La copie, phénomène incontournable

Mise au point au XIXeme siècle, la reproduction d'oeuvre musicales puis audio-visuelles s'est sans cesse amélioré en qualité et en coût tout au long du XXeme siècle. La reproduction à grande échelle, de bonne qualité est à bas prix fut cependant très longtemps innacessible aux particuliers. Ce qui a poussé les artistes et les créateurs à mettre progressivement en place un système nouveau, conçu pour gagner de l'argent sur la vente de ces copies. Mais hélas pour lui, ce système, prospère hier, est moribond aujourd'hui et sera mort demain. En effet, l'évolution technologique de la reproduction est arrivé dans son étape finale ces dernières années, notamment grâce au numérique et aux réseaux informatiques. Musique, video et photos peuvent désormais être dupliqués à l'infini, pour un coût ridicule, voire nul, par n'importe qui, n'importe quand et n'importe où. Certains concepts technologiques (DRM, anticopies...) ont comme but de limiter ces nouvelles possibilités, mais leur chance de succès final sont en fait ridiculement basses[1]. En termes économiques, nous sommes passés d'un système de la rareté de la copie à un système d'abondance de la copie.

Quiconque veut imaginer des solutions d'avenir aux problèmes actuels doit donc accepter cet état de fait : tout le monde copie, facilement, en permanence, sans contrôle possible, que ce soit sur le net ou dans le monde physique. Une activité que tout le monde pratique, et que personne ne peut arrêter, il est raisonnable de penser qu'il vaux mieux la légaliser que tenter une vaine lutte contre elle. Il sera en effet plus facile de lutter contre les conséquences indésirables de cette pratique que contre la pratique elle-même.

Que doivent-vendre les artistes pour gagner leur vie ?

Hors, des conséquences indésirables, il y en a forcément, puisque comme je l'ai dit plus haut, les revenus des artistes (et tout un secteur de l'économie) reposent en partie sur la vente de copies[2]. Il est donc inévitable que certains membres du système actuel changent de métier, ou de méthode. Les artistes et les créateurs, en particulier, se doivent donc de trouver de nouvelles sources de revenus, qui ne reposent plus sur l'idée qu'une copie est un bien économique rare.

Tout d'abord en vendant des biens qui ne peuvent que rester rares, car ils sont incopiables. C'est à dire des biens qui ne peuvent pas être réduit à une somme d'information, elle même traduisible en une suite de 0 et de 1. Ce qui n'exclut pas pour autant les biens immatériels. Les concerts par exemple peuvent être définis comme une offre de bien immatériel au public : une expérience qui par essence n'a de sens que si on la vit soit-même. Les enregistrements de concert, malgré leur intérêt idéniable, ne seront jamais la même chose que le concert lui-même, en direct, et sur place[3]. De la même façonn, une séance de cinéma peut également être vu comme un bien immatériel non copiable. Les biens matériels quant à eux existeront toujours et n'ont aucune chance d'être copiables aussi facilement avant un hypothétique futur très lointain. Il sera donc toujours possible et judicieux de vendre par exemple tous ce que l'on regroupe sous le thème générique de goodies. Mais il est également possible de vendre des copies qui soient plus que des copies. La présence d'un packaging luxueux ou original, de livrets, etc... est sans aucune doute une voie incontournable du futur des disques, qu'ils soient audio ou video.

On vout donc que la disparition de l'économie de la rareté des copies ne signifie pas que les créateurs n'auront plus rien à vendre, contrairement au dire de beaucoup. Mais la vente n'est pas non plus la seule source de revenus possibles des créateurs.

Et la Licence Globale ?

Dans toute cette affaire, le concept de Licence Globale est sans doute l'innovation la plus surprenante, incongrue, et difficile à appréhender. Malgré leurs déclarations, ce n'est pas le coté collectif (il existe des systèmes collectifs pour la radio, la copie privée, etc.), le montant de celle-ci ou le problème de la répartition (sujet à mille calculs et polémiques) qui gène le plus les artistes. C'est tout simplement l'absence totale de contrôle a priori. La Licence Globale a comme principe de laisser les gens faire n'importe quoi, de mesurer ce n'importe quoi, puis de redistribuer une cagnotte globale en fonction des mesures. Hors les artistes veulent, et ils sont soutenus dans cette idée par le gouvernement et les industriels de la culture, un contrôle très poussé de la distribution de leurs oeuvres. Comment, quand, à quel prix, etc... D'où une véritable panique irraisonée des créateurs qui se mettent à divaguer sur des analogies boulangères, à les croire victime de l'Ergot de Seigle.

L'artiste est censé, selon le paradigme actuel, avoir des droits exclusifs sur son oeuvre, ce qui est compréhensible et même dans un sens parfaitement légitime. Néanmoins, lors de la création du Droit d'Auteur francophones et du Copyright anglo-saxon, les fondateurs étaient bien loin de cette idée absolutistes, ayant bien plus en tête un délicat équilbre entre droits de l'auteur et droits du public. Cette dérive, fille du XXeme siècle, est (hélas pour tous les artistes et créateurs) est désormais un concept totalement obsolète. Une fois divulguée, un artiste ne peut aujourd'hui plus avoir qu'un contrôle très limité de son oeuvre[4]. Il n'en est plus le propriétaire unique et absolu, car il partage cette propriété avec son public, qui le copie. Et plus son succès sera grand, plus l'appropriation du public sera large, plus la copie sera intense, plus sa part de propriété sera faible. Plus un artiste est talentueux, moins il contrôle sa création. À terme, c'est donc une part non négligeable de l'humanité, voire l'humanité toute entière, qui sera la vraie propriétaire de fait d'une oeuvre à succès. Les oeuvres propriétés de l'humanité toute entiere sont reconnues par la loi sous le terme domaine public, principalement sur des critères d'âge. Mais dans les faits, une oeuvre ayant un succès planétaire le sera bien avant que la loi ne lui reconnaisse ce statut[5].

Conclusion

Nous vivons une époque charnière dans l'art, la culture, et l'histoire de l'humanité elle-même. On entrevoit une possibilité à la fois merveilleuse et scandaleuse : un accès à la culture libre, presque gratuit, mais n'entravant pas les incitations à la création. Les solutions sont encore embryonnaire, mais existent. Le vrai défi, c'est que tout le monde, et en premier lieu les artistes et créateurs, va bientôt devoir passer par de nombreuses remises en questions et évolutions, tant au niveau légal que psychologique, pour s'adapter aux évolutions technologiques. Elles seront douloureuse, mais nécessaires, et l'émergence de concepts tels que la Licence Globale en sont à la fois une preuve et un symbole.

Notes

[1] Le lecteur désirant en savoir plus pourra voir cette conférence de Thomas-Xavier MARTIN ou les travaux de Cory Doctorow (Version Française).

[2] Un sujet de polémique est justement de savoir si la vente de copie profite réellement aux artistes, ou bien uniquement aux producteurs et distributeurs

[3] Et ce même si on pouvait enregistrer toutes les sensations et émotions vécues, ce qui est envisageable dans un futur à long terme

[4] J'en ai moi même fait l'expérience, les textes de mon site ayant eté pillés sans que je ne puisse faire grand chose contre, dans l'absolu, voire mon billet sur cette histoire. J'ai préféré la négociation et le laissez-faire, qui de toute façon était probablement la seule option réaliste pour un webmaster amateur.

[5] Comment imaginer en effet que des oeuvres comme Mickey, Star Wars, le Boléro de Ravel, etc. ne soient pas déjà, dans les faits, propriété commune de l'humanité, même si la loi dit le contraire ?