertes plusieurs fois tout au long de l'histoire, elles ont toujours fini par être bannies peu de temps après. La puissance qu'elles confèrent est très dangereuse, et elles finissent par être interdites pour hérésie, puis détruites, par des mortels ou d'autres créatures.

— D'autres créatures ? demanda Bauth.

— Il y a des créatures infiniment puissantes en cet univers, se contenta de dire Lexan.

Il ne voulait pas les embrouiller avec l'idée que l'existence de « Dieux » avait été prouvé scientifiquement, ils en avaient déjà assez à assimiler d'un seul coup.

— Le cas le plus célèbre, qui a forgé les termes de Old technology, Old ships, et toutes les variations qui ont suivies, ce sont les deux clans nommés Atlantes et Mus.

— Jamais entendu parler d'eux...

— Pourtant on en parle dans presque tous nos manuels d'histoire... Ils ont fondé un groupe de colonies du côté opposé de la galaxie par rapport à Xyvagaga. Ce dernier a prospéré pendant un court laps de temps, puis a plongé dans l'oubli le plus total. Ce n'est qu'il y a quelques centaines d'année que le secteur de Sirius a émergé à nouveau. Il est devenu du jour au lendemain le moteur de l'unification galactique, via les Fondateurs et la Terre.

— Les Fondateurs ? dit Tegenyl. J'ai cru comprendre que c'était des personnages mythiques...

— En un sens oui. C'étaient des personnages très discrets, et on a fort peu d'informations précises sur eux. Même leur nombre exact est incertain et sujet à polémique. Mais ce qui est sûr, c'est que ce sont eux qui ont redécouvert les technologies atlantes et mus en premier. Certains auraient utilisé une telle puissance pour leur propre intérêt, mais ce n'est pas ce qui se passa avec les Fondateurs. Il s'en servirent pour lancer une unification pacifique de l'humanité.

— Une telle rigueur morale, je comprends que vous les vénériez comme des mythes.

Lexan sourit, se retenant de rire. Les Fondateurs étaient certes d'importants personnages historiques, mais on ne pouvait guère les décrire comme des parangons de rigueur morale. Tous les récits les décrivait comme des bons vivants à la limite de la décadence. Leur altruisme et leur rôle décisif pour l'unification galactique restait un mystère pour les historiens de son époque.

Lexan se renfonça dans son fauteuil, se demandant ce qu'il devait faire. Il avait terminé de discuter avec l'IA du vaisseau, et avait désormais un panorama complet de la flotte dissimulée sous la jungle. Ce qu'il avait découvert l'inquiétait. Le nombre de vaisseaux et leur tonnage était impressionnant, bien plus grand que ce qu'il avait prévu en entrant dans le vaisseau, même dans ses estimations les plus généreuses. De toutes les flottes de Old Ships recensées, seul les flottes atlantes et mus étaient plus importantes, et personne ne savait où elle se trouvait aujourd'hui, ni même si elles existaient encore. Ce qui changeait tout : cette découverte allait avoir une importante non pas locale mais galactique. Elle brisait tout l'équilibre technologique de l'Empire et de la Galaxie.

D'un côté, c'était une découverte archéologique de premier ordre, qui allait ravir tous ceux qui s'intéressait à ce sujet. Mais de l'autre, il y avait de quoi conquérir un ou deux empires interstellaires, s'ils tombaient entre de mauvaises mains. Additionné au comportement étrange de la section RC locale d'Astafold III, il hésitait à en informer ses supérieurs, en particulier le Commandant So'Patil. L'IA du vaisseau semblait aussi avoir perçu ses hésitations, et devait probablement en discuter de façon intensive avec ces homologues du reste de la flotte.

— Nous allons rentrer, mais il est hors de question de rendre public tout de suite cette découverte pour le moment.

— Pourquoi ? demanda M. Tegenyl, visiblement surpris et méfiant.

Lexan soupira. De toute évidence, son guide et le porteur craignait qu'il ne veuille cacher l'existence de la flotte à leurs compatriotes, alors que c'était le contraire.

— Ne vous inquiétez pas, mon but n'est pas de priver votre planète de cette découverte. Si c'était le cas, je ne me serait pas embêté à vous expliquer à quel point cette flotte est importante pour vous. Mais comme je vous l'ai dit, elle est potentiellement dangereuse. Si on ne prend pas de précaution, c'est l'Empire tout entier qui disparaîtra.

— Je croyais avoir compris que vous autres Galactiques aviez l'habitude de manipuler de telles technologies.

— Non. Certaines personnes utilisent quelques technologies de classe V bridées, ou des technologies de classe IV-9. L'Empire ne pourrait s'en passer, mais cela reste quelque chose de très limité et surveillé. Ici, il y a plus de technologies de classe V que dans tout l'Empire. C'est inimaginable...

— Je vois...

— Ma mission originelle était de vérifier la présence ou non de quelque chose d'intéressant sous cette jungle, de tirer au clair la nature des vestiges technologiques qu'on avait vaguement détecté via des rumeurs et des scans superficielles. Bref, une mission de routine, faisable par presque n'importe quel agent de la section RC. Mais certains détails ne collaient pas dès le déburt.

— Que voulez-vous dire ?

— Et bien... Peut-être que mes supérieurs ne soupçonnait vraiment pas la nature exacte de ces vestiges. Peut-être que le ReContact prématuré d'Astafold III est vraiment un raté comme il s'en produit même dans les meilleures organisations. Peut-être que ma présence ici dans une mission qui ne correspond pas à mon profil est uniquement une punition pour ce simulacre de duel. Mais ça fait beaucoup de « peut-être ». Trop à mon goût.

— Je ne comprends rien à ce que vous racontez...

— Excusez-moi, je réfléchissais tout haut. Pour résumer, dites-vous que même moi j'ai du mal à comprendre dans quel guêpier je me suis fourré. Je ne sais pas ce que je dois faire, mais annoncer à tout le monde notre découverte me paraît une très mauvaise idée.

— Je pense qu'il a raison, fit alors Bauth.

Lexan et M. Tegenyl sursautèrent. L'homme était si discret, qu'ils l'avaient presque oublié.

— Si cette découverte est aussi importante que vous le dites, alors peu importe les détails, on ne peut pas la rendre publique sans prendre de précautions.

M. Tegenyl n'était visiblement qu'à moitié convaincu, mais après une rapide discussion entre les deux hommes, il finit par céder.

Le trajet de retour pour sortir du vaisseau fut sans histoire, et ils se retrouvèrent rapidement à l'air libre, ou tout du moins sous la canopée de la jungle. Lexan installa quelques gadgets de surveillance à l'entrée du trou, même s'il était peu probable que quiconque les ait suivi ou même vienne dans les environs. Cette précaution prise, ils se dirigèrent vers la piste la plus proche, coupant tout droit dans la jungle au lieu de faire des détours comme à l'aller.   Ils portaient en outre un regard assez différent sur les formations rocheuses qui émergeaient de loin en loin de la canopée, format d'impressionnantes falaises de roche noire et polie. Certaine de ces rochers gigantesques n'étaient rien d'autre que des exemplaires des vaisseaux la flotte cachée sous la forêt, méconnaissables pour celui qui n'avait pas été mis au courant, mais évidents pour les autres.

Au bout d'une heure de marche, les deux aides de Lexan commencèrent à montrer de nouveau des signes de nervosité, jetant des coups d'œils furtifs dans les arbres ou derrière eux.

— Que se passe-t-il ?

— Quelque chose nous suit, répondit M. Tegenyl. Je sens une présence.

— Un homme ? Par ici ? C'est impossible. C'est peut-être un animal curieux de notre présence ?

— Non. C'est quelque chose de bien plus étrange que ça. Il n'y a aucun bruit, aucune odeur, mais je suis persuadé que quelque chose nous suit. Je sens une présence.

— Une présence ? C'est un peu vague...

— Cette jungle a toujours été étrange. Peut-être n'avons nous pas encore découvert la source de tous les mystères qui s'y cachent.

Lexan réfléchit à ce que disait ces deux compagnons, et sembla soudain comprendre ce qui se passait.

— Mmm... Je vois. Et je pense précisément le contraire. Il n'y a plus rien de mystérieux par ici.

Lexan tourna sur lui-même à 360°, balayant les alentours, comme s'il savait ce qu'il cherchait.

— Montre-toi donc, tu vois bien que ta présence n'est pas passé inaperçue.

Une silhouette floue apparut alors devant les trois hommes, se matérialisant progressivement dans l'air devant eux, d'abord évanescente, puis elle se précisa jusqu'à donner l'illusion totale de matérialité. Le guide et le porteur reculèrent vivement, surpris et plutôt inquiets.

— Ne paniquez pas, il n'y a aucun danger.

— Qu'est... Qu'est-ce que c'est ?

— Je vous présente Kapjati, l'IA du vaisseau que nous avons visité.

— C'est une IA, ça, demanda ? M. Tegenyl.

Son incrédulité était totale, et fort compréhensible : l'IA avait pris la forme d'une jeune fille, habillée de vêtements aux couleurs pastel, largement garnis de froufrous et de rubans. C'était l'opposé total de l'apparence qu'ils attendaient pour une machine intelligente. Le contraste avec la jungle environnante ne faisait que rendre son apparence encore plus incongrue.

— Les IA ont souvent des personnalités excentriques, expliqua Lexan. Celles de cette flotte ne semblent pas faire exception.

— Si vous le dites. Mais pourquoi nous a-t-elle suivi ?

— Je me pose aussi la question. Elle ne m'a rien dit tout à l'heure.

— Je vais tout vous expliquer, dit Kapjati. Moi et mes homologues des autres vaisseaux avons besoin d'informations supplémentaires avant de décider de ce que nous allons faire. J'ai été désigné comme sonde, pour vous suivre et voir ce qui allait se passer. La réaction de la section RC et du gouvernement local sera déterminante pour nous.

— C'est-à-dire ?

— Si nous avons le moindre soupçon que certaines personnes veulent nous utiliser à des fins personnelles, nous nous placerons en isolation pendant quelques siècles.

— S'il vous plaît, intervint Lexan, ne prenez pas de décision à la légère. Je comprends votre position, mais ce serait du gâchis que vous vous isoliez pour un deux illuminés qui voudrait vous utiliser sans avoir de chances réelles de réussir.

— Certes, nous ne partirons pas à la première alerte mineure. Mais nous avons vécu trop d'évènements infortunés dans le passé. Nous ne désirons pas prendre de risques dans ce domaine.

— J'ai les mêmes objectifs que vous, je vous assure. S'il y a des traitres au sein de mon organisation, il est hors de question que cette situation perdure. Mais notez bien que cela reste fort improbable. Il est plus probable qu'on ait juste affaire à des individus ambitieux oubliant de respecter certaines règles de bases.

— Ce genre de personne peut être plus dangereuse que bien des traitres.

— Je vais vous faire une proposition alors. Coopérons ensemble pour faire émerger ce qui se cache derrière tout ça. Est-ce que vous me faites confiance ?

— Vous avez été remarquablement ouvert lors de notre première rencontre. Certains de mes homologues ne sont pas d'accord, mais personnellement, je vous fais confiance. Vos intentions vont a priori dans le même sens que nos objectifs.

— Bien. Voilà au moins un bon départ.

— Nous acceptons donc l'alliance que vous nous proposez. Nous allons rester en contact permanent, ce qui nous permettra d'échanger informations et opinions sur ce qui va se passer. En attendant, je vais essayer d'être un peu plus discrète.

Et sur ces paroles, l'IA disparut aussi rapidement qu'elle était apparue.

Deux jours plus tard, Lexan et ses deux compagnons d'expédition étaient de retour dans la petite ville située près de la bordure de la jungle. Ils se séparèrent avant de sortir de cette dernière, les deux hommes n'ayant visiblement pas changé d'avis sur la discrétion nécessaire à toute l'opération. Ils gardèrent cependant sur eux quelques petits gadgets pour communiquer avec Lexan. Ce dernier récupéra le reste de ses affaires à l'auberge miteuse où il les avait laissé et se dirigea vers la gare locale pour prendre un train.

La grande voie ferrée qu'il allait emprunter serpentait sur plus de trois mille kilomètres, partant de la capitale, Naï-Oh, pour traverser la savane, longer la jungle, puis terminer sa course au pied de la chaîne des Monts Bleus. C'était probablement la réalisation technologique la plus avancée de la planète, bien qu'elle ait presque entièrement été construites avec des modules préfabriqués et des matériaux de seconde main. Son tracé était souvent erratique, contournant tous les obstacles pour réduire les coûts de construction. Quant au matériel roulant, c'était un ensemble hétéroclite de locomotives et de wagons dont l'âge se comptait en siècles. De nombreuses entreprises fabriquaient ce genre de matériel increvable à l'intention des planètes à faible niveau technologique. Une fois revendu par son propriétaire initial, il voyageait alors de planète en planète au fur et à mesure de la progression technologique de chaque monde.

Par chance, un train passa seulement trois heures après l'arrivée de Lexan à la gare, un long convoi mixte tiré par trois motrices diesel noires de crasse. Il prit sans hésiter un billet de première classe, ayant vu de bien trop près à quoi ressemblait un voyage plus économique. Comme toujours, le train était surchargé, et de nombreux passagers voyageaient avec leur famille, leurs animaux et une quantité invraisemblable de marchandise. Le bruit était impressionnant, la foule grouillait en tout sens, et tout le monde montait ou descendait avec une agitation frénétique. Bien que l'arrêt dura presque une heure, le chaos était tel que seul les plus fort ou les plus organisés arrivaient à monter à temps dans le train. Pour les resquilleurs, ce n'était cependant pas la fin des difficultés. Quelques minutes après le départ du train, les contrôleurs commençaient à faire leur travail, et ils ne prenaient guère de précaution. Toute personne sans ticket, ou avec un faux ticket, ne pouvait continuer le voyage qu'en payant une forte amende, doublée d'un généreux pot-de-vin. Les autres étaient simplement jetés par-dessus bord, ce qui n'était cependant pas trop grave vu la vitesse réduite du convoi. Tout ceci n'empêchait pas les candidats de tenter leur chance, et certains arrivaient bel et bien à voyager gratis, grâce à la cohue, ou un très bon faussaire.

Autour de tout ce petit monde gravitait toute une économie de vendeurs à la sauvette, offrant à peu près tous les produits et les services imaginables. Il y avait bien sûr ceux qui proposaient de quoi se restaurer : boissons fraiches alcoolisées ou non, fruits locaux multicolores, en-cas variés à manger sur le pouce, voire carrément des repas complets... Il y en avait pour tous les goûts, toutes les bourses et toutes les religions. Lexan acheta juste avant le départ des en-cas à la viande, sortes de samossa avec un pliage incroyablement complexe. Il était fortement épicé à défaut d'avoir un goût subtil, ce qui en faisait un mets de choix sur cette planète. Puis il se renfonça dans son siège surchargé de décoration et inconfortable. Les autres passagers de première classe, de riches marchands et un ou deux hauts fonctionnaires, l'ignoraient superbement.

Au bout d'une vingtaine de minutes, le train avait quitté la zone urbaine pour traverser des champs qui s'étalaient à perte de vue, formant une mosaïque bariolée de vert, de jaune et de rouge. Encore quelques kilomètres et on arrivait dans des zones plus sauvages, où il n'était pas  rare de voir des animaux sauvages de grande taille, y compris des carnivores. Même en dehors de la jungle, ces derniers pullulaient, preuve que la planète était encore largement inhabitée. Cette faible densité de population étaient probablement une des facteurs expliquant le niveau technologique et magique lamentable de cette Colonie Perdue. Où alors était-ce l'inverse ?

La tenue de route du train étant aussi primitive que le reste, il ne pouvait guère être considéré comme confortable. Néanmoins, plusieurs passagers, visiblement habitués, s'étaient endormis. Lexan, de son côté, activa ses nanoniques pour plonger dans le sommeil : il n'avait aucune raison de rester éveillé dans ce voyage long et monotone.

Après un interminable trajet, le train arriva enfin en vue de la capitale, traversant d'abord une zone de terrains vagues et de petites industries, disposées anarchiquement le long de la voie ferrée et des routes qu'elle croisait. La plupart des bâtiments semblaient faits de bric et de broc, même si, de temps en temps, un bâtiment plus solide émergeait du chaos. Ces derniers étaient la plupart du temps des bâtiments officiels, à l'architecture fonctionnelle et sans originalité. La densité des bâtiments croissait peu à peu, et les terrains vagues se faisaient de plus en plus rares. L'anarchie régnait cependant toujours autant, avec des rues dans tous les sens, des bâtiments de toute taille et de tout style, dont beaucoup semblaient inachevés. Il y avait très peu de services publics, ce qui, pour une ville de cette taille, était surprenant et incompréhensible. C'était un miracle qu'aucune catastrophe ne ravage la ville.

Lexan sut qu'ils étaient presque arrivés quand le train commença à ralentir, et surtout, quand ils longèrent d'immenses espaces vides situés en plein milieu de la ville. Ces derniers correspondaient à des quartiers entiers qui avaient été rasés pour les moderniser. De nombreux projets de ce genre avait démarré après le ReContact, mais seul un ou deux pouvaient être considérés comme partiellement terminés. La plupart du temps, on avait tout détruit, construit quelques fondations, puis un événement imprévu avait interrompu les travaux. Les reprendre une fois ce dernier résolu semblait si difficile que la plupart du temps, les promoteurs préféraient commencer un autre projet en abandonnant le précédent. Pas étonnant que la ville continue de croître, de façon toujours plus anarchique.

Dans un long crissement de freins, le convoi s'immobilisa sous la grande verrière de la gare, qui, exception qui confirme la règle, était achevée et dotée d'une architecture réussie. La gare étant le terminus de la ligne, la descente se fit dans une cohue encore pire que ce que Lexan avait traversé en montant. Se faufilant dans les chemins réservés aux passagers de première classe, il se dirigea vers une des sorties de la gare où se trouvait des taxis locaux. Il se méfiait des tacots à moteur diesel mal entretenus et conduits sans aucune prudence, et se dirigea sans hésiter vers un des taxis tricyles. Ils étaient plus lents, mais aussi plus confortables et plus sûrs. De toute façon, il n'allait pas très loin.

À peine était-il arrivé à son hôtel que le téléphone de sa chambre sonna. Comme toutes les autres technologies importées de cette planète, c'était une antiquité pour Lexan, mais une  anomalie, comparé au niveau de base d'Astafold III.

— Allo ?

— Dans une demie-heure, dans mon bureau. Pas d'excuses.

Difficile d'être plus lapidaire. Le Commandant So'Patil était toujours aussi froide. Il se demandait cependant comment elle avait été mise au courant de son arrivée aussi vite. Avait-elle assez de subordonnées pour surveiller en permanence la gare. Où bien outrepassait-elle les ordres d'en haut en matière de restriction technologique ? Ils étaient censés en utiliser le minimum vital.

Le siège local de la section RC était situé dans une aile de l'ambassade de l'Empire, un bâtiment qui avait été soigneusement conçu pour impressionner les locaux sans leur donner un complexe d'infériorité. Il y avait au moins quelques aspects du ReContact qui avaient été menés correctement, sur cette fichue Colonie Perdue. Lexan passa rapidement les contrôles de  sécurité et se dirigea vers le bureau de son chef local. Les relations avec cette dernière avait été mauvaises dès leur première rencontre. Bien que franchement mécontent de son affectation sur Astafold III, il avait accepté cette punition et comptait accomplir sa mission aussi sérieusement que toutes celles qu'il avait déjà effectué. Mais le Commandant So'Patil l'avait tout de suite classé dans les gêneurs et les intrus, au vu de son CV. En conséquence, elle l'avait envoyé sur le terrain presque sans information, ne lui expliquant guère plus que l'objectif global de sa mission.

Bien qu'il soit parfaitement à l'heure, le jeune secrétaire du Commandant le fit attendre vingt minutes, sans explications ni même un bonjour. Où était donc la légendaire ambiance détendue de la section RC ?

— Le Commandant So'Patil va vous recevoir. Allez-y.

Lexan se leva en remerciant le secrétaire, qui continua à l'ignorer, puis entra dans le bureau de sa supérieure. C'était une femme aux traits délicats, la peau très foncée, mais avec une nuance cuivrée très différente de celle de la population locale. Elle était en train de classer des papiers, l'ignorant aussi superbement que son secrétaire. Il la salua puis attendit tranquillement qu'elle ait fini sa petite comédie destinée à asseoir son autorité. Mais que diable faisait-elle dans la section RC avec une personnalité telle que la sienne ?

— J'espère que vous revenez avec des informations précises. Il serait regrettable que vous perdiez votre temps à jouer les touristes en train au lieu de travailler.

Lexan avais envie de lui demander quel intérêt touristique elle pouvait bien trouver aux chemins de fer locaux, mais ce genre de réponse ne lui aurait certainement pas plu. Il décida donc de rentrer dans son jeu et de faire sobre et efficace.

— Je suis allé plus profondément dans la jungle qu'aucun agent n'est jamais allé. Même les guides locaux les plus audacieux ne connaissaient pas ce que j'ai découvert.

— Ho ho... Voilà qui est intéressant.

Lexan déploya alors un hologramme qu'il avait soigneusement préparé avant de venir. Ce dernier était fort différent des données qu'il avait récupérées dans le Old Ship.

— C'est une découverte de premier ordre, un trésor archéologique qui va faire venir sur cette planète la moitié des spécialistes de ce secteur. Les ruines de cette cité s'étendent sur une surface immense, suggérant une population de plusieurs millions. Et elle date de l'époque de la colonisation, ce qui va probablement nous offrir de précieuses informations sur l'histoire de cette colonie, le mystère de son déclin, et...

Lexan continuait ainsi à déblatérer avec enthousiaste sur ses « découvertes », faisant semblant de ne pas remarquer que sa supérieure était passé de l'attente à la surprise, puis à une frustration au bord de la colère. De toute évidence, Lexan avait fait mouche et l'avait totalement prise au dépourvu. Elle semblait furieuse et inquiète, et devait être en train de réfléchir intensivement, passant en revue les conséquences de cet énorme imprévu sur ces objectifs, quel qu'ils soient.

— Je veux voir ces ruines.

— Je vous comprends, c'est un grand jour...

— Tout de suite !

— Pardon ?

— Il faut que j'inspecte en personne ces découvertes, et tout de suite. Nous allons utiliser les téléporteurs de cet immeuble.

— Des téléporteurs ? Vous êtes sûre ? Nous ne sommes pas censés les utiliser pour autre chose qu'un cas d'urgence.

— Vous contestez mes ordres ?

— Je suis juste surpris. Il n'y a pas grand chose à voir pour l'instant, tant les ruines sont bien enfouies. Et elles ne risquent pas non plus de disparaître.

— Vous ignorez certaines implications de vos découvertes. Contentez-vous d'obéir.

— À vos ordres, alors. Je ne comprends pas le pourquoi du comment de tant de secrets sur un sujet de ce genre, mais je vais vous montrer tout ce que je peux.

Lexan So'Patil descendirent donc dans les sous-sols du bâtiment, là où se trouvait sous scellés les téléporteurs d'urgence. Lexan ne fit aucune remarque sur le fait que sa supérieure ne demandait à personne de les accompagner dans la jungle.

Les deux agents de la section RC se matérialisèrent au milieu de la jungle, non loin d'une des ruines repérées par Lexan durant son expédition. Elle était assez impressionnante par sa taille, et aussi énigmatique d'apparence que toutes celles dont la région était truffée.

— C'est ça votre ruine ? Elle n'est guère parlante.

— Comme toute les ruines de la région. Mais j'ai pu faire des prélèvements des matériaux qui les constituent. C'est une roche artificielle dont la composition peut varier, probablement en fonction de la fonction de chaque bâtiment, mais qui présente des marqueurs spécifiques. C'est à partir de ces données que j'ai pû faire un scan de la région et distinguer les structures artificielles du fouillis naturel qui les cachent...

— Cessez donc de débuter autant de conneries, dit soudain So'Patil, avec une voix froide et meurtrière.

Lexan tourna la tête et vit que sa supérieure braquait un petit pistolet sur lui. Petit mais efficace, c'était un disrupteur militaire, absolument mortel à une telle distance.

— Vous savez très bien que ces ruines sont sans importance en comparaison de ce qu'il y a dessous. Tout les agents qui vous ont précédé les ont découvertes, au moins partiellement. Et  les scans du même genre que ce que vous prétendez avoir fait n'ont jamais rien donné ! Vous me cachez quelque chose, mais je ne vais pas le laisser embobiner par vos mensonges. Il est hors de question que je vous laisse me doubler.

— Vous avez perdu la tête ?

— Il est hors de question que vous ou quiconque d'autre soit le seul à bénéficier du prestige de cette découverte. Ma famille a besoin de retrouver son influence. Désolée pour vous, mais vous n'auriez pas du jouer au plus malin.

Et elle pressa sur la détente.

Des éclairs de lumière bleue et verte jaillirent dans la jungle, puis un bruit ressemblant à une petite explosion retentit. Lexan, souriant, regardait sa supérieure calmement, qui de son côté lâcha une bordée d'injure.

— Vous pensiez vraiment tuer un agent de terrain tel que moi, censé devenir à court terme un Chevalier Céleste, avec un simple disrupteur ? Vous êtes bien naïve. C'est un jeu d'enfant pour moi que de me protéger avec un bouclier technomagique.

— Dans ce cas-là, je n'ai qu'à vous abandonner ici. Sans équipement, même avec vos trucs de sorciers, vous aurez du mal à en sortir vivant.

— Je ne pense pas être seul.

Et avec un sens du timing parfait, Tegenyl et Bauth sortirent de la jungle, leurs armes braquées sur So'Patil.

— Ça va être difficile pour vous de faire disparaître autant de témoins.

— So'Patil devint pâle comme un linge, malgré sa couleur de peau, et laissa tomber son disrupteur.

— Comment est-ce possible ?

— C'est très simple, je n'ai jamais vu vous doubler. Mon histoire de cité perdue avait simplement comme objectif de savoir ce que vous maniganciez. Vous vous êtes trahie en avouant savoir qu'aucune cité de la sorte n'existait. Et je pense avoir désormais une idée bien plus claire de la situation, même si certains détails me manquent encore.

— Nous aimerions aussi comprendre un peu mieux ce qui se passe, dit M. Tegenyl. Les complots internes des galactiques sont assez incompréhensibles à nos yeux. Je veux savoir pourquoi mon frère est mort, et si ça se trouve, de la main de cette femme.

— Il était juste sur mon chemin...

— Quoi ? Juste pour cette raison ?

-Vous ne pouvez pas comprendre, vous êtes tous issus de familles tellement ordinaires. Ma famille est vieille de plus de trente siècles. De quel droit peut-on donc nous dépouiller de nos titres ?

Les dernières hésitations de Lexan sur les motivations de sa supérieure cédèrent, remplacé par une triste certitude. Il fit la grimace de  dégoût.

— Oh non... Pas encore. Je les attire ou quoi ?

— Je devais faire quelque chose ! À tout prix.

— Mais vous n'aviez qu'à jouer le jeu ! Pourquoi vouloir à tout prix faire de telles manigances virant au complot ? Pourquoi tout faire pour découvrir en secret le trésor de cette jungle ?

— C'est pourtant évident. Je ne peux pas me permettre de partager cette découverte.

Cependant, Tegenyl et Bauth était de plus en plus perplexes. Lexan s'assit sur une grande pierre, avec un air las et fatigué, et leur expliqua.

— Le Commandant So'Patil vient d'une très ancienne famille noble sur le déclin. Hors, une des caractéristiques de la nouvelle société que l'Empire construit, c'est que la noblesse n'est désormais que partiellement héréditaire.

— Que diable entendez-vous par là ?

Cette planète connaissait le concept de noblesse, comme la plupart des cultures humaines, mais on ne leur avait jamais présenté la variante particulièrement étrange que l'Empire avait créée. Lexan se dévoua donc pour leur expliquer.

— N'importe qui peut être anobli, quelque soit sa naissance, s'il en a le désir et qu'il prouve à travers ses actes qu'il le mérite. Mais pour éviter que ce système ne dégénère en décadence ou en ploutocratie, le contraire est également vrai. Les enfants de nobles peuvent très facilement abandonner leur statut s'ils ne désirent pas ou ne se sentent pas capable d'honorer les devoirs d'un noble. En fait, un enfant de noble doit choisir ce qu'il sera à sa majorité et prouver ses capacités. Il a plus de facilités qu'un enfant ordinaire, c'est vrai, mais ce test est loin d'être facile. Le but de tout ce système est d'avoir des élites compétentes et motivée par un sens du devoir aigu, en jouant à la fois sur la mobilité sociale et l'éducation familiale.

— Et ça marche ? demanda Bauth, visiblement sceptique.

En grande partie, oui. Mais certains rejetons de vieilles familles ont du mal à comprendre le système et s'accrochent aux vielles valeurs.

So'Patil s'étrangla à ses paroles, et reprit la parole.

— Peu importe vos beaux discours. Si je renonce à mes titres, ce sera un déshonneur infamant, nouveau système ou pas. Quand j'ai découvert dans de vielles archives de ma famille que cette planète cachait peut-être des Olds Ships, j'ai compris que c'était la chance de ma vie, une opportunité unique pour être sûre de garder mes titres. Mais cette foutue flotte était introuvable. J'ai eu beau fouiller dans tous les sens, précipiter le ReContact de la planète, envoyer des dizaines d'agents et de locaux, on n'a pas trouvé mieux que trois ruines sans intérêt. Et vous... Vous... En quelques heures, vous faites plus que ce que je n'ai fait en vingt ans !

Elle cracha alors aux pieds de Lexan, qui sursauta, surpris de comportement bien peu aristocratique.

— C'est vrai qu'on a quand même trouvé la flotte très facilement, remarqua Bauth. Comment se fait-il que vos prédécesseurs n'ai rien trouvé d'autre que les ruines superficielles ?

— J'aimerai dire que j'ai été plus malin qu'eux. Il est vrai que je n'ai pas la même spécialité d' agent infiltré qu'eux. Je travaille d'habitude sur des mondes avec une technologie bien plus avancée, et j'ai déjà croisé deux fois de la Old Technology. Ce qui n'est pas le cas du commandant So'Patil ou des agents qu'elle avait à sa disposition. Ce détail aurait pu me donner un précieux avantage, en me faisant appréhender le problème d'une autre façon. Mais pas au point de découvrir aussi facilement et rapidement la flotte. Je pense avoir été baladé autant qu'elle dans cette histoire.

— Mais par qui ?

— Les IA, bien sûr... N'est-ce pas, Kapjati ?

L'IA sortit alors de nulle part, ce qui semblait être sa façon habituelle d'apparaître quelque part. Elle souriait tranquillement.

— On ne peut rien vous cacher, on dirait.

— Vous nous avez tous manipulés depuis le début, n'est-ce pas ? Vous n'avez jamais eu l'intention de vous placer en isolation, mais au contraire de recontacter la civilisation galactique à tout prix. Et bien entendu, vous vouliez contrôler le processus de A à Z. D'où le tunnel de glaise et votre jeu de cache-cache jusqu'à ce que tous les acteurs nécessaires à votre scénario soient présents.

— C'est exactement ça. Vous étiez la seule pièce manquante. Nous vous avons attendu bien ds années. Mais je dois dire que vous avez presque fait plus que vôtre rôle. C'est une bonne leçon pour nous. Même avec nos intelligences supérieures, nous ne pouvons jamais contrôler tous les paramètres de la situation.

L'IA réussissait à avoir un air supérieur même quand elle reconnaissait ses limites. Ce n'était guère surprenant pour des IA de Old Ships, pensa Lexan. Les années qui allaient suivre allaient être mouvementées pour cette planète et les agents de la section RC.

— Nous sommes restés en isolation pendant un temps très long, vraiment très long. Je pense que vous comprendrez que nous avions de terribles raisons de le faire. Quand cette colonie a été fondée, les humains qui nous ont conçues voulaient à tout prix éviter que nos soyons de nouveau utilisées pour provoquer des désastres sans nom. C'est pour cela qu'ils nous ont cachés et ont fondés une colonie à faible niveau technologique. Mais ils ne pouvaient se résoudre à nous détruire. Jusqu'à la fin, ils ont gardé l'espoir qu'un jour, nous puissions sortir de notre cachette et être utile. Quand nous avons découvert la nature de votre Empire, nous avons commencé à penser que le temps était enfin venu.

— Il ne vous décevra pas, dit Lexan. Je vous en fait la promesse.

Les explications semblant terminées, Lexan se tourna vers sa supérieure, qui avait un regard de plus en plus vide.

— Bien. Commandant So'Patil, j'ai bien peur de devoir faire un rapport à mes supérieurs sur Syrma. J'ai assez peu de preuves matérielles sur vos crimes, mais les éléments existant suffisent pour montrer que vous avez trahi la section RC et l'Empire. Une enquête complète va avoir lieu.

So'Patil rigola nerveusement, tout en louchant sur son disrupteur.

— Vous n'allez quand même pas faire une bêtise ? Vous savez bien que je ne peux pas vous laisser échapper aux conséquences de vos actes, quelque soit le moyen que vous choisissez.

— Ne vous inquiétez pas, un suicide de ma part ne ferait que renforcer le déshonneur de ma famille. Je n'ai même pas ce choix à ma portée.

Lexan vit les yeux de sa supérieure, et se mordit les lèvres de regret. Contrairement à Sinyon, elle n'était pas une imbécile prétentieuse et incompétente. Elle était intelligente et avait un sens du devoir aigu. Quel dommage que son comportement soit aussi anachronique, qu'elle n'ait pas su comprendre et accepter le système de l'Empire...

8 août 2345

L'adhésion d'une population locale aux propositions des Galactiques n'était pas toujours chose facile après un ReContact, loin de là. Les changements d'avis de celle-ci pouvaient se faire aussi bien dans un sens que dans l'autre, et pouvaient se produire de façon étonnamment rapide.

Encyclopedia Galactica, édition 2867

Quelques jours plus tard, la planète toute entière avait appris l'existence de la la flotte cachée sous la jungle, et les bouleversements avaient commencés. Tegenyl et Bauth s'était retrouvés propulsés au poste d'intermédiaire entre les IA de la flotte et le gouvernement local, chose pour laquelle ils n'étaient absolument pas préparés. Ils avaient eu beau protester, ils n'avaient pas eu le choix, les IA campant sur leurs positions. Leur vie ordinaire d'habitants d'un village ordinaire au bord de la jungle avait brusquement cessé, et les responsabilités pleuvaient sur eux. Ce n'était cependant que le début, les plus grands changements étaient encore à venir.

Du côté de Lexan, les choses avançaient aussi rapidement. Le contre-amiral Mezrev lui avait adressé ses félicitations, tout en lui annonçant qu'il était encore trop tôt pour lui pour rentrer sur Syrma. Il ne s'était passé que quelques mois depuis l'incident avec Sinyon, et il s'attendait à une telle décision. En conséquence, une nouvelle mission l'attendait, mais cette fois-ci elle serait bien plus adaptée à ses capacités. Sa carrière était donc progressivement de retour sur ses rails, même s'il allait encore falloir s'armer de patience et prouver ses capacités.

Le Commandant So'Patil, avait été mise aux arrêts, et un patrouilleur de la Spatiale était venu la chercher pour la ramener au sein de l'Empire. La nouvelle avait déjà atteint son monde natal, où elle avait fait l'effet d'une bombe, et provoqué la démission de plusieurs membres du gouvernement, liés à la famille So'Patil. Toute la structure dirigeante de cette planète allait enfin devoir se remettre en question.

Il était désormais aux commandes de son yacht, s'apprêtant à quitter le système d'Astafold III. Curieusement, il avait presque des regrets de partir aussi vite. Malgré ses premières impressions catastrophiques, et toutes les réserves qu'il conservait, ce monde avait bel et bien des ressources prometteuses. Elles étaient juste terriblement cachées et impuissantes, du moins elle l'étaient avant que les IA ne décident de sortir de leur cachette. Il allait garder un œil sur ce monde, et s'il en avait l'occasion, il repasserait voir comment les choses avaient évoluées.

À suivre...

Creative Commons License
Ce texte est mis à disposition sous un contrat Creative Commons.