Chroniques des pilotes de syucamechos

Invasion

An 1755 de l'Empire

Les retours des Colonies Perdues dans la communauté galactique se firent le plus souvent en douceur, grâce à l'action de la section ReContact. Bien que ses actions soient très souvent controversées, elle a joué un rôle clé dans la construction de l'Empire Galactique. Il n'est donc pas étonnant qu'elle ait été une cible principale pour les ennemis de l'Empire.

Manuel d'histoire, an 9587.

Je me tournai vers Sonder, ayant encore du mal à croire ce que je voyais et ce que j'entendais, et je vis alors son expression. C'était la même que lors du détournement d'avion. Je comprenais désormais que c'était une détermination froide et sans faille. Il était devant un ennemi qui se refuserait à toute diplomatie, et il allait les éliminer sans hésitation. Mais si je comprenais bien ce qui se passait, il avait désormais en face de lui une invasion planétaire, et non une demi-douzaine de terroristes d'un monde provincial.

- Qu'est-ce qui va se passer ?

- On va leur foutre une raclée bien sûr... Ils ne sont pas de taille face à nous. Je me demande ce qui est passé par la tête de leurs dirigeants, pour autoriser une telle opération. C'est un vrai suicide de leur part.

Sonder avait l'air terriblement sûr de lui, ce qui comme les fois précédentes, n'était pas pour me rassurer.

- Suis-moi.

- Où on va ?

- Vers le Palais Bleu. On va sûrement avoir besoin de moi là-bas.

- Devant le siège du gouvernement ?

- Je pensais plutôt à l'intérieur du bâtiment...

- Carrément... Pourquoi je suis pas étonné ?

Sonder se mit donc à marcher à vive allure, courant presque, vers le quartier de la ville où se situaient Palais, Ministères et divers autres bâtiments officiels. Je me pensais en bonne forme physique et d'un assez bon niveau à la course à pied, mais je constatais vite que j'avais du mal à suivre Sonder, tandis que lui transpirait à peine.

Ce n'était pas encore le chaos autour de nous, mais cela en prenait doucement le chemin. Automobilistes et piétons s'étaient arrêtés, le nez tourné vers le ciel. Quelques accrochages avaient eu lieu ici et là, heureusement sans gravité. Aux fenêtres de tous les bâtiments, on voyait aussi une foule de gens penchés par les fenêtres, essayant de comprendre ce qui se passait en contemplant l'énorme vaisseau qui flottait de façon surréaliste au-dessus de la ville. Il ne faisait pratiquement aucun bruit, et semblait avancer lentement, comme un gigantesque animal qui explorerait paresseusement un nouveau territoire. Personne ne savait comment réagir. Visiblement, la plupart avaient envie de paniquer et n'attendait qu'une excuse pour craquer.

- Ce vaisseau est vraiment immense. Il fait quelle taille à ton avis ?

- Celui-là ? Non, il ne doit même pas faire 400 mètres, c'est juste un petit patrouilleur. Tu n'as encore rien vu.

- Ah... Je te crois sur parole.

Cependant, on arrivait enfin en vie du Palais Bleu, et de plus en plus de policiers étaient visibles. Ils semblaient occupés à repousser les passants pour créer un périmètre de sécurité autour des bâtiments sensibles. Ce qui bien sur n'était pas une mince affaire, et la tension était monté d'un ou deux crans par rapports aux quartiers plus ordinaires d'où nous venions. Sonder ralentit un peu, et je pu lui demander :

- J'ai pas l'impression qu'ils vont nous laisser faire. Qu'est-ce tu comptes faire ?

Cependant, il n'eut pas le temps de me répondre. Un éclair bleuté m'aveugla brièvement, et un individu étrange apparut au milieu de la rue devant nous. Il devait faire dans les 2m30 et avait six bras. Tout le monde – moi, les passants, les flics –  comprit alors que cet être venait du vaisseau qui nous surplombait, quelque soit le moyen qu'il ait employé pour en descendre. Il portait une armure noire et un immense objet allongé qui ne pouvait qu'être une arme. Pas vraiment l'allure qu'on pouvait attendre d'un explorateur pacifique. La panique que je redoutais depuis plusieurs longues minutes explosa tout autour de moi.

À l'exception de l'intrus, de Sonder et de moi-même, tous les êtres vivants se mirent alors à fuir en poussant de cris de panique presque comiques tant ils étaient irréalistes. Tout se fit dans le désordre le plus total, personne ne semblant se préoccuper d'où fuir, des autres personnes présentes ou de ce qui se trouvait sur leur passage. Mêmes les flics couraient avec tout le monde, renonçant à accomplir leur devoir. Pour ma part, je restais près de Sonder, une petite voix me disant que j'avais plus de chance de m'en sortir en lui collant au cul.

- Agent de l'impérialisme ! beugla la créature en armure. Prépare-toi à disparaître de cet univers.

Visiblement, il avait repéré que Sonder n'était pas de ce monde et était venu à sa rencontre.  Ce dernier répondit, avec un calme et un sérieux où ne perçait pas le moindre doute :

- Comment osez-vous attaquer une Colonie Perdue ? Cette planète est sous la protection de l'Empire Fédéral du Bras d'Orion et de l'Oligarchie Xyvagagarienne. Vous n'avez aucun droit légitime de vous trouver ici. Partez immédiatement !

- Tes menaces ne me font pas peur, Humain ! Ce système nous revient de droit de par son emplacement galactique, et les humains qui l'habitent n'ont jamais reçu notre permission de s'installer. Ils vont devoir partir ou mourir.

- Fadaises !

- Je vois que vous autres humains êtes toujours aussi fanatiques et bornés. Cessons donc ces parlotes inutiles, et battons-nous.

L'intrus ouvrit alors une de ces mains qu'il avait jusque là tenues soigneusement fermées, comme si elle tenait un petit objet précieux. Aussitôt l'environnement devint alors franchement étrange. Le ciel prit une couleur rosée, ressemblant superficiellement à certains crépuscules, mais sans vraiment être une couleur naturelle. Les immeubles, les arbres, le mobilier urbain, les voitures abandonnées... semblaient moins réels, donnant l'impression qu'on voyait au travers, sans pour autant être transparents. D'autres objets, aux formes et aux couleurs étranges firent leur apparition.

Dans le ciel, je vis une Lune immense, et deux planètes que j'identifiais à leur apparence comme Serta et Nedla, qui avaient une allure normale si ce n'était leur diamètre apparent, bien trop grand, comme celui de la Lune. En revanche, le paysage disparaissait dans une espèce de brouillard au bout d'une centaine de mètres. Je compris intuitivement que si je partais dans cette direction, je ne pourrai pas aller au-delà de ce brouillard, ou pire, je ne reviendrai jamais.

- Et merde, fit tout bas Sonder... Comme si j'avais du temps à perdre avec des gêneurs qui maitrisent on ne sait comment le passage au Plan Astral.

Puis, reprenant sa discussion avec l'ennemi :

- Je ne savais pas les tiens aussi confidents dans leur capacité de magiciens. On essaie de jouer dans la cour des grands ?

Il matérialisa alors une épée à la forme étrange, avec une lame bifide, et se mit en garde. En voyant cette scène, je comprenais un peu mieux son talent d'escrimeur, même si l'idée d'un combat à l'épée entre deux extra-planétaires, à l'ombre d'un vaisseau spatial géant, me semblait une mauvaise blague.

L'ennemi fonça alors sur Sonder à grande vitesse, se déplaçant comme s'il était monté sur des patins à glace, bien que je n'aperçoive rien qui y ressemble sous les bottes de son armure. Sonder para sans difficulté apparente cette première attaque, puis une succession rapide de passes d'arme se fit, détruisant au passage plusieurs éléments de mobilier urbain qui s'éparpillèrent en redoutables shrapnels. Je me mis précipitamment à l'abri, ratant quelques secondes du combat. Les deux combattants finirent par s'éloigner l'un de l'autre de quelques mètres, se jaugeant à nouveau du regard après cet échauffement, si on pouvait l'appeler comme ça.

- Je suis pressé, passons donc aux choses sérieuses, lança alors Sonder.

- Avec joie !

Comme s'il n'y en avait pas encore assez, deux nouvelles manifestations de ce qui ressemblait fortement à de la magie apparurent : des cercles lumineux mélangeant pentacles et symboles étranges apparurent sous eux, tournant lentement. La logique me disait que c'était probablement une technologie trop exotique pour que je la comprenne, mais Sonder avait bel et bien qualifié son adversaire de magicien. Du coup, je ne savais plus trop que penser. Les extra-terrestres étaient censés se battre à coup de pistolets laser, pas de sortilèges !

En effet, au lieu de se battre à coups d'épées, c'était bel et bien quelque chose qui ressemblait à des sortilèges, des maléfices ou quelque chose dans ce style qui fusait tout autour de moi. Ils prenaient la forme de vagues d'énergie de couleurs variées, que les deux adversaires lançaient de la main ou plus souvent, depuis l'extrémité de leurs épées tout en marmonnant à voie basse. Mon premier abri fut touché, et je courus me planquer derrière une voiture renversée, les coups perdus pulvérisant des morceaux de chaussée en répandant une pluie de débris brûlants aux alentours. Aucun des deux adversaires ne semblait cependant prendre le dessus, et je redoutais que le combat s'éternise, quand une espèce de déchirure apparut au bout de la rue, là ou le brouillard devenait épais.

Une jeune femme apparut alors, se dirigeant lentement vers les deux combattants qui ne l'avaient pas encore remarquée. Sa démarche était calme, déterminé, sûre d'elle-même et de ses compétences. Elle portait une tenue étrange, et sa chevelure châtain formait trois longues nattes dans lesquelles je distinguais des fils d'or étincelants. Elle avait avec elle une arme assez impressionnante, une lance longue de presque trois mètres, avec une lame à la forme exotique. Son visage me rappelait quelqu'un, mais impossible de mettre un nom dessus. À ses côtés se trouvait un animal de belle taille, au pelage blanc rayé de noir, et doté d'une très belle dentition de carnivore. Malgré ses allures de grand prédateur, il la suivait docilement, se déplaçant avec une grâce et une souplesse surnaturelle, regardant avec une curiosité confiante le combat qui se déroulait.

- Je vous dérange ? demanda la nouvelle venue, avec un soupçon d'ironie.

- Kaguya ! s'exclama Sonder. Désolé de n'avoir pas pu te rejoindre au Palais Bleu. Comme tu peux le voir, j'ai été retardé par un gêneur.

Les deux combattants s'étaient interrompus, et la nouvelle venue les regardait avec des yeux brillants. L'adversaire de Sonder semblait assez contrarié de cet interlude imprévu et se remit à abreuver Sonder d'injures.

- Laisse-moi donc m'occuper de lui. J'ai besoin de me défouler, après tant de mois en infiltration.

- Comme tu voudras. Qui suis-je pour contredire une technomage comme toi ?

Je réalisai alors pourquoi son visage me disait quelque chose. Je ne l'avais pas reconnu à cause du changement radical de style vestimentaire, mais ce n'était autre que Natja Ayuh, la secrétaire d'État aux énergies renouvelables. Déjà que l'opposition l'avait sans cesse critiquée pour sa jeunesse, et donc son manque d'expérience à leurs yeux, mais s'ils l'avaient vu dans cette tenue excentrique, ils l'auraient crucifiée sur place. En tout cas, notre gouvernement semblait très bien infiltré, chose dont je ne savais si je devais me réjouir ou être effrayé.

- Sonder, dis-je à mon ami qui me rejoignait, est-ce qu'à un moment le monde va cesser de devenir de plus en plus bizarre ?

- Mmmm. Probablement pas pour toi. Bienvenue chez les fous.

- C'est bien ce que je redoutais.

Cependant, l'ennemi avait tenté de reprendre son combat avec Sonder, pour être aussitôt bloqué par Kaguya. Cette dernière lui balança brusquement un sortilège, quasiment à bout portant, qui le propulsa violemment vingt mètres en arrière, où il s'écrasa violemment contre un mur. Tout être vivant normalement constitué aurait eu tous ses os réduits en miettes, mais pas lui, et il se contenta de se relever et de pousser un cri de guerre.

- Kaguya est la plus puissante technomage de notre équipe, et probablement de ce coin de la galaxie. Il ne va pas faire long feu, surtout si elle a besoin de se défouler.

- En tout cas c'est impressionnant, on n'a pas le temps de s'ennuyer. Mais j'aimerais bien comprendre un peu ce qui se passe. C'est vraiment de la magie, ce que je suis en train de voir ?

- Ouais. De la technomagie de combat de haut niveau, veinard.

- J'ai un peu de mal à l'idée que la magie existe. Des extra-planétaires, une technologie qui nous dépasse de loin, OK. Mais de la magie ? C'est complètement irrationnel !

- Ne crois pas ça. La magie a ses règles, et sa propre cohérence interne, même si elle est parfois difficile à comprendre. Pour simplifier, dis-toi qu'une espèce intelligente de cette galaxie a deux méthodes possibles pour interagir avec l'univers : la science et la magie. Autrefois, ces deux paradigmes étaient vus comme strictement incompatibles. Au point qu'il existait deux sociétés galactiques prospères qui chacune ignoraient jusqu'à l'existence même de l'autre.

- De toute évidence, quelqu'un à trouvé un moyen pour outrepasser cette incompatibilité. Sinon on n'aurait pas été attaqués par un gus qui se téléporte de son vaisseau spatial pour balancer des sortilèges par douzaines.

- Exactement ! Tu vois que c'est pas compliqué, tout ça, tu commences à comprendre ce qui se passe sans même que je te donne les explications. La découverte de la technomagie est précisément une des causes de la fondation de l'Empire, de la prospérité économique actuelle, et de ma présence ici comme agent infiltré.

- Ça fait un peu trop de choses à assimiler en un seul jour...

Cependant, Kaguya était visiblement en train de s'amuser comme une folle, et son adversaire de plus en plus mal en point. Ce dernier ne semblait cependant pas s'avouer vaincu, et repartait à la charge sans se laisser une seconde de répit. Il hurlait comme un dément et du sang coulait de ses yeux, le rendant franchement effrayant.

- Il est en train de jouer sa dernière carte... Ça ne va pas durer très longtemps, me dit Sonder.

En effet, le cercle magique situé sous les pieds de l'extra-planétaire ne cessait de grandir, et le sol se mit à vibrer comme pendant un léger tremblement de terre. Kaguya se contentait de le regarder, avec un petit sourire en coin, affichant une confiance absolue.

- Sale putain d'Hécate ! hurla l'extra-planétaire.

Il fonça alors sur Kaguya, tenant son grand bourdon de mage à deux mains, pointé sur elle. Il brillait comme de l'acier en fusion, et je dus mettre ma main devant mes yeux, à moitié aveuglé. Kaguya ne bougea pas d'un centimètre, et son adversaire la percuta à pleine vitesse. Mais elle encaissa le coup sans broncher, comme si elle aspirait la magie et l'énergie de l'autre.

- Tu es décevant, se contenta de dire Kaguya.

Le guerrier recula de quelque pas, visiblement à bout de force, ayant épuisé toute son énergie physique comme magique. Puis il s'écroula sur place.

Le ciel, les immeubles et tout ce qui nous entourait redevint alors normal, aussi bien dans leurs couleurs que dans leurs formes. Sonder se releva tranquillement et me fit signe de les suivre.

Je suivais donc tous les deux, un peu las de me faire trimballer ainsi, tout en sachant que je ne pouvais pas les quitter sans le regretter toute ma vie par la suite. De toute façon, je doutais que Sonder veuille me lâcher alors qu'il m'avait sous la main. J'avais un rôle prévu dans leur plan, ne serait-ce que comme témoin de leurs actions. En quelques minutes, nous arrivâmes enfin au Palais Bleu, qui, sans surprise, était en état de siège. La dénommée Kaguya sortit ses accréditations pour passer le barrage des gardes, mais sans succès. Les énergies renouvelables ne devaient pas être à l'ordre du jour.

- Oh, et puis merde...

Elle accompagna ce juron d'une espèce de claquement de doigts, et les gardes se mirent au garde à vous pour nous laisser passer. J'essayais de me faire tout petit, mais c'était probablement inutile. Désormais, tout notre petit groupe hétéroclite semblait pouvoir se déplacer dans les zones les plus sécurisées comme chez lui. Vu la taille du bâtiment et de ses dépendances, ce n'était pas du luxe : nous rencontrions des gardes sans arrêt, et notre but semblait toujours plus loin. Je perdis vite tout sens de l'orientation, après avoir parcouru d'innombrables couloirs, ascenseurs et escaliers.

- On arrive, dit à un moment Kaguya.

La pièce où nous étions, probablement en sous-sol, mais je ne pouvais en être sûr, était de grande taille, mais remplie de tant de gens qu'elle semblait minuscule. De nombreuses personnes étaient en uniforme, avec le plus souvent tout un assortiment de médailles qui devait peser son poids, et cliquetait sans cesse. Au milieu de tout ce beau monde se trouvait ni plus ni moins que l'impératrice en personne, en train de donner des ordres avec un air sévère. Un homme à l'allure quelconque se trouvait à son côté, qui nous repéra immédiatement.

- Sonder, Kaguya, content de vous voir. Votre Majesté, je vous présente deux de nos agents, même s'il me semble que vous en connaissez déjà un.

- En effet, dit-elle d'un air glacial. Je vous avais toujours considéré comme une jeune  collaboratrice sympathique et prometteuse, madame Ayuh. Je comprends pourquoi maintenant.

- Croyez bien que je suis navrée d'avoir dissimulé mon identité réelle. Mais vous comprendrez la nécessité : c'est la seule méthode qui fonctionne pour les missions de la section RC.

- C'est ce que vous dîtes... Enfin, je suppose que ce n'est ni le lieu ni le moment de s'éterniser sur ce sujet. Nous avons des ennemis communs à repousser.

- Où en est la situation ?

Un des généraux bardés de médailles prit la parole pour faire le point des derniers événements.

- Le gouvernement est en sécurité, mais plusieurs sites militaires ne répondent pas, en particulier deux sites de missiles stratégiques. En outre, des vaisseaux survolent chaque grande ville. Cette tactique semble ne viser que l'intimidation, mais elle marche diablement bien. La situation semble en outre pire dans plusieurs autres pays.

Je ne pus m'empêcher de ressentir un frisson. Même un civil comme moi ne savait que trop bien ce qui était désigné sous l'euphémisme de « missiles stratégiques ». Mes compatriotes avaient tous une expression grave et préoccupée qui ne me rassurait guère. Mais les galactiques semblaient bien plus confiants.

- Plusieurs de nos syuks sont en route pour évaluer la situation, et agir si nécessaire. Il est hors de question pour nous de laisser les Mandriens faire des dégâts à leur guise.

L'impératrice et les généraux présents autour de nous grincèrent des dents à cette déclaration, la plupart regardant les galactiques avec au mieux de la méfiance, au pire, une haine farouche.

- Nos troupes sont parfaitement capables de gérer cette crise, fit un général, avec une voix coupante comme un rasoir. Je m'oppose à toute idée de laisser n'importe quel extraplanétaire s'approcher de nos installations stratégiques.

- Général, répondit l'impératrice, d'un ton encore plus glacial. Je comprends votre méfiance, puisque vous avez découvert l'existence des galactiques et des agents de la section RC il y a moins d'une heure. Mais quand je dis qu'ils sont notre seule chance de survie, je ne plaisante pas. Cela fait dix ans que je les connais, et ils m'ont apportés assez de preuves de leurs intentions pour que je leur fasse confiance. Et ce malgré tous les petits secrets exaspérants qu'ils gardent sur leurs agents infiltrés.

- C'est humiliant...

- Nous n'avons pas le choix. La galaxie est vaste, et les enjeux politiques et militaires qui y prennent place nous dépassent de loin. Nous devons simplement nous réjouir du fait que toutes ses légendes stupides sur une origine extraplanétaire de notre peuple sont vraies. Les humains sont puissants dans la galaxie, et ils accueillent avec enthousiasme leurs cousins égarés. Si nous surmontons cette crise, nous allons entrer dans une nouvelle ère de prospérité. Alors, merde, soit vous faites entièrement confiance à nos alliés de l'espace, soit vous me présentez immédiatement votre démission et vous serez escorté poliment vers la sortie. Notez bien qu'aucun reproche ne vous sera adressé si vous faites ce choix. Mais je ne veux plus entendre personne ronchonner. Compris ?

- Oui, Votre Majesté.

Personne ne fit mine de démissionner. De mon côté, j'avais du mal à en croire mes oreilles. L'impératrice avait juré. Elle qui était le parangon des bonnes manières de la haute société, avait actuellement prononcé un mot vulgaire. Pour certains, cette phrase serait probablement vue comme historiquement plus significative que l'invasion elle-même.

Une fois passé cette désagréable mise au point, tout le monde reporta son attention sur la situation. Une carte tactique de la planète, du pays et de la capitale était affichée, faisant terriblement ressembler la pièce à une salle de guerre de film d'espionnage, le design futuriste et l'allure neuve en moins.

- Si je puis me permettre, fit le chef de Sonder et Kaguya, qui se trouvait juste à côté de l'impératrice.

Il pianota sur une télécommande, et de nouveaux symboles apparurent sur la carte tactique. Plusieurs généraux grincèrent des dents en constatant que le système de défense lui-même avait été modifié, probablement depuis des années, par la section RC.

- Selon les informations dont nous disposons à l'heure actuelle, la stratégie des envahisseurs est de prendre en otage les élites de la planète, et de s'emparer de nombreux sites militaires, en particulier ceux abritant des armes nucléaires. Tous les pays, des plus petits au plus grands, semblent visés. De façon surprenante, ils cherchent également la confrontation directe avec nos agents. Bien entendu, ces derniers ont systématiquement étés victorieux de ces escarmouches. Si cette attaque nous a tous pris par surprise, leurs capacités technologiques, magiques et logistiques sont conformes à nos informations. Ils ne sont pas de taille, et semblent s'en moquer. De toute évidence, ce sont les éléments les plus fanatiques qui ont montés cette opération suicide. Il est probable qu'elle ne soit pas approuvée, du moins officiellement, par le pouvoir central de Mandria, et qu'ils n'attendent pas de renforts...

- On ne risque rien alors, l'interrompit un général en reniflant de dégoût.

- Ce n'est hélas pas aussi simple. Certes, notre victoire à terme ne fait pas de doutes, mais leur but n'est probablement pas une invasion en bonne et due forme. À mon avis, ce serait plutôt de semer le chaos et la ruine sur cette planète. Malgré notre supériorité, nous ne pouvons être partout, et ils ont la capacité de provoquer des dégâts nombreux et importants. Une seule attaque nucléaire réussie provoquerait des pertes humaines massives, une catastrophe pour cette planète. Les conséquences politiques seraient particulièrement désastreuses à long terme, et ce pour des milliards d'être humains dans ce secteur de la galaxie. Si ces fanatiques ont un semblant de plan sensé, il est probablement de cette sorte.

Les militaires locaux étaient atterrés, et l'un d'entre eux pris la parole, ayant besoin de confirmer ce qu'il venait d'entendre.

- Vous nous dites que cette invasion est en fait une attaque suicide destiné à nous faire mal, à semer le chaos, et non à réussir ? Nous ne sommes que des jouets au sein de la politique galactique ?

- Oui. C'est très probable.

Un murmure de colère et de frustration contenue parcourra la salle. C'était quelque peu humiliant d'être ainsi un simple pion au sein de quelque chose qui les dépassaient. Ils commençaient à mieux comprendre les paroles de l'impératrice quelques minutes plus tôt.

- Que proposez-vous, alors ?

- Tout va reposer sur le timing et la précision. Des renforts devraient arriver sous peu, mais en attendant, nous manquons terriblement de monde. Il va donc falloir être extrêmement réactif et bloquer chaque tentative de l'ennemi le plus tôt possible. Toute fausse alerte qui détourne un de nos agents d'une manœuvre réelle de l'ennemi peut mener à la catastrophe.

Il se tourna vers l'écran, et commença à expliquer la signification des nouveaux symboles qui y étaient apparus.

- Vous pouvez voir ici la position orbitale de leurs vaisseaux, et le statut des gouvernements de chaque pays, ainsi que celui des sites militaires visés. Ces symboles, en revanche correspondent à nos vaisseaux. Vous remarquerez que nous n'avons que des vaisseaux légers à leur opposer, puisque notre mission était de vous aider à revenir dans la civilisation galactique, et non de vous envahir. C'est un handicap bien moins gênant que ce que vous pourriez penser. Nos syuks, bien qu'étant des vaisseaux monoplaces ou biplaces de la taille de vos avions de chasse, sont technologiquement bien plus avancés que leurs croiseurs, et bien plus polyvalents.

À ce moment, un point se mit à clignoter, qui, au grand effroi de toutes les personnes présentes, se trouvait à seulement vingt kilomètres de la capitale.

- Il semblerait qu'ils veuillent s'en prendre aux installations défendant Slanbourg. C'est le moment de vérité... Costhe, tu peux t'en charger ?

Une fenêtre vidéo s'ouvrit alors dans un coin de la carte, et le visage du pilote de syuk que j'avais rencontré la nuit au lac fossile de Der'sal.

- OK, je m'en charge. Je viens de me débarrasser d'un patrouilleur qui faisait mine de s'approcher de Slanbourg. Mais ça va être serré.

- Vous avez carte blanche...

- Oh... dit Costhe, visiblement surpris. On en est à ce point là.

- Hélas...

Les pilotes de syucamechos étaient la colonne vertébrale de la section RC. En conséquence, ils disposaient d'un degré d'autonomie non négligeable face à leurs supérieurs. Ils ne faisaient cependant pas n'importe quoi, loin de là. Ne pas ternir leur réputation, aussi bien au niveau individuel que collectif, était un puissant garde-fou.

Manuel d'histoire, an 9587.

Quelques heures plus tôt, Lirtyo prenait un train régional omnibus et s'arrêtait dans une petite ville située au nord-est de la capitale. Normalement, il aurait dû aller en cours, mais il était tombé sur des infos via le réseau à propos d'essais des derniers chasseurs de l'armée de l'air. C'était les modèles les plus récents à avoir été dévoilé au public, une toute nouvelle génération d'appareils, et il existait encore très peu d'images de ces derniers. Si plusieurs exemplaires étaient déployés sur une base aussi près de chez lui, il était hors de question de rater ça. Il n'avait donc pas hésité, et avait pris tout son matériel, un sandwich, et était parti à la chasse aux images inédites.

La journée s'avéra cependant bien plus surprenante que prévue. Après de longues heures d'attente sans succès, il commençait à paraître suspect aux yeux des locaux. Mais, alors qu'il perdait espoir, il entendit enfin le bruit d'un avion qui approchait, sans pouvoir le reconnaître. Il braqua aussitôt sa caméra et son appareil photo dans la direction d'où le bruit venait, certain d'avoir affaire à ce fameux nouveau modèle. Mais il fut vite surpris de voire une douzaine de chasseurs rouge sang ne ressemblant absolument pas à ce qu'il attendait, ni même à quoique ce soit qu'il connaisse.

- Qu'est ce que c'est que ce bazar ?

Il comprit que quelque chose n'allait pas du tout quand les nouveaux arrivants se mirent à lancer une bordée de missiles vers la base, et ce n'était probablement pas un exercice. Bouche bée, fasciné, il les regarda filer dans une magnifique trajectoire vers les bâtiments de la base, puis exploser presque tous en même temps quelques secondes avant l'impact. Un nouvel appareil venait d'apparaître, sortant de nulle part. Cependant, cette fois, il le reconnut sans hésiter une seconde. C'était le mystérieux appareil qui les avait aidés au cours du détournement.

Lirtyo était terrorisé par ce qui se passait, il ne comprenait que trop bien que ce qui se déroulait sous ses yeux était réel et sérieux. Mais pour rien au monde il ne serait parti se mettre à l'abri loin de là et rater ce qui était en train de se passer. C'était tout simplement la chance de sa vie. Le chasseur qu'il supposait ami descendit quatre ennemis d'un seul coup, ou tout du moins, de quatre coups qui lui semblèrent simultanés. Les survivants rompirent aussitôt leur formation pour l'encercler, formant une sphère virtuelle autour de lui. Ils ne semblaient pas vouloir se laisser descendre sans rien dire.

Lirtyo, se reprenant, se mit à mitrailler les combats avec son appareil photo, même si ces derniers étaient probablement trop loin pour que les clichés soient réussis. Et en plus comme il tremblait de tous ses membres, ça n'allait rien arranger. Les chasseurs lancèrent alors une quantité impressionnante de missiles, qui, contrairement aux précédents, étaient à fragmentation.

En quelques secondes, le ciel fut littéralement rempli de trainées de mini-missiles, rendant la scène particulièrement confuse. Puis les explosions commencèrent, petites, mais nombreuses, produisant un bruit assourdissant et une lumière aveuglante. Lirtyo cru voir plusieurs chasseurs exploser, sans savoir si le chasseur ami faisait parti du nombre.

Peu à peu, les débris et la fumée se dissipèrent, et un unique chasseur émergea, quoique sur une trajectoire en apparence erratique. En fait, il fonçait droit sur Lirtyo. Ce dernier plongea dans un fossé, non sans songer que si l'appareil lui tombait dessus, ça ne ferait probablement aucune différence. Heureusement, le chasseur reprit une trajectoire plus élégante, et se posa, un peu brusquement, mais de façon parfaitement contrôlée, à une dizaine de mètres de lui.

Lirtyo constata alors que son train d'atterrissage n'avait pas de roues visibles, mais ressemblait plus à des pattes de rapace. En fait, il s'était posé quasiment à la verticale, dans une trajectoire plus proche de celle d'un oiseau que de celle d'un avion. Il n'était cependant pas un oiseau mécanique comme certains ingénieurs en rêvait : ses réacteurs et bon nombre de ses manœuvres le prouvait. Lirtyo était déjà amoureux de ce chasseur, d'où qu'il vienne : qui que soit les gens qui l'avaient conçu et fabriqué, c'était des génies.

Le cockpit s'ouvrit alors, révélant un jeune homme à peine plus âgé que lui.

- Tiens, mais je te reconnais toi. T'étais le geek de service lors du détournement d'avion non ?

La mâchoire de Lirtyo faillit toucher terre.

Quelques minutes plus tard, il se retrouvait à bord du syuk, puisque tel semblait être le nom de ce type d'appareil. Le pilote lui avait en effet fait une proposition qu'il ne pouvait pas refuser :

- Monte, tu vas pas être déçu du voyage.

Il avait ensuite ajouté que sa hiérarchie n'allait sûrement pas apprécier une telle initiative de sa part, mais qu'il s'en fichait. De toute évidence, il faisait partie d'une armée qui n'avait pas la même idée de la discipline que celle de l'Empire.

- Je te branche en parallèle. Tu vas pouvoir suivre tout ce qui se passe exactement de la même façon que moi. Mais bien sûr, je garde les manettes.

Le siège dans lequel il s'installa, ou tout du moins ce qui y ressemblait, était profond et bien molletonné, ce qui le rendait incroyablement confortable. Il ne vit nulle part le moindre bouton, manette, écran, ou quoi que ce soit qui ressemble à une interface physique. Avant qu'il n'ait le temps de poser une question, la canopée se referma, et le capitonnage sembla gonfler pour occuper tout l'espace disponible. Lirtyo comprit que c'était sans doute pour compenser les g, mais il se félicita intérieurement de ne pas être claustrophobe. Puis il eut l'impression terriblement nette de perdre son corps.

Au début, il ne comprit tout simplement pas ce qui lui arrivait. Il ne sentait plus son corps, ne voyait plus, n'entendait plus, ne ressentait plus rien. Mais pourtant, une quantité invraisemblable de stimuli se bousculait à l'entrée de son cerveau. Sans trop qu'il sache comment, son cerveau commença à pouvoir faire le tri dans tout ce fatras. Il constata qu'il était en train de voler, à une vitesse élevée, et qu'il était déjà probablement à plusieurs kilomètres de leur point de départ. Il réalisa soudainement qu'il pouvait voir à 360° dans toutes les directions, c'est-à-dire qu'il n'avait pas besoin de bouger ni son corps ni même sa tête pour voir derrière lui, au-dessous ou au-dessus. Il voulut hurler, s'agripper à quelque chose, ou manifester sa panique d'une quelconque autre façon, mais en l'absence de corps, il ne pouvait même pas se reposer sur ce genre de réaction.

La sensation était très perturbante, mais ce n'était que le début. Les couleurs étaient étranges, bien trop nombreuses. Après de longues minutes de perplexité, il comprit qu'il voyait non seulement dans le visible, mais aussi dans l'infrarouge, l'ultraviolet, le spectre radio, les rayons X... En fait, la quasi-totalité du spectre électromagnétique. C'était impossible, mais il n'y avait pas d'autre explication.

Son cerveau fonctionnait à toute allure. Une fois qu'il eut apprivoisé ces données visuelles, il les mit de côté et se concentra sur d'autres stimuli. Il commençait à comprendre le principe, même si ce qui se passait à l'extérieur ressemblait encore à une hallucination sans queue ni tête. Des combats, probablement, mais tout se passait bien trop vite et il avait déjà fort à faire avec ces expérimentations. En plus des données visuelles, il y en avait en provenance de divers radars, de senseurs internes et externes répartis sur tout le syuk, et de composants dont il ne comprenait même pas le rôle ou la nature.

 Il commença à assembler les pièces du puzzle, et considérait de plus en plus le syuk comme son propre corps. Il ne pouvait pas le faire bouger, ce qui était logique s'il était branché en « parallèle », mais ressentait le moindre des évènements qui s'y passait, et avait une idée de plus en plus clair de son organisation interne. De toute évidence, la technologie qui le composait était incroyablement avancée, bien au-delà de ce qui existait sur sa planète, que ce soit sur le terrain où dans les projets futuristes. En fait, ça dépassait même la quasi-totalité de ce qu'avait imaginé les auteurs de science fiction.

Peu à peu, il comprit ce qui se passait autour de lui. Les combats se poursuivaient, avec un ratio terriblement en leur défaveur, ce qui ne semblait pas inquiéter le pilote. Ce dernier continuait tranquillement à descendre ses ennemis en multipliant des dogfights insensés. Lirtyo songea alors à prendre un peu de recul, et spontanément, une nouvelle interface de stimuli s'ouvrit à lui. Commençant à l'explorer, il découvrit que c'était une liaison vers un réseau de satellites en orbite qui surveillait toute la surface de la planète et son atmosphère. Une flotte de vaisseaux spatiaux était disposée tout autour de la planète, survolant les grandes villes, tandis qu'un grand nombre de chasseurs ou de fantassins se déployaient autour de centaines de points stratégiques de chaque nation. Un immense vaisseau en orbite semblait diriger le tout. Il réalisa avec effroi que sans l'aide de ces mystérieux alliés, ils auraient été envahis et vaincus en quelques minutes. La différence de technologie était tout simplement écrasante. Mais c'était loin d'être gagné. Même si les défenseurs alignaient les envahisseurs et exerçaient un véritable massacre, ces derniers étaient tellement plus nombreux... Puis une nouvelle information arriva, qui fit passer une quantité impressionnante d'indicateur tactique au vert. Lirtyo, déboussolé mais aux anges, regarda ce qui se passait sans en perdre une seule miette.

Ce ne fut que vers la fin de l'unification galactique que l'empire rendit publique la vraie nature de ses technologies les plus avancées. Laisser les adversaires de l'unification croire que les technologies cachées au sein des syuks ou des vaisseaux spatiaux étaient simplement plus avancées, fut un atout indéniable permettant d'avoir systématiquement l'avantage de la surprise en cas de crise grave.

Manuel d'histoire, an 9587.

Avec un léger frémissement, imperceptible pour un passager néophyte, mais immanquable pour n'importe quel membre d'équipage, le croiseur d'intervention Čerenkov sortit de l'hyperespace accompagné de son escadre, juste au-dessus de l'orbite géostationnaire de Mandola. Ses armements étaient tous activés, son bouclier levé, et ses innombrables senseurs ne mirent que quelques dixièmes de secondes à faire une analyse complète de la situation.

- La flotte ennemie se compose de vingt trois vaisseaux, menés par un croiseur léger de classe Tyline, capitaine. Ils sont tous en survol au-dessus des principaux centres urbains de la planète, sauf le croiseur qui est en orbite basse.

- Ouvrez toutes les fréquences diplomatiques. Nous devons respecter les formes et leur adresser un avertissement avant de les anéantir.

- À vos ordres.

- Flotte Mandrienne, ici le capitaine Cerdic Wang, du vaisseau impérial Čerenkov. Votre incursion au sein de cette colonie perdue xyvagagarienne constitue un acte de déclaration de guerre envers l'Empire Fédéral du Bras d'Orion et Oligarchie Xyvagagarienne. Quittez immédiatement ce système, ou nous serons dans l'obligation d'intervenir.

- Aucune réponse de leur part capitaine. Juste l'accusé de réception technique.

- C'était prévisible... Officier Cantær; trajectoire d'interception vers le croiseur. Nos chasseurs se chargeront des autres vaisseaux. Où en sont nos agents sur place ?

- La liaison tactique avec le vaisseau de coordination est en place.

- Sur écran.

Le visage du capitaine de ce dit-vaisseau apparut alors sur l'écran principal de la passerelle.  Ce dernier avait visiblement l'air soulagé de voir arriver le Čerenkovw.

- Ravi de vous voir, capitaine Wang. Les Mandriens nous ont pris complètement par surprise. Votre présence va permettre de limiter grandement les dégâts.

- C'est le cas de le dire, capitaine Sukarno. Ce mouvement surprise de leur part va secouer tout ce secteur de la galaxie. Il faut absolument que nous réduisions à néant cette opération, ou le programme de ReContact sera mis en difficulté.

- J'ai bien peur qu'ils soient prêts à tout pour détruire Mandola. Leur positionnement en orbite basse me fait craindre le pire pour la population locale.

- Ils oseraient bombarder une Colonie Perdue sous nos yeux ?

- Sans hésitation, hélas. Ils ont déjà commencé à se comporter en terrain conquis et ont pris en otage les gouvernements de trois pays. Nos agents infiltrés à la surface sont en plein combat pour éviter que ce nombre augmente.

- Je vois. Nous allons devoir marcher sur des œufs pour les arrêter.

La liaison fut alors mis en arrière plan et les deux capitaines reportèrent leur attention sur la situation. Le vaisseau s'était placé en orbite à quelques kilomètres à peine du croiseur ennemi, le suivant à la trace.

- Toujours aucun signe de réaction à notre présence, capitaine.

- Mmmm... fit l'officier en second. Ils savent que nous ne voulons en aucun cas causer de dégâts à la surface de la planète. Avec cette orbite basse, il est hors de question de leur tirer dessus. Le moindre coup manqué provoquerait un désastre à la surface.

- Oui. Ils ont très bien choisi leur tactique. Mais cela ne va pas nous arrêter... Le reste de l'escadre va s'occuper sans problème de leurs petits vaisseaux, mais seul le Čerenkov peut stopper ce classe Tyline.

- Capitaine ? Vous êtes sur ?

- Je sais, je sais... Nous devons éviter de montrer certaines de nos capacités technologiques aux nations ennemies comme les Mandriens. Mais la situation ne nous laisse guère de choix. La sécurité d'une Colonie Perdue est une priorité absolue. Votre avis, Marc ?

- J'aurais préféré avoir d'autres options, mais nous n'avons pas ce luxe. Je ne peux qu'approuver votre décision.

- Bien. Activez les moteurs de puits. Préparez le vaisseau pour une plongée atmosphérique !

Si l'équipage fut surpris, personne sur la passerelle ne le montra. Les ordres du capitaine furent exécutés promptement, et les vibrations des moteurs changèrent progressivement de nature. Le vaisseau changea de direction, décrochant brusquement de son orbite, à la grande surprise des Mandriens, qui se pensaient à l'abri.

Ces derniers étaient forts confiants dans leur stratégie, pensant s'être placée au meilleur endroit possible pour atteindre leurs objectifs tout en paralysant l'ennemi. L'arrivée du croiseur aussi tôt ne les avait certes pas enchantés, mais ils restaient persuadés que ce dernier n'oserait pas les attaquer de front. Aussi, la manœuvre du Čerenkov les prit totalement au dépourvu.

- Capitaine ! Le vaisseau humain a rompu l'orbite.

- Déjà ? Ils battent en retraite vers une orbite haute ?

- Non, capitaine, je veux dire qu'ils vont vers la planète !

- C'est impossible, voyons. Personne ne peut faire une telle manœuvre au beau milieu d'un  puits de gravité ! Surtout avec la taille de leur croiseur !

Mais les informations tactiques affichées sur l'écran de la passerelle étaient indubitables. Le vaisseau de l'empire était en train de violer les lois les plus élémentaires de la navigation spatiale.

Le Čerenkov se dirigeait sans hésiter toujours plus bas, vers les couches denses de l'atmosphère, bien en dessous de l'orbite du croiseur ennemi. Un immense panache de feu se forma, entourant le vaisseau qui restait cependant bien à l'abri à l'intérieur de son bouclier.

- Nous devons former un joli spectacle pour les gens à la surface. Même sur une planète de l'empire, ce n'est pas tous les jours qu'un croiseur de 15km de long fait une telle manœuvre, alors sur une Colonie Perdue...

- Oui. Ce ReContact restera dans les annales. Mais ce sont les Mandriens qui vont être le plus surpris.

Le Čerenkov était désormais placé entre le croiseur ennemi et la surface, prêt à intercepter toute attaque vers la surface, et surtout, à annihiler le vaisseau mandrien sans se soucier du devenir des tirs perdus.

- Feu à volonté !

Le Čerenkov cracha alors une bordée de missiles, accompagnés de tirs de plasmas et de lasers, avec une intensité effroyable. Le croiseur ennemi fut proprement pilonné, plusieurs tirs traversant son bouclier et causant d'importants dégâts. Il riposta aussitôt, mais les systèmes d'interception du Čerenkov, couplés à ses boucliers, se débarrassèrent de la quasi-totalité de ces attaques. Seuls quelques shrapnels causèrent des dommages superficiels à la coque du vaisseau humain.

- Toujours aucun signe de reddition de leur part, capitaine.

- Laissons-les donc épuiser un peu leurs munitions. Stabilisez notre trajectoire avec la leur,  adoptez une position synchrone avec leur orbite.

- À vos ordres.

À bord du vaisseau mandrien, l'ordre et la confiance était peu à peu en train de se transformer en un indescriptible désordre. Les rapports d'avaries se multipliaient, et leur position soi-disant parfaite leur interdisait désormais toute manœuvre. Aller plus bas, c'était mener le vaisseau à sa destruction dans l'atmosphère. Aller plus haut, c'était une fuite honteuse qui leur ferait perdre tout honneur.

- À ce rythme, l'intégrité structurelle du vaisseau sera compromise dans dix minutes.

- Enfer ! Ces démons vont nous écraser comme des insectes.

- Il ne nous reste plus qu'une solution, Capitaine... fit l'officier tactique.

- Alors appliquons-là !

- Vous êtes fou ? dit le second.

- Oseriez-vous me désobéir ?

- En tant qu'officier en second, je me dois de prendre le commandement si le capitaine perd son discernement.

- Peuh... fit le capitaine, avec une grimace de dégoût.

Il activa la lame sonique cachée dans sa manche droite, et d'un geste rapide, décapita son second.

- D'autres candidats au déshonneur ?

Personne ne dit un mot sur passerelle.

- Les Mandriens se dirigent à leur tour vers l'atmosphère !

- Tiens donc... Auraient-ils aussi des moteurs de puits ?

- Je ne pense pas. Leur trajectoire est en train de devenir balistique. Ils ont rompu l'orbite et coupé leurs moteurs.

- Je ne pensais pas les voir opter pour le suicide... Ou alors... Quel est le point estimé de la chute de leur vaisseau à la surface ?

- L'ordinateur tactique est en train de réduire la zone potentielle. Oh merde... Ils vont droit sur Slanbourg !

- C'est bien ce que je craignais... Trajectoire d'interception, et continuez à les pilonner !

Le vaisseau Mandrien, contrairement au Čerenkov, n'était absolument pas conçu pour aller dans une atmosphère, même de manière exceptionnelle. Cependant, de par son immense masse, il constituait un projectile redoutable pouvant causer d'immenses dégâts à la surface, du même ordre que plusieurs bombes H combinées.

- Ne cessez pas les tirs ! Il faut absolument le fragmenter avant qu'il n'ait finit de traverser les couches denses de l'atmosphère !

- Capitaine, nous le fragilisons, mais au rythme actuel, ce ne suffira pas, fit l'officier en second.

Le vaisseau ennemi était très sérieusement touché, et il était douteux qu'il y ait encore des survivants à bord. Mais il y avait un monde entre couler un vaisseau spatial et le réduire en petits morceaux. Le remorquer vers l'espace dans son état était également hors de question, même avec les puissants moteurs de puits du Čerenkov. Le capitaine grimaça, puis dit :

- Alors il suffit de le freiner...

- Quoi ?

Le second se retourna vers le capitaine Wang et vit une expression curieuse dans ses yeux, qu'il n'avait encore jamais observée. Ce dernier semblait avoir laissé s'exprimer une part de folie qu'il devait enfouir au plus profond de sa personnalité en temps normal.

- Bouclier au maximum, coupez tous les armements et placez le Čerenkov juste au-dessus de l'ennemi. Puis lancez les harpons !

L'équipage s'exécuta, et la chute du vaisseau ennemi fut brusquement ralentie quand le  Čerenkov commença à le soutenir. Les deux vaisseaux n'en faisaient presque plus qu'un, entouré d'un halo de flammes et d'atmosphère surchauffée. Les turbulences en faisaient hélas refluer une bonne partie sur la face dorsale, mettant le Čerenkov à rude épreuve. Mais le vaisseau mandrien était de loin le vaisseau le plus maltraité, et sa coque se déformait à vue d'œil.

- Combien de temps avant que la trajectoire du vaisseau Mandrien ne croise la surface planétaire ?

- Environ sept minutes, capitaine. Mais même s'il tombe au milieu d'un océan, nous devons penser aux risques de tsunami.

- Je sais...

Le Čerenkov commença alors une manœuvre qu'on l'on observait en temps normal plutôt sur une route être deux véhicules à roues : il se sépara de l'ennemi, pour revenir à la charge le percuter. Puis il recommença, encore et encore. Sans son bouclier aux performances réelles tout aussi secrètes que celles des moteurs, le Čerenkov aurait déjà été en aussi piteux état que son ennemi. Mais seul ce dernier était en train de se désagréger, perdant des morceaux de-ci de-là, et transportant un équipage qui devait probablement avoir été rôti vivant depuis un bon moment.

- Prenons un peu de recul. Réactivez les armements ! Pilonnez le centre du vaisseau !

- À vos ordres !

Une dizaine de salves de tir se succédèrent en moins de trois secondes, mais le plus gros morceau du vaisseau restait toujours un danger pour la surface.

- Et merde... Quel coriace. Il ne nous reste plus que le corps à corps. Vitesse d'éperonnage !

Visant le centre du vaisseau ennemi désormais au bord de la rupture, le Čerenkov fonça dessus sans hésiter, le traversant de part en part dans un véritable enfer. Il émergea, sa coque ravagée par le choc, la température et les shrapnels, mais encore fonctionnel.

- Statut ! hurla le capitaine.

- Les morceaux les plus gros ne feront qu'une centaine de mètres en touchant l'océan. Deux syuks sont en route pour les intercepter. Il ne peut plus y avoir que des tsunamis de faible ampleur désormais.

- Ouf ! fit Wang en retombant lourdement dans son fauteuil de commandement.

Son vaisseau était dans un sale état, ce qui serait un lourd handicap pour le reste de cette bataille. Encore quelques acrobaties dans ce genre, et son précieux vaisseau serait probablement fichu, mais la catastrophe était évitée. Suivi d'une interminable trainée d'une épaisse fumée noire, le Čerenkov regagna lentement l'espace.

Au sein de la salle de guerre, comme dans de nombreux lieux secrets éparpillés sur toute la surface de la planète, une explosion de joie se fit quand les dernières icônes correspondant au croiseur ennemi disparurent. L'arrivée des renforts avait été providentiels, et éviter une catastrophe semblait enfin un objectif réalisable. Je m'étais retrouvé sans trop comprendre comment dans un rôle de coordinateur entre les agents infiltrés de la section RC et le gouvernement impérial. Ce qui consistait surtout à courir dans tous le sens au sein de la salle de guerre et de ses annexes. Épuisant, stressant, mais relativement simple une fois qu'on avait pris le pli.

- Les vaisseaux ennemis qui restent sont de taille beaucoup plus modeste annonça le chef des agents infiltrés. L'escadre du Čerenkov et les syuks s'en occupent, mais ils peuvent faire de nombreux dégâts, s'ils jouent les kamikazes. Nous n'avons toujours pas le droit à l'erreur.

- Ne vont-ils donc jamais se rendre ? demanda l'impératrice.

- Ils ont de loin dépassé ce stade expliqua Kaguya. Nous n'avons d'autre solution que de les combattre jusqu'au dernier, même si cela signifie un massacre.

- Je croyais que vous autres galactiques avaient comme devise de vaincre l'ennemi sans le tuer. Était-ce donc de la vantardise ?

Le chef des agents infiltrés encaissa cette nouvelle pique, et expliqua :

- Disons plutôt une légende. Il est parfaitement vrai que nous trouvons peu honorable de tuer un ennemi quand il est possible de le raisonner ou de le vaincre sans le tuer. Mais bien souvent une telle politesse est impossible, surtout avec des fanatiques comme les mandriens. En outre, nous sommes allergiques aux extrémistes qu'il est impossible de raisonner, même si peu des notres l'avouent.

La tension était largement retombée, maintenant que l'ennemi avait été très sérieusement touché, et que les renforts se déployaient sur toute la surface planétaire. D'opération de défense désespérée, le conflit était en train de se transformer en une vaste opération de nettoyage. Comme les Galactiques le craignait, très peu de Mandriens acceptaient de se rendre, ce qui obligeait le plus souvent à les éliminer. Un grand nombre de prisonniers étaient cependant aussi fait, en utilisant diverses armes ou techniques non létales.

Kaguya avisa Sonder qui revenait d'une autre pièce et lui dit :

- J'ai une mission pour toi. Un petit groupe de Mandriens se sont retranchés dans le ministère de la santé et ont pris en otage un groupe de paraplégiques venus pour une conférence de presse. Si les forces spéciales locales s'en chargent seules, ça va finir en massacre.

- Et merde. Ce genre de coup bas était pas prévu. Transfère-moi les infos détaillées, je file là-bas avec Asderian.

- Quoi ? Moi aussi ?

Mais bien entendu, je suivais sans rien dire Sonder. Une surprise de plus ou de moins n'allait pas changer grand chose. Nous quittâmes donc le plus rapidement possible les interminables sous-sols du Palais Bleu pour rejoindre à pied le ministère de la santé, qui heureusement ne se trouvait pas loin, dans un des rares bâtiments modernes du quartier.

La prise d'otage avait eu lieu dans une salle de conférence située au quatrième étage de l'aile nord. Un nombre impressionnant d'agents des forces spéciales était posté tout autour, les nerfs à vif. Notre arrivée ne leur fit visiblement pas plaisir du tout, ce qui n'avait rien de surprenant : cette intrusion d'inconnus était ressentie comme une remise en question de leurs compétences.

- Depuis quand sont-il là ? demanda Sonder à l'officier le plus haut gradé, après de rapides présentations.

- Environ trois quarts d'heure. Ils menacent de faire sauter tout le quartier, mais n'ont pas encore formulé la moindre revendication. Impossible de savoir ce qu'ils veulent de nous.

- La situation entière est anormale. Ce sont des fanatiques impossibles à raisonner. Leur comportement habituel une fois acculés est de tout faire sauter pour faire un maximum de dégâts, sans même perdre du temps à prendre des otages.

- Pourtant, c'est ce qu'ils ont fait. Vos théories semblent avoir du plomb dans l'aile.

Sonder semblait visiblement fatigué d'être constamment confronté à un mur d'hostilité et de méfiance de la part de mes compatriotes. Mais il continua quand même :

- Deux choses expliqueraient un tel comportement. Premièrement, ce sont probablement des techniciens et non des guerriers. Ils sont à peu près autant fanatiques, mais moins regardants sur les moyens de faire du mal aux hérétiques que nous sommes. D'où leur idée de prendre des otages pour gagner du temps là où des guerriers auraient fait une charge kamikaze. Et s'ils ont besoin de gagner du temps, c'est que leur bombe n'est pas prête.

- Merde, vous voulez dire qu'ils sont en train d'en faire une ? dit l'officier, sidéré.

- C'est l'hypothèse la plus probable, oui.

- Et qu'est-ce que vous proposez, alors ?

- Il faut les éliminer sur le champ.

L'officier s'apprêtait à faire une répartie cinglante, mais il croisa le regard de Sonder et resta muet. Il recula de quelques pas, comme s'il était intimidé. C'était assez impressionnant à voir étant donné la différence de carrure et d'âge entre les deux.

- Laissez-moi faire.

Il sortit son épée de nulle part, comme quelques heures plus tôt dans la rue, et se dirigea vers la salle où se retranchaient les terroristes. Il disparut sans prévenir, comme s'il se déplaçait trop vite pour être vu. Sans réfléchir, je me lançais derrière lui. Les forces spéciales, qui n'étaient pas encore habitués à ce genre de scènes surréalistes, ne songèrent même pas à m'arrêter. Où alors ils me croyaient doté des mêmes capacités que Sonder.

Tout était presque déjà fini quand j'arrivais sur les lieux, bien que seuls une dizaine de mètres les séparaient du barrage des forces spéciales. Sonder était en train de trancher les corps des envahisseurs, sans éprouver le moindre semblant de pitié. Du sang giclait partout, comme dans un mauvais film de gangsters.

- Tu les as tués ?

- Rien que nos médecins ne sachent réparer, pour qu'on puisse les envoyer en prison.  Regarde plutôt ce que ces enfoirés étaient en train de préparer.

Une étrange machine siégeait au milieu de la pièce. C'était un cube d'environ un mètre de haut, qui de toute évidence avait été bricolé à la hâte : on aurait dit l'assemblage contre nature d'un frigo, d'un appareil de musculation et d'un arbre à chat.

- C'est quoi ? Une sculpture d'art moderne ?

- Pas vraiment. C'est une bombe à antimatière.

- Ah...

- Tu te souviens de ce qu'est l'antimatière.

- J'ai encore la migraine de ce genre de cours, mais oui. J'imagine que cette bombinette aurait facilement détruit toute la ville, et non pas juste le quartier comme le craignait les forces spéciales.

- Toute la planète plutôt. Au mieux, s'ils avaient été incompétents, l'explosion n'aurait détruit que ce continent et rendu inhabitable les autres.

- Je commence à comprendre pourquoi vous ne pouvez pas saquer ces fanatiques. C'est vraiment une race de cinglés.

- Oh, les Mandriens ne sont pas tous comme ça. Mais les factions modérées avec qui on aurait pu s'entendre sont dépourvu du moindre pouvoir politique depuis plusieurs siècles. Et ce malgré tous les efforts de nos diplomates et de certains agents infiltrés d'autres sections que la mienne.

Cependant, les forces spéciales et les équipes médicales étaient en train d'arriver, pour s'occuper des otages. Aucun n'avait été maltraité, mais ils avaient été terrorisés par cette expérience, et plusieurs étaient déshydratés. Sonder, voyant cela, se tourna à nouveau vers ses prisonniers, et posa sa main sur le front de l'un d'entre eux.

- Qu'est-ce que tu fabrique ?

- Je sonde sa mémoire. Celui-là était le militaire du groupe, mais il était inconscient quand je suis arrivé. Il a du être blessé dans une escarmouche, ce qui explique toute cette histoire de prise d'otage. Avec un peu de chance il a des informations qui nous permettront de comprendre leur plan.

Je le regardai, fasciné, me demandant comment diable il faisait ça. Magie ? Technologie ? J'avais un peu de mal à comprendre leur théorie selon laquelle c'était la même chose, juste d'un point de vue différent.

- Oh... Merde...

- Quoi ?

- Ces cinglés ont prévu tout un tas de plans B si l'invasion ne se déroulait pas comme prévu. Ils ont planqué une autre bombe technomagique en orbite, sur un drone furtif.

Il sortit son téléphone portable habituel de sa poche, et appela quelqu'un. Bien que les réseaux civils soient complètement saturés et inutilisables, il ne sembla pas avoir de problèmes à obtenir une liaison.

- Kaguya ? On va avoir besoin de tes services en orbite. Je te transfère les données.

Sans plus de discours, nous quittâmes les lieux de la prise d'otages, mais une fois dans un ascenseur, Sonder appuya sur le bouton correspondant au toit-terrasse.

- Où va-t-on ? demandais-je d'un ton que j'espérais blasé.

- Tu as entendu où était notre problème. En orbite.

- Ah...

Le vaisseau de Sonder nous attendait en effet sur le toit du bâtiment. Il était nettement plus large qu'un syuk, tout en restant un vaisseau assez petit. Il me le présenta comme son yacht personnel, d'une voix parfaitement calme. Je me demandai si tous les Galactiques avait un tel vaisseau. Peut-être que oui. En tout cas l'intérieur était magnifique : je traversai un salon rempli de meubles élégants et de fauteuils à l'allure très confortable avant d'accéder à un cockpit ou le fonctionnel semblait allié à l'élégance d'une façon que je n'avais jamais vu avant.  La seule comparaison que je pouvais faire était avec les modèles les plus luxueux de voitures, utilisés par les plus riches aristocrates et la famille impériale. Mais même eux manquaient d'un je ne sais quoi, d'une espèce de raffinement indéfinissable mais essentiel.

- Leurs technologies furtives ne sont pas aussi avancés que les autres, m'expliqua Sonder, et en temps normal un drone furtif ne serait pas source de grande inquiétude. Mais le temps joue contre nous. Même si nous sommes sûrs de le trouver en une heure environ, ça ne servira à rien si leur bombe technomagique explose au bout d'une demi-heure.

- Mais je suppose que vous avez un plan?

- En effet, fit Kaguya.

- Iiiik, fis-je, sous la surprise.

Elle venait d'apparaitre sans prévenir, surgissant du néant, accompagnée de son fauve qui commença à me léchouiller les jambes comme un animal de compagnie en mal d'affection.

- Je vais finir par avoir une crise cardiaque, à fréquenter des Galactiques.

- Pas grave, ça se remplace facilement, un cœur, me dit Sonder.

- Je préférerais quand même éviter.

Kaguya n'avait elle pas perdu de temps. Elle s'était installé à une des consoles, avait posé ses mains sur une plaque, et semblait être entrée en transe. Je n'avais aucune idée de ce qu'elle faisait, mais c'était impressionnant. Sonder se contentait de la regarder en silence, de toute évidence confiant dans les compétences de sa collègue. Des graphiques s'animaient rapidement sur plusieurs écrans, totalement incompréhensibles pour moi. Leur alphabet était bien sûr différent, et je soupçonnais que même si j'avais connu les concepts en jeu, tous leurs codes graphiques étaient différents. Je commençai à réaliser à quel point leur mission d'infiltration était une tâche incroyablement difficile s'ils voulaient passer inaperçu. Ils devaient passer un temps infini à apprendre les plus petites des subtilités et des non-dits de notre culture.

- Leur drone semble bien caché, pas moyen de le repérer, fit alors Kaguya, me sortant de mes réflexions. On va devoir faire quelques orbites pour pouvoir le dénicher.

Elle pianota une commande sur la console, et le vaisseau changea de direction. Je pu suivre ce qui se passait grâce à un graphique représentant la planète, le vaisseau, et les différentes orbites que Kaguya avait programmé. Je ne comprenais pas grand chose aux diverses légendes qui parsemait l'affichage, mais le graphique lui-même était évident. Un réseau d'orbites quadrillait en tous sens l'espace au-dessus de ma planète, changeant progressivement de couleur au fur et à mesure que le vaisseau avançait. De longues minutes passèrent, faisant peu à peu monter la tension. Ce fut donc un véritable soulagement quand Kaguya poussa un cri de victoire.

- Bingo !

- Tu as trouvé leur drone ?

- Oui. Mais ça ne va pas être de la tarte de désamorcer cette bombe. Elle est très étrange. Si les Mandriens n'étaient pas aussi indépendantistes, je dirai qu'elle incorpore de la technomagie non mandrienne...

- Ce serait inquiétant...

Le vaisseau de Sonder adopta la même vitesse et la même trajectoire que le drone, se plaçant directement au-dessus de lui. Puis nous rejoignîmes tous les trois la soute du vaisseau, dont le plancher s'ouvrit sur l'espace sans même que nous ayons besoin de mettre un scaphandre. Un champ de force ou une autre technologie dans ce genre là devait permettre ce petit tour. En tout cas, c'était très impressionnant de marcher au bord d'une plateforme qui donnait directement sur l'espace, avec la surface planétaire juste en dessous. Mieux valait ne pas faire un faux mouvement...

Kaguya marmonna quelque chose, puis un objet d'environ deux mètres de long apparut. Enfin, apparaître, c'était un grand mot : il avait encore un aspect fantomatique, comme s'il n'était pas complètement matériel. La soute se referma, l'emprisonnant à l'intérieur, mais le vaisseau ne changea pas de direction.

- Je vais peut-être dire une bêtise, mais pourquoi on n'emmène pas en vitesse ce machin là où il ne pourra pas nuire ?

Tandis que Kaguya commençait à étudier le drone, Sonder m'expliqua :

- Ils ont peut-être mis des pièges qui feront exploser la bombe si elle quitte son orbite. On a déjà pris assez de risque en le capturant, pas la peine d'en prendre encore plus sans que ce soit indispensable.

- OK, je comprends mieux.

Kaguya inspecta en tous sens le drone, de la sueur perlant sur son front. Je remarquais que même Sonder ne semblait pas comprendre ce que Kaguya faisait. Je ne savais pas si cela devait m'inquiéter ou me rassurer. Kaguya disposaient de petits cercles magiques lumineux ici et là sur la surface du drone, sans que je puisse savoir si c'était des marqueurs, des sceaux ou quelque chose d'autre.

- Sonder, je vais avoir besoin de toi.

Ce dernier, qui s'était tenu en arrière jusque-là, soulagé de laisser les choses à une spécialiste, s'avança et écouta attentivement la technomage. Je ne pus m'empêcher de noter le contraste avec son comportement en temps normal. C'était assez étrange de le voir perdre sa confiance en soi quasi-insolente pour une prudente humilité. Si Sonder n'était au final qu'un Galactique ordinaire, leur société devait être un lieu étourdissant. Kaguya lâcha un petit cri de triomphe, et une partie du drone s'ouvrit, révélant une partie de ses mécanismes internes.

- Il faut être deux pour désamorcer cette saloperie. Place-toi de ce côté, et fais exactement comme moi.

- OK.

Il lui obéit, et tandis que Kaguya effectuait toute une série de manipulations d'apparence compliquée en marmonnant des incantations à voix basse, il l'imita à la perfection. C'était assez impressionnant, car je ne notais pas de délai visible. Leurs actions semblaient synchronisées comme s'ils les avaient longuement répétées auparavant. Peut-être utilisait-il une forme de télépathie, car je ne voyais pas comment ils pouvaient avoir de tels réflexes. Sans compter que Sonder semblait parfois ne même pas avoir besoin de regarder Kaguya pour faire exactement la même chose qu'elle au même moment.

- OK, première couche désamorcée. On passe à la suivante.

Sur ces mots, une nouvelle trappe, caché sous plusieurs éléments qu'ils venaient d'extraire, s'ouvrit lentement, révélant encore plus de mécanismes internes. Je surveillais ma montre anxiseusement, d'autant plus que nous n'avions toujours pas déterminé quand la bombe allait exploser. Où alors ils ne me l'avaient pas dit pour éviter d'avoir une crise de panique de ma part sur les bras. J'espérais que cet engin de malheur n'avait pas trop de couches. Je caressais nerveusement le fauve de Kaguya, dont les ronronnements étaient la seule chose positive à ce moment là. Il semblait parfaitement détendu, malgré la tension ambiante. Je n'aurais pas cru être un jour aussi content de sa présence, juste quelques heures plus tôt, quand je l'avais vu pour la première fois.

- Je pense que cette fois, c'est bon. Il est désamorcé.

- Tu penses ? dit Sonder, aussi peu rassuré que moi.

- Si je me trompe, c'est qu'ils ont un niveau en technomagie bien supérieur à ce qu'on leur accorde. Et on serait bien dans la merde.

- On fait quoi alors ?

- La seule façon de tester, c'est de faire un petit saut dans l'hyperespace pour rejoindre l'espace interstellaire. Puis on éjecte cette bombe et on la détruit. Là, on sera sûr.

- OK. Vaisseau, tu peux faire ça ?

- À vos ordres, fit une voix venue de nul part.

Je ne ressenti strictement rien, mais quelques secondes plus tard, Sonder et Kaguya poussèrent des soupirs de soulagement. Le saut hyperspatial avait du marcher. À partir de là, éjecter et détruire la bombe (avec une bombe nucléaire, rien que ça !), ne fut qu'une formalité.

Si les habitants de Colonies Perdues étaient soigneusement choisis quand il s'agissait de leur faire visiter la civilisation galactique, c'est que s'ils étaient pris au hasard, un trop grand nombre d'entre eux devenaient fous.

Manuel d'histoire, an 9587.

Deux semaines s'étaient écoulées depuis la tentative d'invasion. Si celle-ci s'était terminée avec au final un nombre de victimes et de dégâts très bas, les conséquences sur la politique de presque toutes les nations avaient été explosives. Un très petit nombre de personnes avait été mis au courant par la section RC de l'existence de la société galactique avant l'arrivée des Mandriens. Le nombre et l'identité de ces personnes devait en temps normal rester secret, du moins jusqu'à ce le recontact soit considéré comme réussi. Avec la confusion et l'état d'urgence, tout avait été dévoilé au grand jour, aussi bien dans les nations démocratiques que dans les dictatures. Opposants politiques et populations en colère avaient donc crié au complot et réclamé la tête de nombreuses personnes, qu'elles aient été vraiment au courant ou non. Plusieurs coups d'état et guerres civiles avaient été avortées de justesse, le plus souvent grâce aux Galactiques. Ce qui bien sûr ne faisait que renforcer le sentiment de suspicion de la quasi-totalité de la population de la planète.

C'est dans ces circonstances que je restais à bord du yacht de Sonder, ne descendant à la surface qu'accompagné d'un Galactique, Sonder ou Costhe le plus souvent.

- Tu as une idée de quand ce cirque va se terminer ? Je commence à en avoir marre de me trimballer un garde du corps même pour aller voir mes parents. Et je ne te parle même pas de la fac...

- J'ai bien peur que ça se prolonge un bon moment. En fait, j'ai une alternative à te proposer.

- Laquelle ?

- Nous allons bientôt retourner à notre QG sur Syrma, et il est prévu d'emmener une douzaine d'habitants de cette planète pour leur faire un tour de la civilisation galactique. Y a une place pour toi si tu veux.

- Quoi ?

- Lirtyo a déjà accepté, pour ton information.

Je restai sans voix pendant bien une ou deux minutes, le temps de digérer la nouvelle, et de réaliser tout ce que cela impliquait.

- Je serai censé faire quoi ?

- Essentiellement, faire du tourisme, comprendre le maximum de choses, ne pas devenir fou, et revenir ici dans quelques mois pour raconter tout ça.

- Et je serai plus en sécurité après ça ? J'en doute...

- On te donnera quelques gadgets, une fois que tu auras appris à t'en servir. Tu n'auras plus besoin que des Galactiques te suivent à la trace, crois-moi.

Que dire de plus ? Je ne pouvais pas refuser cette offre. Je n'aurais cessé de le regretter. Il fallait que j'accepte une bonne fois pour toute que mes projets de petite vie tranquille étaient fichus depuis que j'avais rencontré Sonder.

Pour ne rien arranger, quelques jours plus tard, des hommes en costume noir me demandèrent poliment mais fermement de les suivre. Après un court voyage dans une voiture aux vitres teintées, je me retrouvai dans un bâtiment tout ce qu'il y avait de plus banal, ou je fus reçu en entretien par l'impératrice elle-même. Un entretien individuel, seul avec elle, même si gardes du corps et assistants n'étaient bien sûr pas loin. Pâle comme un linge et tous les muscles de mon corps crispés, je m'assis devant son bureau. Elle commença sans détour.

- Jeune homme, si vous avez été choisi par les Galactiques, c'est que vous avez dû oublier d'être bête. Nous espérons donc que vous n'allez pas perdre de vue les intérêts de votre pays natal.

- Qu'entendez-vous par là ?

- Notre planète va bientôt subir des changements en profondeur. Certains estiment que penser en terme de pays est déjà obsolète. Nous ne sommes pas d'accord avec eux. Certes, il n'y aura plus de guerres ouvertes sur notre planète, et une unification politique va progressivement et inévitablement se faire. Mais même si nous devons devenir une simple région au sein d'une entité immense, nous aurons toujours besoin d'être prospères. Les Galactiques adorent aider les Colonies Perdues, mais même leurs largesses ont des limites. Et nous n'avons aucune envie de voir notre pays devenir une nation assistée.

- Moi non plus, je vous rassure.

- Parfait ! Vous comprenez vite. Alors, observez autant que vous pouvez. L'Empire doit découvrir quels sont ses atouts et ses points faibles. Ce que les Galactiques nous disent et ne nous disent pas. Nous devons trouver les réponses à nos questions, vite, et par nous-mêmes. Mon assistant vous donnera un dossier qui détaille ce que vous devrez faire. Ce n'est bien sûr pas une liste limitative. Nous vous faisons confiance pour faire preuve d'initiative une fois que  vous serez à des centaines d'années-lumière d'ici. Est-ce bien compris ?

Je bafouillais une réponse en espérant ne pas avoir l'air d'un demeuré, et l'entretien se termina. Il avait à peine duré quelques minutes, ce qui n'était pas surprenant, vu l'emploi du temps de l'impératrice. Mais il m'avait paru duré une éternité. Dans la voiture qui me ramenait chez moi, je poussais un soupir de soulagement, malgré les idées qui se bousculaient sans cesse dans ma tête. Le guêpier dans lequel je m'étais fourré ne cessait d'empirer, mais il était trop tard pour faire marche arrière désormais.

Je fis donc mes valises, sans trop savoir ce que je devais emporter, ou même si quoique ce soit en provenance de ma planète allait m'être utile. Puis je dû expliquer ce qui allait se passer à ma famille et mes amis proches, ce qui fut loin d'être évident. La tentative d'invasion les avait choqués, et ils se demandaient s'ils allaient me revoir. Je réussis quand même à leur dire au revoir, et le jour J, j'embarquais à bord du syuk de Sonder.

Ce dernier décolla sans une vibration, et se dirigea vers l'espace avec une douceur impressionnante. Il fallait que je regarde par la baie d'observation pour me convaincre que nous étions à plusieurs centaines de kilomètres d'altitude. Une fois en orbite, le vaisseau rejoignit un immense vaisseau, le Čerenkov, mais Sonder m'annonça que ce n'était qu'un « petit vaisseau de guerre ».

- Attends de voire les vaisseaux-colonie ou les flottes nomades d'exploration. Là, tu verras ce qu'est un vaisseau immense. Ceci-dit, la puissance de feu d'un tel croiseur est très impressionnante, je suis le premier à le reconnaître.

J'étais bouche bée les trois quarts du temps, mais mon enthousiaste était bien pâle en comparaison de celui de Lirtyo.

- Asderian ! Viens voir çà !

- J'arrive j'arrive, laisse-moi le temps de souffler.

Ce dernier était désormais inséparable de Costhe et avait rejoint les vaisseaux en orbite une semaine avant moi. Il faut dire qu'ils étaient tous les deux aussi cinglés l'un que l'autre pour la technologie. L'un ne se lassait jamais d'expliquer tout en détail, tandis que l'autre ne se lassait jamais d'écouter et de poser des questions. Ils étaient totalement épuisants à suivre.

Kaguya et les autres agents qui restaient sur place vinrent nous dire au revoir, ainsi que plusieurs officiels de nos nombreux gouvernements. Le représentant de l'Empire me rappela discrètement de ne pas oublier que ce voyage était avant tout une occasion de servir mon pays. Je me demandais s'il savait que l'impératrice en personne m'avait expliqué tout ça de sa propre bouche.

Puis tout ce petit monde regagna la surface, et le Čerenkov quitta rapidement notre système stellaire. J'avais du mal à le réaliser, mais j'étais déjà plus éloigné de chez moi que je n'aurais jamais pu le croire.

À suivre...

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