Chroniques des pilotes de syucamechos 

Exil 

17 mai 2345

Dans l'esprit de la plupart des gens, la Grande Unification Galactique a été constitué sans grand conflit. Ce serait surtout la diplomatie et la prospérité qui a rassemblé ainsi toutes les civilisations de la Voie Lactée, qu'elles soit basées sur la magie ou sur la technologie. Mais il s'agit plus d'un mythe que d'une réalité. Le futur Empire Stellaire ne s'est pas fait tout seul. Il doit pour beaucoup de son existence et sa stabilité à ceux que l'on nomme les Fondateurs, et leurs successeurs. Ceux qui avaient accès à la technologie de classe V, dite « semi-divine ». 

Encyclopedia Galactica, édition 2867 

Le petit yacht spatial émergea de l'hyperespace parfaitement au centre de l'aire désignée à cet effet. Son IA se mit aussitôt à dialoguer frénétiquement avec celles du contrôle aérien local, et après avoir échangé en une fraction de seconde quelques potins locaux, le vaisseau fut déclaré parfaitement en règle. Il se dirigea alors à allure modérée vers l'unique planète naturellement habitable du système de Syrma. Le propriétaire du vaisseau, confortablement installé dans son siège anti-g, sur la passerelle, contemplait la planète sur ses écrans avec une satisfaction évidente. Lexan se permit un soupir, puis murmura : 

- Ah... Cela fait décidément du bien de revenir sur sa planète natale. Cinq ans déjà que je parcours la galaxie pour le service. Je suis sûr que tout a changé en mon absence.

L'IA du vaisseau acquiesça discrètement, habituée au fait que les humains parlaient facilement seuls sans raison apparente, en particulier en la présence d'une machine comme elle. Une fois le vaisseau arrivé en orbite autour de la planète, Lexan quitta souplement la passerelle du yacht pour rejoindre son syucamecho personnel. 

Il s'installa confortablement dans le cockpit, puis enclencha l'interface neurale qui se déploya autour de lui comme si elle l'absorbait. Tous les membres de son corps était désormais dans une sorte de cocon protecteur quasiment indestructible. Les terminaisons nerveuses du syucamecho se synchronisèrent avec les siennes, et il ne fit plus qu'un avec la machine. Tous ses sens d'humains avaient disparus, remplacés par un flux dense d'informations dans lequel un non-initié auraient rapidement été noyé. Il n'avait plus de bras, mais des ailes. Il n'avait plus d'yeux, mais des caméras à large bande. Il n'était plus un humain, mais un syucamecho.

Il démarra les moteurs anti-gravité et l'engin, qui avait pour le moment la forme d'un chasseur spatial quitta avec agilité son emplacement, une sorte de poche sur la face ventrale du yacht. Sans perdre de temps, il pointa le nez de l'appareil vers la face éclairée de Syrma, au-delà du terminateur. Il plongea alors vers la splendide surface bleue, blanche et verte qui s'étalait sous lui, admirant avec nostalgie les continents de sa planète natale. Pendant ce temps, le yacht alla sagement se placer tout seul sur une orbite de parking réglementaire, guidé par son IA, où il attendrait que son propriétaire ait besoin de lui.

À peine dérangé par l'entrée dans l'atmosphère, grâce à ses puissants boucliers, le syucamecho prit lentement une trajectoire le guidant vers la plus grande des cités de la planète, Sernnaga. Peu de gens avait la possibilité de survoler ainsi la cité, mais être pilote de syucamecho dans la section RC signifiait certains avantages non négligeables. Il lui suffisait de notifier le contrôle aérien de son passage pour que ces derniers lui donnent automatiquement la permission. Bien entendu, il devait être en mode semi-furtif, pour se déplacer sans un bruit, ce que son engin à la pointe de la technologie effectuait sans problème, malgré la vitesse importante à laquelle il allait. Ils lui donnèrent également la trajectoire des autres véhicules présents dans la région, mais ce n'était que pure politesse, le syucamecho était largement capable de les déterminer avec ses propres senseurs.

Virant de bord, il prit une trajectoire un peu plus longue que nécessaire, pour contempler sa ville natale et repérer les inévitables changements qui avait eut lieu. Dans l'ensemble, ils étaient assez peu nombreux, ce qui était prévisible. Le cœur historique et ses innombrables vieux bâtiments placés tout autour de l'immense Palais du Gouverneur étaient jalousement conservés intacts, par une volonté commune et inébranlable du gouvernement et de la population. Il remarqua néanmoins que la Tour de l'Horloge était enfin totalement rénovée. Les échafaudages qui la cachait à la vue des passants la dernière fois qu'il avait été là avait disparu. En revanche, le dôme de l'Académie des Sciences était désormais emmitouflé dans un assemblage de métal et de toile qui le faisait entièrement disparaître. Rénover tout ses vénérables bâtiments était une tâche continuelle, engloutissant d'énormes sommes d'argent, que l'économie florissante de la planète n'avait heureusement aucun mal à absorber depuis que l'Empire existait.

S'arrachant à cette vision quelque peu nostalgique, le pilote reprit une trajectoire plus directe, qui le mena en quelques minutes à la vielle résidence familiale. Il effectua encore un rond dans les airs pour contempler le quartier où il avait grandi, puis aligna son syuk avec un des nombreux canaux qui le traversait. Il approcha doucement son appareil des flots, et amerrit avec précaution, veillant à ne pas créer de vague trop haute. Un groupe d'oiseau d'eau protesta néanmoins bruyamment à cette intrusion dans leur domaine. Il aurait aussi pu se poser au milieu de la vaste pelouse de la maison familiale, mais un obstacle sérieux se posait : les parterres de fleurs de sa mère. Comme celle-ci avait tendance à les changer sans arrêt de place, il valait mieux ne pas tenter le coup aujourd'hui. Elle n'était en effet guère compréhensive en cas d'accident entre n'importe quel appareil et son précieux jardin.

Il coupa les moteurs de son syucamecho, puis désactiva les systèmes de symbiose neurale du cockpit. Ce dernier s'ouvrit comme une étrange fleur bio-mécanique, le laissant accéder à l'air libre. Il en sortit avec souplesse, puis d'une impulsion de ses muscles génétiquement renforcés, sauta comme une panthère sur le ponton situé trois mètres plus bas. Sa famille, prévenue par le bruit de son amerrissage sur le canal, commençait à sortir de la maison. 

- Lexan, que je suis contente de te voir, dit sa mère en le serrant dans ses bras, l'étouffant presque dans son enthousiasme.

Son père était tout aussi ému, et leur accolade lui arracha quelques larmes de joie qu'il tenta maladroitement de cacher. Puis se fut au tour de sa sœur Carline et de son frère Nivène, respectivement âgés de dix huit et onze ans. Ce dernier avait fortement changé depuis la dernière fois qu'il l'avait vu, au cours d'une rapide escale, deux ans auparavant. Il était surexcité de voir son grand frère, et au comble du bonheur que ce dernier ait remarqué ses centimètres en plus, pourtant assez évidents.

- Suis-nous dans la maison, dit sa mère. J'ai préparé un festin pour ton retour.

- Génial. Ta cuisine ne m'a que trop manqué, M'man.

Cela faisait cinq ans que son devoir de pilote et d'agent infiltré l'avait fait quitter sa planète natale et sa famille. Comme tout ces collègues, la plupart de ses affectations avait eu lieu de l'autre coté de la Galaxie, dans l'espace Xyvagagarien, et il n'avait pu revenir que bien peu de fois, et pour de courtes durées. Aussi avait-il décidé de profiter un maximum de la chance qui lui avait été offerte. Être posté sur sa planète natale pour une période qui devait plusieurs mois était une vraie surprise. C'était même intriguant, étant donné ses compétences et sa spécialisation.

- Tu dois avoir beaucoup de choses à nous raconter, dit son père. Et je suis sur que Thivène meure d'envie d'écouter tes aventures. 

Lexan rit de bon cœur et répondit à son père.  

- Je crois plutôt que c'est toute la famille qui en meure d'envie. Ne vous inquiétez pas, je vous promets de vous rassasier de récits de mes missions d'infiltration et de recontact. J'ai visité une bonne dizaine de Colonies Perdues, et pas une seule ne ressemblait à une autre. Mais pour le moment, il faut que je fasse honneur à ce rôti de werla...

Et joignant le geste à la parole, il attaqua avec enthousiasme le contenu de son assiette.

20 mai 2345 

Durant les XXIVeme et XXVeme siècle; le nombre de Colonies Perdues à reprendre contact avec la civilisation galactique fut incroyablement élevé. Mais ce procédé ne se faisait jamais tout seul, et cette époque vit une demande en agent infiltrés sans précédents. À tel point que dans l'esprit du grand public, tous les pilotes de syuks étaient des agents infiltrés.  Ce qui bien sûr était totalement faux. Près de moitié des pilotes de cette époque ne firent jamais partie de la mythique section RC.

Encyclopedia Galactica, édition 2867 

Trois jours plus tard, conformément à ses instructions, Lexan se rendit au QG local de la Flotte Impériale pour se présenter à son supérieur de la section RC. Il était installé dans un immense bâtiment vieux de près de 500 ans, autrefois le ministère des armées quand la planète n'était pas encore intégrée à l'Empire Fédéral du Bras d'Orion. Malgré son uniforme aisément reconnaissable, il dut subir plusieurs contrôles de sécurité poussés. Bien sûr, il était hautement improbable que quiconque ait l'audace de se faire passer illégitimement pour un pilote de syuk, surtout dans un tel lieu. Mais la règle s'appliquait à tous, quelque soit le statut, ce qui était bien normal. À l'heure prévue, on le fit entrer, non pas dans le bureau habituel, mais dans une petite salle de réunion où se trouvait le contre-amiral Mezrev.

- Lieutenant Saunteer, je suis ravi de vous revoir. 

- Moi de même, amiral. 

Deux autres personnes étaient présentes, une femme et une homme, et il devina sans peine de qui il s'agissait. Cependant, Mezrev lui fit quand même les présentations. 

- Voici le vice-amiral Wong, et je suppose que vous reconnaissez Ulyk de Sestriane.  

- Bien entendu, dit-il en serrant la main aux deux. 

- Vu le succès de votre mission et les conséquences de ses découvertes, j'ai pensé que votre débriefing les intéresserait au plus haut point.

Wong travaillait au sein des relations publiques de la section RC, rien de plus logique que sa présence ici en effet. Par contre, Mezrev n'avait pas précisé le grade de Ulyk. Cependant, la particule dans son nom, ainsi que le cordon bleu et or attaché à son sabre ne laissait aucun doute, sans compter sa célébrité. C'était un Chevalier Céleste. Qu'un tel personnage fut présent à ce débriefing était un très bon présage pour Lexan. 

Les quatre officiers s'assirent dans les confortables sièges disposés tout autour de la table et commencèrent à parler sans plus de cérémonie. Les membres de la section RC considéraient la discipline et le formalisme excessif comme des pantomimes bonnes à laisser à d'autres organisations, militaires ou non. Cette attitude n'était d'ailleurs pas très bien acceptée par ces derniers, qui la considéraient comme une forme déguisée d'arrogance. C'était presque devenu une tradition dans les relations houleuses entre corps d'armée. Mais pour les membres de la section RC, en particulier ses pilotes et agents infiltrés, la loyauté et les compétences passaient avant tout, et leur image auprès du grand public était de toute façon indestructible.

Par exemple, Mezrev, avec son bureau rempli de maquettes de syuks et de plantes carnivores, ne ressemblait pas vraiment à un officier typique. Dans la plupart des corps d'armées, on l'aurait jugé comme un dangereux excentrique. Mais au sein des pilotes de syuks, un bureau de ce genre n'avait rien de dérangeant, bien au contraire. 

- Je suppose que vous êtes plutôt satisfait d'être de retour ici, commença le vice-amiral.

- C'est le cas de le dire, cette mission s'est très bien terminée mais a été totalement épuisante, pour moi et les autres membres de mon équipe. 

- Je l'imagine bien... Mais, racontez-nous ça en détails, vous êtes là pour ça. 

- Très bien. Comme vous le savez sans doute, de nombreuses personnes au sein de l'Empire sont des adeptes de ce qu'on appelle le tourisme en immersion totale. L'émergence de cette activité date du début de l'Empire, et elle est issue à la fois des jeux de rôle d'origine terrienne et de nos propres activités au sein de la section RC. Elle consiste à infiltrer une culture dans l'anonymat le plus total, pour l'observer et interagir avec elle. Cette activité est populaire aussi bien au sein des planètes de culture magique que technologique. En fait, le but du jeu est souvent de choisir une culture la plus différente possible de sa propre culture.

- Quelles sont les règles entourant une telle pratique ? demanda Wong. 

Cette dernière devait très bien le savoir, mais un petit résumé ne ferait sans doute pas de mal  pour situer le problème et Lexan joua le jeu.

- Les règles sont assez simples. Se promener sur une Colonie Perdue sans autorisation spéciale est strictement interdit, pour des raisons éthiques évidentes. Au sein de l'Empire ou parmi ses alliés, il existe en revanche de nombreuses planètes contactées où cette pratique est parfaitement autorisée. Tant qu'ils apportent des devises et respectent quelques règles de base, ces touristes un peu particuliers sont les bienvenus. Enfin, troisième cas, il existe aussi des mondes parfaitement intégrés à la civilisation galactique, mais qui découragent ou interdisent cette pratique, en raison de convictions culturelles. Ils se chargent eux-mêmes de traquer les irréductibles, et de leur faire payer de solides amendes, voire de les mettre en prison dans les cas les plus graves. Un certain nombre de planètes plus ou moins isolationnistes l'interdisent avec tant de véhémence que chaque affaire est source d'incidents diplomatiques.

- Ces règles sont elles souvent enfreintes ? 

- Trop souvent à mon goût, en tout cas. Tout ce que j'ai décrit n'empêche pas de nombreuses personnes de vouloir faire en amateur ce qui est mon métier au sein de la section RC. En général, leur excuse est qu'ils ne sont pas satisfaits des filières légales, qu'ils trouvent artificielles. Hélas pour eux, ils ne sont pas non plus assez compétents ou fiables pour collaborer avec nous, même en tant qu'agents honoraires. Il est vrai que bien peu d'amateurs arrivent à obtenir ce statut. Et donc, ils finissent par enfreindre les règles ou commettre des bourdes assez graves. 

Un petit drone serviteur arriva alors à ce moment en flottant, avec une vaste sélection de boissons chaudes. Chacun se servit, entraînant un court silence, puis Ulyk prit la parole :

- Pourtant, suivre les règles n'est pas si contraignant. Que je sache, c'est ce que font les gens raisonnables et honnêtes... fit Ulyk en souriant. Y compris les futurs membres de RC quand ils sont encore à l'Académie, où cette activité est fréquente. 

- Exactement, une grande partie des élèves pratiquent le tourisme en immersion totale, et je n'ai pas fait exception. Comme toutes les personnes autour de cette table, je suppose sans trop prendre de risques. Mais bien entendu, les apprentis-agent plus que quiconque respectent les règles établies et savent poser les limites du raisonnable si aucune règle précise n'existe. Infiltrer une civilisation, surtout une non-contactée, n'est pas un jeu sans conséquences. Si je n'avais pas compris tout ceci, je ne serais pas ici dans cet uniforme. 

- Ce qui n'est pas le cas de tout le monde, n'est ce pas ? 

- Oh bien sûr, il y a toujours quelque cas irrécupérables, même au sein de l'école militaire.  Mais ces derniers se font prendre, et sont exclus de l'école sans pitié, ayant prouvé de façon spectaculaire leur inaptitude à la carrière qu'ils convoitaient.

- Je vois que nous sommes sur la même longueur d'onde. Ce qui n'était pas étonnant. Il y avait les mêmes problèmes à mon époque. 

- Je ne suis même pas surpris... Bref, ces agissements ne concernent qu'une minorité d'irréductibles et il est facile d'oublier leur existence. Mais cette minorité est fort active et ils prennent un malin plaisir à infiltrer des planètes isolationnistes, ou pire, des Colonies Perdues non contactées, le plus souvent n'importe comment et sans aucun respect pour les habitants du monde qu'ils visitent. Ce n'est qu'une bande d'imbéciles qui se croient tout permis, et qui finissent par causer des dégâts ou des incidents diplomatiques irréparables. 

Lexan commençait à s'emporter, et il prit sur lui pour se calmer tandis que Wong lui demandait : 

- Et c'est sur un tel trafic que vous êtes tombés ? 

- Oui, il y a quelques mois, plusieurs rapports ont mis en évidence une recrudescence inquiétante et sans précédent de cette activité illégale dans le secteur xyvagagarien. Et ce  aussi bien au sein de planète recontactées que de Colonies Perdues. Si on avait laissé faire un tel trafic, on aurait risqué de perdre la confiance de centaines de membres potentiels de l'Empire.

- Vous avez donc commencé à enquêter... 

- Oui. Au début, nos découvertes étaient assez classiques, mais nous avons fini par avoir une assez grosse surprise. Il s'est avéré, tenez-vous bien, que parmi les touristes pris en flagrant délit, une majorité transgressaient les lois à leur insu. 

- Pardon ? firent de concert Ulyk et Wong. À leur insu ? Que voulez-vous dire ? 

Lexan ne put s'empêcher de sourire en voyant cette réaction spontanée, et il continua : 

- Surprenant, n'est-ce pas ? C'est pourtant simple : ils se faisaient arnaquer par des escrocs particulièrement retors, qui leur vendaient des séjours organisés illégaux, en les faisant passer pour des séjours extraordinaires, mais approuvés par toutes les autorités compétentes. 

- Là, je suis stupéfait, fit Wong. J'avoue que si je ne l'entendait pas dans cette salle de réunion, je n'y croirais pas. N'y a-t-il donc pas assez de planètes où cette pratique est totalement acceptée ? Pourquoi diable s'embêter à trimbaler des touristes à peu près honnêtes sur les mondes qui interdisent cette pratique, surtout sans même leur dire ? 

- Parce que ça paie bien, tout simplement. Vous le savez bien, l'être humain cherche toujours ce qu'il ne peut pas avoir. Si les amateurs d'infiltration et de jeux de rôles se précipitent sur les mondes les plus difficiles d'accès, c'est toujours pour poursuivre la même chimère de l'authenticité. Ils sont littéralement attirés comme des mouches par les expressions « places limitées », « règles strictes » et « autorisations privées ». Mais ils se gardent bien de vérifier à fond la légitimité des personnes à qui ils donnent leur argent en quantités incroyables.

- En effet, maintenant que je vois ça sous cet ange, je n'ai nul mal à imaginer que ce soit un business florissant, avec ses clients fidèles et de beaux bénéfices. Et c'est donc ce réseau d'un nouveau genre que vous  avez démantelé...

- Oui, et nous pensons qu'il n'en reste plus rien. Mais les dégâts étaient déjà là et vont rester. Les mondes concernés ont tous étés victimes d'une recrudescence d'incidents entre populations locales et touristes incognitos. Des arnaques, des vols, des bagarres, des évènements incompréhensibles, etc... Rien de bien grave, pris individuellement, mais leur accumulation a sérieusement échauffé les esprits. Tous les gouvernements victimes de ce trafic sont furieux et se plaignent un peu partout, au grand plaisir des isolationnistes de tout genre. Et je ne parle même pas des Colonies Perdues qui sont parties dans des délires paranoïaques sur l'existence supposée d'extra-planétaires mal-intentionnées conspirant avec des membres de leur propre gouvernement. 

- Un beau gâchis... dit Ulyk. Mais comment un tel réseau a-t-il pu se mettre en place ? C'est une sacrée organisation, sans compter qu'ils ont du faire fléchir la loyauté de certains fonctionnaires... 

- Hélas oui. Leur système était extrêmement bien organisé et rodé, il a du falloir des années pour le mettre en place. 

- Et qui était derrière tout cela ? Avez-vous identifié les responsables ? 

Cette fois-ci, ce fut Mezrev qui prit la parole : 

- La plus grande partie oui, et nous allons envoyer vers les tribunaux tous ceux que nous pouvons. Mais il n'en reste pas moins qu'un certain nombre de responsables haut-placés sont intouchables : leur implication indirecte et leur immunité diplomatique nous empêche de les accuser publiquement sans faire de gros scandale. Ce serait, hélas, une perte d'énergie. Il vaut mieux nous concentrer sur l'avenir et réparer leurs dégâts. C'est-à-dire, apaiser les tensions entre mondes magiques et mondes technologiques. 

- Donc, si je comprends bien, dit Wong, mes services vont devoir dans les prochains mois contrer la fichue propagande isolationniste rabâchée par tous ceux qui refusent l'Empire et son mariage entre technologie et magie. 

- Oui, dit Mezrev. Avec ce scandale, leur influence politique va grimper au zénith... Mais heureusement, ils ont un gros point faible. Ils restent éclatés en des dizaines de groupes qui ne se supportent pas les uns les autres. Nous devons de notre côté montrer un front uni, qui nous fera gagner en crédibilité. Syrma elle-même n'a pas été épargné par ce trafic et de nombreux touristes clandestins originaires de notre monde ont été démasqués. Conséquence directe, notre réputation qui est pourtant traditionnellement très bonne, va bientôt tomber dans des zones qui nous sont inconnues. 

- À ce train-là, s'exclama Ulyk, ce n'est plus l'autonomie, que les partis isolationnistes vont demander, mais carrément la dissolution de l'Empire !

- La Déesse nous en protège ! Je ne pense pas qu'on en arrivera à une telle situation. Mais il faut agir vite, et avec un minimum de subtilité. On ne peut pas contrer une propagande mensongère par d'autres mensonges encore plus énormes, contrairement à ce que pensent certains.  

- Vous êtes vous posé la question de savoir si cette situation désastreuse n'était pas précisément le but recherché par les instigateurs de ce trafic ? demanda Wong avec un sourire de prédateur. 

- Amiral, vous êtes fidèle à votre réputation de poser les questions qui dérangent. Nous nous la sommes en effet posé, et hélas, nous n'avons pas de réponse. Pas encore tout du moins 

- Je vois... 

- Quoiqu'il en soit, pour avoir l'esprit tranquille à ce sujet, il va falloir lancer des enquêtes internes, ce qui est une toute autre chose. Lexan, félicitations pour votre succès. Vous nous avez évité de très graves complications

- Merci, Amiral. 

Cependant, l'heure tournait, et les deux amiraux avaient sans surprise un planning chargé. La réunion se termina sur quelques bavardages, puis tout le monde se leva pour partir. Cependant, lorsque Ulyk serra la main de Lexan, il dit ces simples mots : 

- À bientôt, Lexan. 

Et il partit sans laisser ce dernier poser la moindre question. Mais ce choix de l'appeler simplement par son prénom était encore plus lourd de sous-entendus que sa présence à la réunion. 

Après être sorti de la salle de réunion, il se dirigea vers le hall, dans l'espoir de croiser des collègues et d'obtenir quelques informations sur l'actualité récente de la planète. Il était parti depuis bien longtemps, et les informations disponibles sur le réseau étaient toujours assez partielles. Il fut plus que servi, car il tomba sur Fred Lanaro et Felis Tarkovsky, deux de ses camarades de promotion, fort agréablement surpris de le voir de retour.

- Viens donc nous raconter ce qui t'es arrivé depuis que tu nous as quitté. Il paraît que tu as de forte chance d'être adoubé Chevalier Céleste.

- Décidément les nouvelles vont vite... Moi même, je viens à peine d'être mis subtilement au courant par Ulyk de Sestriane. Bon, OK, je vais vous raconter tout ce que vous voulez, mais à condition que ce soit réciproque. Je suis sur que vous avez plein de ragots étranges sur ce qui s'est passé ici à me raconter. J'ai cinq ans de vie sociale à rattraper.

- Pas de problème. On va au Dragon Jaune ? Je suis sur qu'on peut ressembler une bonne douzaine de pilotes.

- Où aller sinon ? Ça va me rappeler le bon vieux temps.

Souriant d'avance en pensant au bon moment qu'ils allaient passer, les trois amis se dirigèrent vers la taverne du Dragon Jaune, celle que les pilotes préférait dans le quartier. Elle existait depuis au moins deux siècles ou trois siècles (nul ne se souvenait de la date exacte), et elle était devenue un véritable point de ralliement quasi-officiel au fil des ans. En y entrant, il constata que la décoration n'avait presque pas changée. Un des ancêtres de Rigg, le patron, l'avait depuis longtemps adapté à la présence de nombreux pilotes de syuks, d'agents infiltrés, de Chevaliers Célestes, et de leurs admirateurs. De vastes fauteuils incroyablement confortables malgré leur allure faussement déglinguée entouraient des tables de bois de toute taille et forme. Aux murs et au plafond étaient accrochés des centaines de photos et de souvenirs piochés à droite ou à gauche par le patron, ses employés, et bien sur les clients habitués. Le tout donnait l'impression du mélange d'un désordre total et de strates d'histoires empilées. Lexan constata d'ailleurs sans surprises quelques changements, et en particulier la présence d'une tête d'armature de syuk qui n'était pas là la dernière fois.

- Et bien, elle est salement amochée, cette tête. Qui est responsable de ce chef d'oeuvre ?

- Tu ne le croira jamais, mais c'est Claudia.

- Non, tu plaisantes ? Mme la maniaque ? Mme « je ne fais pas une égratignure sur ma peinture » ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Elle a fait un pari stupide avec une de ses copines, et a fini sur une trajectoire totalement incontrôlée dans les anneaux d'une géante gazeuse. Bien sûr, elle a cru s'en sortir en manuel, sans utiliser les systèmes de secours. Sauf qu'elle a fini comme dans la balle dans un flipper. Et voilà le résultat. Si l'IA de son syuk n'avait pas repris le contrôle, elle y serait passé.

- Ma foi, ça prouve que tout le monde passe par ce genre de belle connerie. Même si j'aurais cru que Claudia aurait été l'exception qui confirme la règle.

Ils s'installèrent à une grande table, commandant des verres de Fractril, un vin doux de Syrma particulièrement apprécié de ses habitants, en particulier des pilotes de syuk. De trois personnes, le petit groupe avait enflé jusqu'à comporter une bonne douzaine de pilotes de syuks, et même deux Chevaliers Célestes. Tout le monde commença à raconter à Lexan ce qui s'était passé sur la planète pendant son absence. Au début chacun parlait de quelque chose de différent, car chacun avait sa propre idée de ce qu'était les évènements les plus marquants de ces derniers mois. Mais peu à peu un semblant d'ordre s'installa et la conversation finit par dériver sur la grande préoccupation du moment, qui, sans surprise, était lié à sa dernière mission.

- Les partis séparatistes ou isolationnistes font en effet beaucoup parler d'eux ici. Les bonnes relations entre mondes technologiques et magiques, ainsi qu'entre l'Empire et l'Oligarchie Xyvagagarienne ne plaisent pas à tout le monde. De plus en plus de gouvernements planétaires trouvent qu'on déploie trop de nos ressources dans ce genre de coopération sur une vaste échelle, au détriment du développement de leur monde et de leurs partenaires commerciaux. 

- Les imbéciles, dit Lexan. Ils veulent juste tirer la couverture à eux. J'en ai rencontré plein lors de mes missions sur les frontières, mais je croyais que cette espèce était en voie de disparition ici. Je dois reconnaître que me suis trompé... 

- Ça a commencé peu après ton départ, ce n'est pas étonnant que tu n'ai pas vu ça il y a cinq ans. Les nouveaux accords de coopération avec l'Oligarchie Xyvagagarienne signés à ce moment ont soulevé de très nombreuses polémiques vu leur ambition. Au début, il s'agissait juste de la coopération avec Xyvagaga, bien sûr, et ça n'avait pas grand succès. Mais avec le  scandale du tourisme clandestin que tu as mis à jour, de nombreux politiciens opportunistes vont en profiter pour rouvrir le dossier de l'union des cultures magiques et technologiques. Et j'ai bien peur que l'opinion publique se laisse encore mener en bateau.

- Je vois, il s'en est passé des choses effectivement. Mais les citoyens ne se rendent-ils pas compte des richesses immenses que l'on redécouvre dans les territoires Xyvagagariens ? C'était autrefois la plus grande puissance galactique, fière, indépendante, isolationniste. Qu'une telle alliance se soit installée entre nos deux nations... Qu'ils aient acceptés qu'on les aide à retrouver leurs Colonies Perdues... La Réunification est une chance inestimable, merde ! 

- Pour toi, c'est une évidence. Tu as passé tout ton temps de l'autre coté de la galaxie à voyager entre des Colonies Perdues de Xyvagaga. Mais pour un politicien d'ici, qui ne quitte jamais son secteur, voire sa planète, c'est un caprice d'une fraction de la société. Et ce genre de raisonnement démagogique marche très bien auprès des électeurs. 

- Les imbéciles seront toujours ceux qui crient le plus fort, je suppose. 

- Certains disent que c'est à cela qu'on les reconnaît... Lexan, toi qui revient de là-bas, comment la situation est-elle vraiment ? 

- Et bien malgré ce que disent certains, les informations officielles ont parfaitement raison en ce qui concerne les Xyvagagariens. Nous sommes très accueillis, voire parfois même comme des héros. Les Xyvagagariens ont bel et bien tiré un trait sur leur passé xenophobe. Ils veulent tous reconstruire, avec nous, leurs lointains cousins. 

- Eux qui étaient considérés comme la race la plus fière de la Galaxie... J'ai du mal à y croire. 

- La fierté n'a rien avoir avec l'isolationnisme. Avec la chute de l'ancien régime, le peuple a tout simplement accès à ce qu'il demandait : la liberté, et une prospérité, qui, si elle n'est pas encore fantastique, est devenue bien plus réelle qu'il y a deux siècles. 

- Tu confirmes donc que leur isolationnisme était du uniquement à la volonté des anciens Oligarches ? 

- Oui. Absolument. Mais je nuance quand même deux points. D'abord, Ils acceptent notre aide uniquement parce qu'on a découvert qu'ils étaient nos ancêtres. Si la Terre et les autres mondes du secteur de Sirius n'avaient pas eux-même été des Colonies Perdues Xyvagagariennes, ils n'auraient sans doute jamais accepté d'aide. Ensuite, il est vrai qu'il y a des résistances dans certains mondes isolés. Mais au sein de la communauté galactique du secteur, l'enthousiasme est de loin le sentiment dominant.

- Ce qui explique le dynamisme de toute la région... 

- Exactement. C'est pour cela qu'il faut tout faire pour favoriser l'alliance. C'est une chance aussi bien pour nous que pour eux. 

- Ce n'est pas nous qu'il faut convaincre. Ton avis ne fait que nous conforter dans nos opinions. Ce sont certains politiciens à qui il faut dire tout cela. 

- Je compte bien le faire durant mon séjour ici. 

- Les occasions ne vont pas manquer. Pour commencer, dans une semaine, il va y avoir une réception dans le Palais du Gouverneur, pour la visite d'une délégation de Sylvernore. Il faut absolument que tu viennes. La quasi-totalité des ambassadeurs et de leurs suites seront présents. 

- Et ils seront ravis de t'entendre parler de tes missions sur des mondes exotiques. 

- Ça je n'en doute pas, ils vont m'écouter avec joie. Mais ils entendront ce qu'ils ont envie d'entendre, comme d'habitude... 

- Tu n'auras qu'à être convaincant, espèce de paresseux ! 

- Ouais, c'est ça... 

27 mai 2345

Il y avait de bien nombreuses voies pour devenir Chevalier Céleste, mais pour des raisons historiques, la plupart le devenait après avoir piloté un syuk. Symbole de la technologie de classe V, ces derniers étaient cependant incroyablement polyvalents. Les Chevaliers Célestes venaient donc d'horizons souvent fort différents malgré cet élément commun hautement médiatique. 

Encyclopedia Galactica, édition 2867 

Une semaine plus tard, comme prévu, la visite de la délégation de Sylvernore mettait la capitale en effervescence et la réception organisée par le Duc-Gouverneur Landdinion IV constituait le clou du spectacle. Lexan, ainsi que la quasi-totalité des pilotes de syuks à proximité se firent un devoir de s'y rendre, certains dans le simple but de passer un bon moment, d'autres avec des motifs plus sérieux en tête. Lexan et trois de ses amis, formant deux couples pour la soirée, arrivèrent, avec l'excentrique limousine décapotable de l'un d'entre eux. Longeant en silence les jardins du Palais, ils arrivèrent devant l'entrée monumentale de l'Aile Sud, destinée aux réceptions, ou la voiture s'arrêta. Ils en descendirent deux par deux, tandis que l'IA de la décapotable la prenait en charge pour la déposer au parking. Bien entendu, ils portaient leurs uniformes les plus spectaculaires pour cet événement mondain. 

- Comme d'habitude, tout le monde nous regarde, constata Cassandra, la partenaire de Lexan. C'est usant d'avoir autant de fans. J'aimerais bien un jour assister à une réception en étant une petite souris à qui personne ne fait attention. 

- Rien ne t'empêche de faire ça un jour, répondit Lexan. Je l'ai fait plusieurs fois durant mes missions. 

- Ça ne compte pas, c'était probablement sur ordre de tes supérieurs. Si je le faisais ici, je serais démasquée à un moment ou à un autre. Et j'aurais encore plus attiré les regards avides des bizarreries des pilotes.

- Tu marques un point. 

Tout en continuant à discuter sans une once de sérieux, les quatre pilotes de syuks de la section RC entrèrent dans le bâtiment, jetant à peine un coup d'oeil à l'architecture vieille de plusieurs siècles. Ce qui n'était pas le cas de plusieurs Sylvénoriens qui semblait quelque peu oublier leurs devoirs diplomatiques pour se comporter comme de simples touristes ébahis. Pourtant Sylvenore n'était certes pas la planète la plus provinciale du Secteur de Sirius. 

À leur décharge, le Palais de Sernnaga était sans nul doute une des plus impressionnantes merveilles architecturales des mondes humains. Construit à l'époque du Royaume, ces parties les plus anciennes avaient à peu près 1200 ans, et il avait été continuellement agrandi depuis. Il en résultait un complexe de bâtiments, de cours, de plans d'eaux et de jardins recouvrant plus de 1400 hectares en plein coeur de la capitale. C'était une véritable ville dans la ville, avec ses rues, son mini-spatioport et même une ligne de métro interne. Même les baroudeurs ne l'abordaient qu'avec un certain mélange de respect et d'émerveillement béat. 

Les Sylvénoriens étaient donc en train de contempler avec admiration la façade de l'Aile Sud, qui resplendissait de milles feux à la lumière du soleil couchant. Les différentes sortes de pierres ressortaient clairement à la lumière rasante, transformant totalement l'allure de cette partie du Palais Ce qui n'était d'ailleurs pas due au hasard, mais à un alignement choisi avec soin pour les réceptions de la belle saison, pendant laquelle les invités était les plus à même de rester dehors pour contempler cette merveille architecturale. 

Laissant les visiteurs du moment à leur contemplation, les quatre pilotes étaient donc rentrés dans le premier hall, dont le sol était une immense mosaïque de marbre de différentes couleurs, représentant la bataille de Tilfon, qui avait eu lieu quelques 800 ans plus tôt. Un certain nombre d'invités discutaient déjà à cet endroit, la plupart du temps des gens étant arrivés en même temps et ayant entamé une conversation sans même prendre le temps de rentrer dans les salons proprement-dits. 

- On dirait que les ambassadeurs Canatiens et Papésiens sont encore en grande conversation, constata Felis.

En effet, ils passaient non loin de deux non-humains, l'un ayant l'apparence d'un grand oiseau doté d'une paire de bras en plus de ses ailes, et l'autre vaguement humanoïde, avec une impressionnante fourrure soyeuse et longue, agrémenté de nombreux bijoux.  

- Je croyais qu'ils se détestaient, dit alors Lexan. Ils sont tombés sur la tête pendant mon absence, ou bien ils ont été remplacés ? 

- Ah oui, en effet, dit Cassandra, on a oublié de t'en parler. Le précédent ambassadeur de Papès a été surpris en galante compagnie par sa femme, qui a aussitôt pris les mesures traditionnelles de sa région d'origine. 

- C'est-à-dire qu'elle l'a aspergé d'une variété spéciale de mite qui lui a mangé toute sa fourrure, sans laisser un seul poil. 

- Un Papésien ? Privé de sa fourrure ? 

- Oui, je ne te fait pas de dessin. Il est parti sur le champ et dans le plus grand secret se réfugier dans un monastère contemplatif chez lui, pour regagner son honneur. Le gouvernement papésien a été obligé d'envoyer un remplaçant. Toute l'histoire a fini public dieu sait comment et la planète entière a rit pendant une bonne semaine. 

- J'imagine bien.  

- Et donc son remplaçant à un caractère très différent. Ce qui complètement modifié l'ambiance des relations entre les deux ambassades. 

- Comme quoi tout arrive... 

Continuant sans guère ralentir, ils arrivèrent dans le salon de réception principal, en vue du buffet. Un nombre conséquent de pique-assiettes était déjà à l'oeuvre et les drones serviteurs avaient fort à faire pour servir tout le monde. Ils zigzaguaient dans la foule, une montagne de petits-fours et de boissons diverses sur leur plateau. Lexan et ses amis attrapèrent au passage des coupes de Champagne terrien puis se dirigèrent vers un groupe de pilotes pour les saluer.

- Excellent. Cela fait longtemps que je n'ai pas bu quelque chose venant de la Terre. Ce genre de produit est totalement introuvable dans l'espace Xyvagagarien. 

- Tu parles... Je suis sur que tu as mangé et bu des choses tout aussi intéressantes au cours de tes missions. J'espère d'ailleurs que tu en as un peu ramené pour nous. 

- Ne t'inquiète pas, bien sur que j'ai ramené une bonne provision dans les cales de mon yacht. J'organiserai une petite soirée un de ces jours pour faire goûter tout ça. Une fois qu'on se sera remis du grand pataquès de ce soir. 

Toute la bonne société de la ville était en effet présente, profitant de cette occasion importante pour se montrer, regarder, conclure des alliances, voire même simplement passer un bon moment. Membre du gouvernement, hommes d'affaires, artistes, militaires, snobs ou non, tout le monde se mélangeait pour former une foule cosmopolite typique de l'Empire. Après quelques conversations avec des personnes qu'il n'avait plus vu depuis de longues années, Lexan se retrouva capturé comme il l'avait prévu par un petit groupe de personnes très intéressées par ses missions. C'était inévitable, et il valait mieux voir ça du bon coté. S'il devait faire de la propagande, c'est ici que cela commençait. 

- Racontez-nous tous, fit une matriarche à l'allure excentrique. Il y a si peu de jeunes gens comme vous qui reviennent de ces contrées lointaines. 

- Quelles types d'histoires désirez-vous entendre ? J'ai été en mission sur tant de mondes si différents. Un monde guerrier ou tout le monde se tape dessus ? Ou un monde industrialisé à deux doigts de se faire sauter avec leurs bombes nucléaires ? J'ai aussi des mondes infestées de magie à vous décrire si vous voulez. 

Malgré le brouhaha ambiant qui suivit cette déclaration un rien sarcastique, Lexan réussit à déterminer qu'un monde bien moyenâgeux, de ceux dont il se faisait la spécialité, récolterait la majorité des suffrages, et il commença donc à parler de Kalantys, une mission qui datait de deux ans déjà. 

- Le but sur cette planète était assez classique pour moi : encourager à la fois l'usage de la magie et celui de la technologie, pour engendrer une civilisation de technomages. Kalantys était vraiment un monde parfait pour ce genre d'opération car il hésitait entre les deux voies. 

Il sortit un petit projecteur holographique de sa poche et l'activa, révélant une image d'une cité sous la brume. 

- Voici la capitale du royaume; où j'étais basé la plupart du temps. Il s'agissait de la troisième nation en importance de la planète, mais elle comporte de nombreux érudits et autres savants de talents. En conséquence, c'est sans nulle doute la plus dynamique de toute et celle qui deviendra la nation dominante dans un siècle. Comme vous le voyez, c'est une cité assez humide et la brume est le climat le plus courant. J'ai quand même des images d'un jour de grand beau temps pour que vous vous fassiez une idée. 

Le petit groupe qui l'entourait grandissait lentement, et ils s'étaient confortablement installés dans un groupe de sofas pour écouter Lexan et regarder ses projections. 

- Notre obstacle le plus gênant était sans doute leur Grand Inquisiteur. Dans ces mondes primitifs avec une religion d'état obligatoire, ce genre de personnage a beaucoup de pouvoir et sont bien trop dogmatiques. Ils sont donc rarement d'accord avec les changements de société que l'on encourage discrètement. Après avoir essayé la subtilité en tentant de le convaincre de changer d'opinion, nous avons failli courir à la catastrophe. Il est devenu convaincu qu'un complot était ourdi par des hérétiques pour renverser la royauté. Bien entendu il n'y en avait pas. Pas un complot comme il l'imaginait en tout cas, et la royauté n'était pas en dangers. Mais à force d'envoyer ses sbires fouiner un peu partout, il devenait de plus en plus délicat de ne pas perdre nos couvertures.

- Que s'est-il passé alors ? 

- Nous avons fini par le faire tourner en bourrique. Il a fini par devenir complètement fou et s'est couvert de ridicule en voulant brûler sur la place publique une cargaison de volaille. Un remplaçant a alors été désigné illico par le Synode mais il était trop tard pour eux. La crédibilité du clergé en a beaucoup souffert. Le roi a alors songé que c'était un bon moment d'affaiblir le pouvoir religieux et a manigancé pour placer à des postes de responsabilité des hommes à lui, le plus souvent des modérés. Scénario classique, au fond... Nous avons bon espoir de les voir réaliser que magie et technologie ne s'excluent pas mutuellement, mais sont deux aspects complémentaires de l'Univers. 

- C'est impressionnant... Mais ce n'est pas très correct, je trouve, dit une grande femme qui, si Lexan se souvenait bien, était une romancière assez célèbre. Pousser à la folie un homme, c'est plus que cruel, c'est criminel ! 

- Je comprends votre surprise. Mais appliquer notre éthique tolérante dans ce genre de société serait suicidaire Un individu comme ce Grand Inquisiteur serait considéré comme un malade, un fou ou un grand criminel chez nous. On l'internerait ou on l'emprisonnerait sans que cela ne déclenche la moindre polémique. 

- Je trouve quand même cela affreux. Ce n'est pas de leur faute, s'ils ne sont pas éclairés comme nous. Et comment jugez-vous si un individu qui vous gêne est un ennemi à briser ou bien un allié potentiel ? 

- C'est précisément une des plus grande difficulté du travail de la section RC. Je comprends que vous soyez choquée, mais n'oubliez pas que notre mission reste de manipuler des civilisations entières sans leur demander leur accord. Cette idée, dès le départ, est éminemment discutable, mais elle a été prise il y a longtemps, au début du programme RC. Toute action actuelle, scandaleuse ou glorieuse, en est une conséquence directe. 

- N'y a-t-il vraiment pas d'autre moyen plus correct de les aider à intégrer la civilisation galactique ? 

- Je ne pense pas, hélas, c'est le prix à payer. Observer une Colonie Perdue est facile. Agir, c'est tout de suite accepter de devoir faire des choix éthiques difficiles, contestables, mais irréversibles, dès le départ. Ce qui bien sûr ne nous empêche pas de tout faire pour qu'il y ait le moins de casse possible.

- Et c'est pour cela que l'on fonctionne en équipe, ajouta Cassandra pendant que Lexan reprenait son souffle et se prenait un nouveau verre. Aucun jugement important n'est fait par une personne seule, il y a le Conseil d'Infiltration Local et le QG régional pour ça. Rien n'est fait au hasard, et on s'efforce toujours de faire le moins de dégâts possibles, de respecter les principes de bases de notre civilisation et de la charte de la section RC. 

- Il y a eu des erreurs, dans le passé, malgré toutes ces précautions, reprit Lexan. Mais ces erreurs se transforme en expérience. Et c'est pour cela que de nos jours, elles deviennent de plus en plus rares.

- Quand même, continua la matriarche, entêtée. Oseriez-vous suggérer d'appliquer de telles méthodes sans pitié au sein de l'Empire ? 

- Bien sûr que non. C'est ce que j'essaie d'expliquer. On ne peut pas appliquer les mêmes règles dans les mondes contactés et dans les Colonies Perdues. Chez nous, tout est plus facile, et on n'a pas besoin d'utiliser de telles méthodes. On agit au grand jour, on parle au grand jour. Là-bas, on doit se cacher pour agir de façon efficace. 

Mais la romancière ne voulait pas lâcher : 

- J'ai du mal à comprendre comment une méthode peut être intolérable dans un cas et acceptable dans l'autre. 

- C'est parce que vous avez du mal à imaginer comment peuvent être certains des habitants des Colonies Perdues. Ils se croient seuls dans l'univers, ils n'ont aucune idée ce qu'est le monde réel, la civilisation galactique. Le plus borné des habitants d'un monde galactique, isolationnistes et fanatiques compris, est un modèle d'ouverture d'esprit, comparé à ce que nous croisons régulièrement. Il faut le voir de ses yeux pour le croire, je suppose. Quand un agent de RC est confronté à ça pour la première fois, il se pose tout de suite la question fatidique, qu'on se repose sans cesse : Pouvons nous vraiment nous accorder le luxe d'être tolérant avec les intolérants ?

Une bonne partie des admirateurs avaient fui la discussion, ennuyé par la tournure trop sérieuse à leur goût que prenait le discours de Lexan. Ce qui pour une fois n'était pas de sa faute : ce n'était pas lui qui avait commencé à parler d'éthique. Mais en même temps, certains restaient et semblaient forts intéressés et intéressants. Notamment un gros homme barbu, qui s'était présenté comme étant le sénateur Sondrain. Lexan découvrit rapidement, à ses commentaires, qu'il faisait partie des modérés. Il l'avait probablement abordé afin d'avoir des nouvelles fraîches du secteur xyvagagarien. Il finit d'ailleurs par aborder directement le problème le plus important. 

- Vous avez faits allusion aux isolationnistes. Vous avez sûrement du apprendre les réserves actuelles de toute une frange politique pour les opérations en secteur Xyvagagarien. 

- Oui, en effet. Et je dois avouer avoir été déçu de découvrir l'ampleur qu'elles ont prises durant mon absence. Il y a tant d'opportunités qui se dégagent de la Réunification. Ce n'est certes pas un projet inutile lancé par des idéalistes. 

- Beaucoup de gens ici ont du mal à en appréhender les retombées positives au niveau local. Après tout, tout ceci est si lointain. Pourquoi s'embêter ? 

- Ils ont besoin de voir à plus grande échelle. C'est toute la Galaxie qui se met à bouger avec la Réunification. Il suffit de voyager un peu pour s'en rendre compte. Et nul besoin d'aller à l'autre bout de la Galaxie. Circuler au sein du Secteur de Sirius suffit amplement. 

- Mais hélas, vous vous rendez bien compte que les gens dont nous parlons n'ont pas la volonté de voyager autant. Ils se contentent de rester sur leur monde d'origine, ou, au mieux d'aller sur des planètes voisines avec la même culture que la leur. Il faut déployer des trésors d'imagination pour les convaincre de choses évidentes pour d'autres. 

- Je reste perplexe à l'idée que si peu de gens aient envie de voyager. Je ne leur demande pas d'infiltrer des planètes sauvages. Nul besoin d'être un baroudeur pour avoir un aperçu de tout ce qui transite au sein de l'Empire, du secteur Xyvagagarien et de nos allés. Les Xyvagagariens font bien plus d'efforts qu'eux. 

- Développer les voyages, le meilleur moyen de faire sortir les gens de leur coquille ? 

- Probablement, mais c'est un cercle vicieux. Les isolationnistes ne voyagent pas précisément parce qu'ils préfèrent se renfermer dans leur coquille... 

Cependant, tout en discutant, Lexan et le sénateur Sondrain s'étaient approchés d'un petit groupe et une musique familière, jouée au piano, lui parvint aux oreilles. 

- Cela fait des années que je n'ai pas entendu ce morceau joué sur un instrument. Shitaya serait-il enfin revenu à la mode ? 

- Non, je ne pense pas. La musique terrienne de la seconde moitié du XXIIeme siècle n'a pas encore connu de retour de grâce, et continue à n'être apprécié que de rares initiés. 

- Ah... Il faut donc que je profite de ce rare moment. 

Lexan ordonna aussitôt à ces endoglandes de faire baisser son taux d'alcool dans le sang. Shitaya ne méritait pas qu'on l'écoute avec ses perceptions sensorielles altérées. Il se joignit à l'attroupement pour voir qui en jouait, tout en se sentant un peu coupable d'abandonner le sénateur. Mais ce dernier souriait tranquillement : il n'avait pas précisé ses propres sentiments sur Shitaya, mais il ne semblait pas en vouloir à Lexan. Un peu soulagé, il regarda le piano, et vit que l'interprète était une jeune fille. Blonde, les cheveux très longs, elle était ravissante et jouait avec une assurance et une grâce surprenante, surtout quand on connaissait la difficulté d'exécution du morceau.

- Savez-vous de qui il s'agit ? murmura Lexan. J'ai rarement rencontré quelqu'un jouant un morceau de Shitaya avec autant de naturel. 

- Il s'agit de la nièce du Gouverneur, Yikatrina. Je ne suis pas étonné que vous ne la connaissiez pas. Quand vous êtes parti pour le secteur xyvagagarien, elle vivait à Jalipur, de l'autre côté de notre planète. 

- Je vois... 

Lexan cessa alors de parler, pour se plonger tout entier dans l'écoute du morceau, savourant avec une joie rare la perfection de la composition et le talent de la jeune fille. Elle semblait vraiment avoir un talent hors du commun, et une compréhension des mélodies de Shitaya qu'il n'espérait plus parmi les Syrmiens de sa génération. Il était quand même étonné de voir si peu de gens venir l'écouter. Le récital se termina presque trop vite à son goût. Il se précipita néanmoins pour la complimenter, usant honteusement de son uniforme et son statut pour doubler d'autres spectateurs, ce qui n'était guère son habitude pourtant. 

- Je suis un grand admirateur de Shitaya depuis toujours, expliqua-t-il après s'être présenté. C'est bien la première fois que je vois quelqu'un jouer une de ces compositions sur notre planète. D'habitude on doit aller sur la Terre elle-même ! 

- Oui. C'est là bas que je l'ai découvert d'ailleurs. Je devais avoir six ans, mais depuis, je n'ai pas décroché. Au contraire, j'ai appris à jouer du piano rien que pour lui ! Ou presque... 

Tout en parlant, ils se dirigèrent vers un balcon d'où on avait une magnifique vue sur la capitale, grâce au dénivelé présent de ce côté du Palais. Malgré les illuminations nocturnes, le ciel était dégagé et de nombreuses étoiles étaient visibles, y compris celle de la Terre. 

- Ce n'est pas étonnant que la Terre ait donné Shitaya. Cette planète toute entière est un peu étrange, mais on a toujours envie d'y revenir... Même si ça fait un bon moment que je n'y suis pas allé.  

- C'est ça de devoir bourlinguer à l'autre bout de la Galaxie... fit-elle en riant. On ne peut pas être à la fois dans le secteur xyvagagarien et du côté de la Terre. 

- Je vois que tout le monde est au courant de mes moindres faits et gestes. Je suis devenu une célébrité publique ou quoi ? 

- Il y a un peu de ça... Mais ne t'en fais pas, on s'y habitue vite. 

Lexan réalisa alors que Yikatrina, en tant que membre de la noblesse de la planète, avait elle aussi dû faire face à sa dose de célébrité non désirée. En effet, elle continua : 

- Même si, si j'ai bien compris, ton cas ne devrais pas s'arranger dans le proche avenir. Un adoubement, cela met toujours toute la planète et nos voisins en émoi. 

- C'est très rassurant... 

Lexan et Yikatrina continuèrent à discuter ainsi quelque temps, sur la musique, la Terre et le secteur Xyvagagarien. Puis de la musique se fit entendre et ils rentrèrent pour danser, à la grande surprise de Lexan qui n'était d'habitude pas très enthousiaste pour le faire dans ce genre de soirée officielle. Comme quoi la situation change toujours les choses, pensa-t-il en souriant. 

Après la danse, il s'apprêtait à discuter à nouveau avec Yikatrina, quand un petit bonhomme grassouillet l'aborda en lui débitant des paroles à toute allure. Lexan mit quelques minutes à comprendre qui il était et ce qu'il voulait. Apparemment, c'était un riche marchand venant d'une planète qui venait tout juste de revenir dans la communauté galactique. Ce dernier débordait d'enthousiasme et était ravi d'avoir pu alpaguer un authentique pilote de syuk. Lexan comprit vite qu'il n'allait pas s'en débarrasser facilement. 

- J'avoue être fort surpris par vos bals. Tous ces uniformes, ces beaux vêtements, ces bâtiments millénaires. J'ai plus l'impression d'être dans une reconstitution historique que sur une planète qui a des siècles d'avance en matière de technologie sur la mienne. 

- Oh, il est vrai que nous avons un certain goût romantique pour les costumes flamboyants et les traditions. Surtout sur Syrma. Mais ne vous y fiez pas trop, il y a quelques différences fondamentales.

- J'avoue que j'ai bien du mal à les voir. 

- Et pourtant... Contrairement à l'époque de la construction de ce palais, il n'y a pas de discrimination en fonction du sexe, de l'age ou de la race. Nos codes de politesses sont aussi fort simplifiés. Tout n'est qu'apparences pour s'amuser. 

- Il est vrai que je vois de nombreuses femmes avec des habits que j'aurai pensé masculins. 

- Je ne suis pas étonné. Et l'inverse doit aussi être vrai. 

- Quoi ? fit-il en s'étranglant avec son verre. 

Lexan savoura quelques instants l'effet de ces paroles, puis expliqua : 

- Nos vêtements aussi bien civils que militaires sont en général disponibles sous deux formes, issues des traditions masculines et féminines. Mais les inversions sont de plus en plus courantes. Tout juste y a t-il quelques adaptations pour que ce soit esthétiquement plaisant. 

- Mmm... Je vais devoir me méfier. C'est horrible. 

Le marchand avait toutefois l'air troublé, et Lexan fit signe à un drone de lui resservir à boire. 

- Ne vous en faites pas. Vous vous adapterez vite. 

- Mais pour en revenir à ce que je disais tout à l'heure... En ce qui concerne la technologie, je reste étonné de ce que je vois. On dirait presque que vous la cachez. 

- C'est un peu ça. Nous préférons que notre technologie soit discrète, mais elle n'en est pas moins omniprésente. Les drones bien sûr, il y a plein autour de nous en ce moment. Mais aussi nos nanites, les réseaux de communications, le contrôle climatique du Palais... La liste est longue. 

- Je vois. Mais pourquoi tout cacher ? À votre place je serai fier d'une telle technologie. 

Lexan était alors un peu embarrassé. Comment lui faire comprendre que faire preuve d'ostentation technologique était considéré comme un peu primitif ? Si sa planète en était encore à ce stade, ce serait au pire un incident diplomatique, au mieux une grave impolitesse. 

- Hmmm... Nous sommes toujours un peu excentrique. On ne peut pas se passer de notre technologie, mais on adore faire croire le contraire. 

- Hahaha ! Je vois ce que vous voulez dire ! Je crois qu'on va se plaire dans une galaxie comme ça ! 

- Si vous êtes intéressé par les technologies que votre monde pourrait adopter, c'est à cette femme qu'il faut parler, fit Lexan en désignant une grande femme rousse. C'est le PDG du conglomérat Atlui. Elle sera ravie de trouver de nouveaux clients. 

- Oh merci beaucoup ! 

Et il courut vers sa nouvelle victime. Enfin débarrassé de ce personnage débordant d'enthousiasme mais un peu collant, Lexan essaya de retrouver Yikatrina. Mais après avoir déambulé deux ou trois fois d'un bout à l'autre de la réception, il dut se rendre à l'évidence : elle semblait avoir disparu. Était-elle déjà rentrée chez elle ? En même temps, elle était déjà plus ou moins déjà chez elle, puisqu'elle devait habiter dans le Palais. Lexan constata avec un peu de surprise qu'il était particulièrement frustré de ne pas la retrouver. C'était ridicule, ils faisaient tous deux partie de la haute société de la ville, et il allait sans doute la revoir très bientôt. Mais il ne pouvait s'empêcher d'être contrarié.  

En fait, après la soirée, en rentrant chez lui, il constatait qu'il n'arrivait pas à se sortir Yikatrina de la tête, et ne savait pas quoi faire. C'était assez curieux. Il côtoyait régulièrement des sociétés terriblement restrictives pour toute relation entre hommes et femmes. Entre ce qui était secret et ce qui était interdit, les jeunes (et les moins jeunes) étaient souvent complètement désarmés le moment venu. Comme la plupart des agents de la section RC, il n'en appréciait que mieux la liberté de mœurs de l'Empire. Cette dernière provoquait régulièrement des crises d'apoplexie au sein des cultures récemment recontactées, mais au moins, on était rarement au dépourvu. Ou tout du moins c'est ce qu'il avait toujours pensé. Car là, ce n'était pas le cas. Lexan se sentait totalement perdu, se demandant ce qu'il devait faire pour que tout se passe bien.

- Merde ! Je suis amoureux. 

15 juin 2345 

Malgré ces tergiversations nocturnes, les jours suivants se passèrent plutôt bien, même s'il  pestait régulièrement de ne plus contrôler grand chose, fait rare pour un pilote de syuk. Où tout du moins c'était censé être rare. Lexan était en train de se demander si ce n'était pas un gros tas de fadaises, une légende soigneusement entretenue à la fois par les pilotes et leurs admirateurs. Quoiqu'il en soit, il avait sans surprise retrouvé Yikatrina au premier évènement mondain qu'il dénicha, et elle fut ravie de le revoir. Très vite, leur relation fut idyllique, et tous les deux étaient sans cesse fourrés ensemble. Du coup, il avait accédé au privilège rare de découvrir les passages secrets du Palais.

Il avait toujours cru que l'existence de ces derniers était grandement exagérée, mais il avait vite compris qu'il se trompait. Il les utilisait pour rejoindre Yikatrina, elle les utilisait pour le rejoindre, et ils les utilisaient aussi très souvent ensemble pour se déplacer dans le Palais. Voilà donc un des secrets de la noblesse pour que les médias les laissent tranquille ! 

- C'est un vrai labyrinthe... Mais je comprends pas comment ils peuvent rester aussi secrets...  Je veux bien croire que l'architecture du Palais soit géniale, et que le tout soit truffé de technologie anti-senseurs, mais le premier technomage venu devrait les voir !

- Oh... C'est simple, on a aussi de très bons technomages pour les dissimuler. 

- Ah OK... Je suis bête. 

- Ils existent depuis des siècles, mais ils ont sans cesse étés modifiés pour être toujours bien cachés. Et jusqu'à maintenant, ça a toujours marché. 

- Fascinant... 

Cependant, ils étaient arrivé au bout de l'étroit corridor, et Yikatrina appuya sur un bouton bien dissimulé. Un pan de cloison pivota, et ils entrèrent dans sa chambre. 

Au début, tout semblait normal, puis Lexan vit quelque chose bouger du coin de l'œil. Un jeune homme, qui devait avoir à peu près son age, sortit de derrière un paravent. Lexan s'apprêtait à agir mais se ravisa quand il devint évident que l'intrus et Yikatrina se connaissaient. 

- Sinyon. Qu'est-ce que tu fais ici ? 

Elle semblait furieuse à juste titre de cette intrusion, mais sans la moindre appréhension. L'inconnu n'était probablement pas un danger, même si sa présence ici n'avait apparemment rien d'amical, et encore moins de poli. 

- C'est plutôt à toi que je devrais poser des questions. Qui c'est ? As-tu oublié nos vœux ? 

- Lieutenant Lexan Saunteer, de la Spatiale, section RC. Pour vous servir, fit-il avec une révérence un brin ironique. 

- Sinyon, tu sais très bien que ces vœux imaginés par nos parents ne signifient plus rien pour moi ou pour eux. Je n'ai pas l'intention de me marier avec toi, ni même de faire quoique ce soit. 

- Tu n'as décidément aucun fierté. Ces vœux sont sacrés, et ni toi ni moi ne pouvont les rompre.  

Lexan avait du mal à en croise ses oreilles. Même si la noblesse établissait encore de temps en temps de vœux de fiançailles entre des enfants de deux grandes familles, leur valeur n'était plus que symbolique depuis un bon moment. Mais ce Sinyon semblait les prendre au sérieux. D'où diable sortait-il pour avoir des idées aussi vieux jeu ?  

- Tu regretteras bientôt d'avoir préféré un imbécile de pilote à ma place.

- Et toi, tu ferais mieux de partir tout de suite. Non seulement tu envahis mes appartements en mon absence comme un voleur, mais en plus tu insultes ceux que tu y croises ? Pars avant que ça n'aille plus loin. 

Lexan n'avait jamais vu Yikatrina, d'habitude si calme, s'énerver contre quelqu'un. N'ayant qu'une idée assez vague de la relation entre elle et Sinyon, il avait préféré rester un peu en retrait. Il fut donc soulagé, quand ce dernier quitta de lui même la chambre (par un autre passage secret) avant que la situation ne dégénère et ne l'oblige à intervenir. 

- Désolée de ce spectacle, fit Yikatrina, quand elle se fut assuré que son ex-fiancé fut bien parti. Je ne pensais pas que ce crétin aurait l'audace d'utiliser un passage secret pour venir ici sans mon accord. Il ne parle que de l'honneur de la noblesse, mais il devrait balayer devant sa porte avant. 

- Ce n'est pas grave. Je n'ai pas tout compris, mais il est parti sans faire d'histoire. C'est l'important. 

- C'est le petit-fils du Prince-Gouverneur de la planète Sogarn. Il n'était pas comme ça quand il était enfant, on s'entendait bien. Mais depuis qu'il est devenu le préféré de son grand père, ça lui a monté à la tête. 

- Mais pourquoi tient-il à ces fiançailles avec toi ? Un petit-fils de Prince-Gouverneur doit avoir bien assez de prétendantes à ses pieds. 

- Il faut croire qu'elles ne sont pas à son goût. Ou alors il a déjà fait fuir toutes les jeunes nobles qu'il juge d'un rang suffisant. Ce serait bien de lui, ça... 

- Je vois... Mais c'est stupide... S'il continue à se comporter comme ça, il va perdre son rang de noble. 

- Pas avec la protection de son grand-père qui tire les ficelles dans les coulisses. C'est le genre d'individu qui aimerait bien que la noblesse redevienne purement héréditaire, et non liée au mérite. 

- Bhaaa... Si ces deux-là croient qu'ils pourront indéfiniment abuser du système, ils se trompent. 

- J'aimerais que tu ais raison... Mais ce n'est pas aussi simple. 

- Je ne pensais pas qu'on en était encore là... 

Plusieurs jours passèrent sans que Sinyon ne fasse parler de lui, et ils pensèrent en être débarrassés. En outre, ils commençaient à avoir d'autres préoccupations. Lexan avait jusque là été un pilote de syuk anonyme. Mais entre la rumeur de son adoubement prochain et sa relation avec Yikatrina, de plus en plus de gens commençaient à s'intéresser à lui, et il n'avait pas du tout l'habitude de ça. 

- Je retire ce que j'ai dit l'autre jour. Ces fichus passages secrets ne sont pas pittoresques. Ils sont tout simplement indispensables ! 

- Je te l'avais bien dit. Mais ne t'en fais pas, tu t'y feras vite. 

Ils étaient en train de se balader dans les jardins du Palais, dans un endroit tranquille où le public ne pouvait pas aller, ce qui incluait la plupart des curieux indésirables.  

- Le pire sera quand tu seras adoubé. Après, ça passera vite. 

- Oui, enfin, je ne suis pas encore officiellement en passe d'être adoubé. Avec la rumeur, tout le monde se comporte comme si c'était sûr, mais ça ne l'est pas ! 

- Bien sûr que si ! fit une voix qu'il reconnut aussitôt comme étant celle d'Ulyk de Sestriane. Tu es le nouveau chouchou des hautes sphères. Ce n'est qu'une question de temps.

Le Chevalier Céleste était sorti de nulle part, mais ne sembla pas être préoccupé par la surprise de Lexan et Yikatrina. 

- Je vous cherchais, tous les deux, j'ai une invitation à vous donner. 

- Une invitation ? 

- Pour le prochain pique-nique de l'Automne. Tenez, voici tous les détails, ajouta-t-il en leur transmettant quelques données sur leurs terminaux.

Le pique-nique du Printemps et celui de l'Automne étaient une coutume terrienne qui faisait fureur depuis une cinquantaine d'années. On se réunissait en petit groupe dans un parc pour fêter le début et la fin des beaux jours, tout en mangeant et buvant avec enthousiasme. La tradition voulait aussi d'inviter les gens lors de rencontre en face à face, sans passer par le réseau. 

- Un pique-nique de l'Automne ? Déjà ? Ce n'est pas pas encore un peu tôt ? 

- Il faut commencer maintenant si on veut en faire plusieurs. 

- Je m'incline devant cette logique imparable. 

Et sur ce, Ulyk les quitta, probablement pour chercher d'autres invités. 

- Rassure-moi, je ne vais pas devenir aussi étrange que lui une fois adoubé... 

- J'en ai aucune idée, hélas. Mais vu la réputation des Chevaliers Célestes, tu devrais peut-être t'y préparer 

21 juin 2345 

Le jour prévu, ils retrouvèrent donc Ulyk, ainsi que toute une petite assemblée de pilotes et de jeunes fêtards, nobles ou non. Sans surprise, le temps était franchement estival, ce qui donnait une ambiance un peu étrange au rassemblement. Chacun s'installait sur de grandes nappes dans l'herbe tout en déballant des quantités impressionnantes de nourriture. La prospérité de la planète, et l'omniprésence des drones serviteurs faisait que personne sur Syrma, même parmi les plus pauvres, ne faisait la moindre tâche ménagère. Sauf bien sûr la cuisine, qui avait été élevé au rang d'art majeur. Peu importait l'âge, le sexe ou la classe sociale, les Syrmiens avaient une réputation à tenir, et le faisait avec une assiduité remarquable. Pour Lexan en tout cas, c'était une occasion parfaite pour sortir les diverses trouvailles qu'il avait ramené de sa dernière mission. 

Deux heures plus tard, tout le monde faisait la fête tranquillement, quand des bruits de voix et de dispute se firent entendre, tranchant avec la bonne humeur générale. Lexan et Yikatrina n'y firent pas trop attention, jusqu'à ce que le responsable de ce désordre arrivent assez près d'eux pour qu'ils le reconnaissent. 

- Sinyon ? 

- Regardez-moi ça. Le petit couple parfait... grogna-t-il en désignant dédaigneusement Yikatrina et Lexan. 

- Tu es ivre. Laisse-nous tranquille, dit Yikatrina. 

L'abus d'alcool et l'ivresse publique étaient mal vus, voire interdits dans la plupart des Colonies Perdues humaines. Mais au sein de l'Empire, où les endoglandes étaient chose banale, c'était encore pire. Quand quiconque pouvait choisir de dessaouler en quelques secondes, le rester et faire un scandale était considéré comme un choix volontaire. Ce qui selon les circonstances était une preuve de mauvais goût, ou de faiblesse impardonnable. Tout le monde regardait donc Sinyon avec un mélange de dégoût et de mépris. 

- Tu nous gâches le paysage, continua Yikatrina, d'une voix cinglante. Fiches le camp si tu ne veux pas plus d'ennuis. 

Elle avait été déjà embarrassé du scandale que Sinyon avait fait dans ses appartements, mais qu'il recommence ici, devant un public aussi vaste, c'était grotesque. 

- Non, je ne partirai pas d'ici comme ça. Mon honneur est en jeu. 

Il dégaina alors une épée bon marché et la pointa vers Lexan. 

- Je demande réparation ! 

Le public éclata de rire alors, devant cette affirmation quelque peu outrancière. 

- Mais il est con. Il sait que je suis de la section RC ?

La section RC, en effet avait la réputation d'avoir les meilleurs escrimeurs, à la fois pour des raisons pratiques et pour suivre une longue tradition. Tout le monde savait en plus que Lexan était sur le point d'être adoubé, ce qui ne laissait pas de doute sur ses talents à l'épée. En comparaison, un ivrogne qui tenait son épée de pacotille comme un pied ne pouvait que faire pitié. 

- Felis, demanda Lexan en se tournant vers son ami. Tu peux appeler les secours ? Je pense qu'il a besoin de soins. Et j'ai pas envie que cette altercation grotesque dégénère.

- Ouais, je pense que ce sera le mieux. 

Puis Lexan se tourna vers Sinyon. 

- Écoute. Je ne sais pas quels problèmes tu as en ce moment... 

- Ta gueule ! Dégaine ! 

- Sinyon, je t'en prie, cesse d'être ridicule, lui dit Yikatrina, criant presque. 

- Pousse-toi. 

Puis tout se passa très vite. Sinyon, oubliant déjà qu'il avait une épée à la main, fit de grands gestes pour faire reculer Yikatrina. La pointe de l'épée zébra le visage de Yikatrina du cou au à l'arête du nez, manquant de peu son œil droit. Le sang jaillit de façon spectaculaire. 

- Enfoiré... 

Lexan était devenu pâle comme un linge, puis une fureur sourde s'empara de lui. Il fut lui-même surprit de la violence de sa réaction. Il était venu sans armes, bien sûr, c'était un simple pique-nique. Mais il était un agent de la section RC. Il avait en permanence des armes cachées dans des poches de subespace technomagique, qu'il pouvait matérialiser d'une simple pensée. Et c'est ce qu'il fit. Il dégaina son épée habituelle et sans la moindre hésitation, trancha le bras droit de Sinyon à quelques centimètres de l'épaule. Ce dernier hurla de douleur et tomba à terre sur le dos. Lexan planta son épée dans la terre à moins d'un centimètre de la tempe de Sinyon et lui murmura à l'oreille avec un calme effrayant : 

- Ne t'approche plus jamais de moi ou de Yikatrina ! 

Tout s'était passé très vite, et au début, personne ne réagit. Mais ils finirent par se reprendre, et Fred prit Lexan par l'épaule pour l'éloigner. Non pas qu'il semblait vouloir aller plus loin, mais il n'avait jamais vu Lexan dans cet état, et il préférait ne pas prendre de risque. Felis appelait les secours et une amie de Yikatrina lui essuyait tout le sang qui lui coulait encore sur la figure.

- Ce n'est rien, disait-elle. Tes nanoniques sont déjà en train de faire cicatriser la plaie. Dans quelques jours ce sera oublié. 

- Je sais, je sais, ne t'inquiète pas. Ce n'est pas pour ça que je tremble. Je suis juste furieuse de ce qui s'est passé... 

Elle la serra quand même dans ses bras, sentant bien que ce qui venait de se passer l'avait laissé en état de choc. 

En revanche, personne n'était en train d'aider ou de réconforter Sinyon, qui de toute façon avait perdu connaissance de son côté. Personne ne semblait éprouver la moindre sympathie pour lui, ce qui était bien compréhensible, après avoir gâché une fête de façon aussi magistrale. Felis récupéra quand même le bras coupé avant que les fourmis ne l'attaquent, mais cela n'alla pas plus loin. De toute façon, ses propres nanoniques travaillaient déjà à arrêter l'hémorragie, et les secours seraient bientôt là pour lui rattacher son bras. Sans anesthésie locale, il espérait. 

Quatre heures plus tard, Lexan se retrouvait devant le bureau du contre-amiral Mezrev, se demandant encore pourquoi il était là, et ce que son supérieur allait dire. Il savait qu'il avait un peu exagéré en réagissant, mais n'arrivait pas à regretter d'avoir coupé le bras à cet imbécile. C'était probablement...

- Ha, vous êtes là. Entrez.

C'était Mezrev qui venait d'arriver, et il le suivit dans son bureau. 

- Vous avez provoqué un sacré sac d'embrouilles, vous savez ? 

Quelque chose n'allait pas. Lexan aurait compris que Mezrev lui fasse un sermon un brin paternaliste, mais là, il semblait plutôt préoccupé. 

- J'ai vu un holo de la scène, donc ne vous embêtez pas à me raconter ce qui s'est passé. Vous avez certes réagi trop violemment, mais il y avait de quoi, et j'aurais probablement fait la même chose à votre place. Le problème, c'est celui que nous avons en face. 

- Ha... Le grand père de Sinyon... 

Lexan commençait à comprendre ce qui se passait, et cela ne lui disait rien du tout. 

- Exactement. Quand il a appris ce qui s'était passé, il a littéralement explosé, à ce qu'on m'a raconté. Il adore son petit-fils, du coup, il a tout de suite affirmé que c'était un affront à l'honneur de sa famille, et qu'il allait tout faire pour nous détruire. C'est devenu son obsession, j'en ai bien peur. 

- C'est ridicule ! Je le pensais un peu plus sensé que son petit-fils. 

- Moi aussi, mais je me trompais tout autant que vous. Il a décidé de trouver n'importe quel moyen pour faire de vous un coupable. 

- Merde... Mais j'étais en légitime défense. Il ne peut pas m'attaquer en justice. 

- Hélas, si, il a trouvé une faille.  

- Quoi ? Laquelle ? 

Lexan se repassait la scène dans la tête, ne voyant pas ce qu'on pouvait lui reprocher d'un point de vue légal. 

- Sinyon vous a déclaré en duel, et vous n'avez pas accepté oralement. 

- Un duel ? Mais c'était une proposition grotesque ! Il était ivre ! Tout le monde en riait. 

- Je suis bien d'accord. Mais pour les avocats de son grand père, c'est une demande en duel dans les règles. Et comme vous l'avez frappé de votre épée sans accepter oralement, c'est pour  eux une infraction au code des duels...

- Ce qui en théorie est un crime grave... Mais je ne vois pas un juge accepter de voir la scène sous cet angle. C'était un ivrogne qui troublait une fête, pas un duelliste ! J'ai demandé qu'on appelle les secours! Ça ne peut pas compter comme mon affirmation de refuser ce duel ? 

- Vous avez utilisé votre épée... 

- Mais... C'était par réflexe d'agent infiltré !  

- Je ne suis pas juriste et vous non plus. Donc notre avis ne compte pas. Et avec de tels adversaires, il faut s'attendre au pire au cours d'un procès. Raison pour laquelle il n'y en aura tout simplement pas. 

- Comment ça ? 

- Comprenez bien que c'est devenu un incident diplomatique indésirable. Chose que Landdinion IV désire éviter avant tout.  

- C'est grotesque ! On fait partie du même Empire ! 

- C'est à nos responsables politiques qu'il faut le dire... Vous êtes renvoyé en mission et avez trois jours pour dire au revoir à votre famille, quitter la planète et vous rendre sur votre nouveau lieu d'affectation. 

Lexan ouvrit la bouche, mais ne sut quoi dire. Il n'aurait jamais pensé que cette farce irait aussi loin. Son avenir était-il compromis à cause d'un crétin ? Et de son propre manque de contrôle pendant une seconde, il est vrai. Mais un bras coupé et recollé, c'était une blessure bénigne sur Syrma ! 

- Et c'est une faveur que l'on vous fait. La mission durera environ un an et à votre retour, les choses reprendront leur cours, notamment pour votre adoubement. D'ici là Sinyon aura réussi à déplaire à sa famille de dix autres façons différentes et vous serez le cadet de leurs soucis. Mais si on ne vous éloigne pas maintenant, ils détruiront votre carrière. Hors nous ne pouvons pas nous permettre de gâcher un talent comme le vôtre. On manque bien assez d'agents infiltrés de talent.

- Quelle sera mon affectation ? demanda Lexan, retrouvant l'usage de la parole. 

- La planète Astafold III, où vous effectuerez une mission d'infiltration intégrale propre. 

Il tendit à Lexan un bloc ou des informations résumées défilait sur la planète et sa mission. 

- Une planète de niveau technologique de classe II-0 ? Mais c'est totalement en dehors de mes compétences ! 

La classe II-0 correspondait aux planètes d'un niveau à peine supérieure à la préhistoire. Et une infiltration intégrale propre signifiait s'intégrer à la population sans aucune technologie ou magie étrangère à celle de la civilisation infiltrée. Tout le contraire de ses missions habituelles consistant à favoriser l'essor de la technomagie dans des mondes sortant de l'obscurantisme ou à l'aube de la révolution industrielle. Et se passer pendant un an de la technologie de l'Empire et du confort qu'elle impliquait... Pas d'hygiène, pas de communications, pas de réalité virtuelle pour se remonter le moral... Cette mission serait un vrai enfer. 

- Oui, je sais, cette mission est probablement la moins adaptée et la plus inconfortable que l'on puisse vous trouver. Ce n'est pas un hasard. C'est à la fois un message que j'espère vous comprendrez, et une obligation pour calmer le Prince-Gouverneur de Sogarn. 

- Je vois parfaitement. Ce n'est pas une mission. C'est un exil. 

- Vous avez compris. Parfait. 

À suivre... 

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