Nirgaïa, La Terre des Quatre Éléments

Chapitre III
Complots citadins

Ce fut finalement seulement en milieu de matinée, après un solide petit déjeuner, que les trois terriens quittèrent l'étonnante maison volante de M. Sophrone pour explorer Hurtebize. Ils découvrirent alors avec un certain soulagement que des  chaussures étaient disponibles à la sortie de la maison. Apparemment, la coutume d'aller pied nu ne s'appliquait pas dans les villes. Empruntant le petit ponton qui liait la maison à la cité, ils se retrouvèrent sur une grande jetée de pierre blanche ou se baladaient quelques passants, certains admirant les maisons volantes, d'autres prenant simplement l'air. Simultanément, ils découvraient le vaste quartier portuaire, qui était grouillant de monde et d'agitation, jusque dans ses moindre recoins. Outre la maison de M. Sophrone, il y avait une bonne vingtaine de grands maisons autonomes d'allures tout aussi extravagantes, mais un peu plus petites. Elle étaient évidemment toutes capables de quitter la cité, même si certaines semblaient ne pas l'avoir fait depuis longtemps. D'immense engins d'allure plus utilitaire étaient visibles un peu plus loin, qui devait probablement être des cargos. Mais la plus grande partie de ce port aérien était occupé par de petits engins qui ne cherchaient pas à ressembler à des maisons, mais avait une l'allure profilé et dynamique. Même au yeux inexpérimentés des trois terriens,  il était évident qu'il s'agissait de yachts de luxe appartenant à divers habitants de la cité.

La ville elle-même, était constituée d'une myriade de bâtiments tous différents, dont les façades dans des teints blancs, beiges et ocres rayonnaient sous le soleil radieux, faisant presque mal aux yeux à cause de la réverbération. Le ciel était en effet ce jour-ci d'un magnifique bleu très profond et pur, avec quelques rares nuages blancs immaculés. De grands oiseaux blancs et bleus foncés planaient au-dessus du port et des maisons, poussant de temps à autre un cri étrange. Tout était nouveau pour Ciboltz, Argy, et Leucée et bien qu'ils aient au début décidés d'explorer Hurtebize de façon sérieuse, pour essayer de comprendre leur situation, ils avaient très vite finis par se comporter en touristes, regardant tout autour d'eux avec émerveillement, et essayant de se souvenir de tout.

- Essayons de rester un peu plus discrets, quand même, chuchota Ciboltz aux autre. On est tout de même censés connaître cette ville. 

- Oui, j'essaie d'ailleurs de me faire un plan mental de la cité, dit Argy, mais avec toutes ces ruelles et les ces qui vont « tout droit en zig-zag », je crois que je vais vit en perdre complètement mon latin. 

- Moi aussi. À vrai dire, je n'ai aucune idée d'où on est maintenant. 

Les trois comparses était arrivés sur une vaste place ou se déroulait un marché bigarré, et ou grouillait une foule compacte et affairée. Ils essayèrent de se frayer un chemin au travers des marchands et de leurs clients, qui se mélangeait joyeusement en une logique qui échappait totalement aux trois terriens. Ils finirent pas se retrouver acculés à un étal d'où s'échappait une délicieuse odeur de pâtisserie.

- Regardez tout ça, dit Leucée. Ça a l'air trop bon !  

- Ma foi, c'est vrai que j'en ai l'eau à la bouche, dit Argy. 

- Vous voulez goûter, mes seigneurs ? fit une vendeuse gironde, aux joues bien roses, avec un franc sourire.

- Comment se nomment ces spécialités ?

La vendeuse désigna de la main. les deux types de pâtisseries présentes en plus grande quantité que les autres,

- Celles-ci sont des des brioches aux tillacs et là, ce sont des croquants aux lussonoys. Ce sont les deux fiertés de notre ville. 

Les trois terriens acceptèrent avec joie la proposition de la vendeuse de goûter les gâteaux. Sans surprise, ils s'avérèrent délicieux. 

- On va en prendre cinq dipsodes de chaque. 

- Pas de problème ! Vous allez vous régaler.

Une fois servis, Ciboltz sortit trois pièces de sa bourse de cuir et paya les gâteaux. Puis tous trois jouèrent des coudes dans la foule pour rejoindre un petit square ou les manger, assis sur la margelle d'une fontaine. Les gâteaux étaient excellents et furent dévorés plus vite qu'ils ne l'auraient voulus. Les brioches au tillacs étaient bien moelleuse, avec de gros morceaux de fruits. Tous trois avaient découvert récemment le goût très parfumé du tillac, rappelant vaguement celui de la pomme, mais avec  une pointe de bergamote qui le rendait très exotique. Quant aux lussonoys, malgré leur apparence de pistaches violettes, il avaient une saveur qui ne ressemblait à aucune de celle que l'on pouvait trouver sur Terre. Une fois le festin terminé, Leucée finit par prendre la parole.

- Tout à l'air paisible et prospère ici, je comprends qu'ils aient du mal à appréhender l'idée d'un complot.

- Il faudrait quand même que l'on rassemble plus de renseignements sur la façon dont tourne leur société, dit Ciboltz. Comment font-ils pour qu'il n'y ait pas de pauvres ici ? Si on regarde l'histoire de notre Terre, on ne voit pas trop comment une telle situation peut être possible.

- Oui. Ça ne vas pas être facile de comprendre les motivations de ces conspirateurs. Déjà les gens de ce monde ont du mal, alors nous.

- Au contraire, peut-être que notre point de vue extérieur nous permettra de comprendre plus rapidement.

- Ce serait bien pratique. Mais je suis encore un peu sceptique.

Ils continuèrent leur balade, qui ne pouvait plus guère s'appeler une exploration. Ils avaient décidé de mettre de coté leurs préoccupations pour profiter de la ville, de son architecture étonnante et de ses jardins exubérants. Ils étaient désormais près du centre de la cité, ou se trouvait un grand bâtiment, ressemblant fortement à un palais. Situé sur une sorte de colline, il dominait toute la cité volante, et ils apprirent que c'était la demeure du gouverneur de la ville.  

Il était constitué d'un grand nombre de corps de bâtiments, tous de la même couleur blanc crème, éparpillés à flanc de colline, et dont aucun n'était au même niveau qu'un autre. De loin, l'ensemble semblait être disposé selon un plan précis et ordonné, conférant un impression d'harmonie et de symétrie. Mais vu de près, on avait au contraire l'impression d'un ordonnancement chaotique, comme si chaque partie avait été placée au hasard, sans tenir compte de ce qu'il y avait à coté. De façon surprenante, ni l'esthétique ni l'harmonie du bâtiment n'en souffrait, et cet aspect aléatoire ne faisait au final que renforcer la beauté du palais, en surprenant le visiteur qui venait pour la première fois 

Au centre du palais, le corps de bâtiment situé au niveau le plus haut était surmonté d'une grande coupole, elle même couronné son sommet par un grand mât, faisant comme une aiguille dressée vers le ciel pour le percer. Tout autour, à divers intervalles se trouvaient sept tours effilés, dont l'aspect était à mi-chemin entre un minaret oriental et une tour de guet de château-fort moyenâgeux. De nombreuses terrasses, des balcons, ainsi que des escaliers formait un labyrinthe complexe reliant les différentes parties du palais. La végétation n'était pas en reste, et de nombreuses plantes : arbres, buissons ou fleurs, étaient visibles. On entrevoyait également l'existence de plusieurs patios, qui devaient constituer autant d'oasis intérieures. 

Après avoir tourné tout autour du plais pour l'admirer, les trois terriens commençaient à avoir faim. Les gâteaux du marché étaient désormais bien loin et ils commencèrent à chercher un endroit ou manger. 

- C'est impressionnant le nombre d'auberges, de bars et de restaurants que l'on croise, dit Leucée.  Comment on choisit ?

- Bhaa... Elles ont toutes l'air très attractives. Je propose de laisser jouer le hasard, répondit Ciboltz.  

- Hein, ? Ne me dis pas que tu veux jouer à pile ou face... 

- Exact, Argy. 

Et joignant le geste à la parole, il sortir une pièce de sa poche et la lança en l'air. 

- Face on va à gauche, pile on va à droite. 

- Ça va quand même prendre un certain temps, avec cette méthode. 

- Pile !

- Mais non, pas tant que ça... 

Et Ciboltz continua tranquillement à lancer sa pièce en l'air, divisant en deux le nombre de destinations possibles à chaque coup. Et en effet, il arriva relativement vite à une décision. 

- Nous allons aller ici ! dit il en pointant un restaurant assez petit, mais d'allure tout aussi accueillante que les autres, voire plus. Situé sur une petite place, une agréable odeur d'épices en émanait. 

- Comme tu veux, de toute façon, celui-là ou un autre... 

Ils venaient à peine de rentrer dans le restaurant choisi, quand ils entendirent une explosion, puis un bruit sourd derrière eux, et enfin plusieurs cris venant de la foule. Se retournant, ils virent un corps étalé au milieu de la chaussée, à l'endroit précis ou le groupe se trouvait quelque secondes plus tôt. Ils était entouré de débris, dont une multitude d'éclats de verre de toute taille. L'homme ne bougeait plus, et était visiblement mort, tué, sur le coup. 

Sans perdre une seconde, les réflexes d'Officiers de Leucée et Argy se déclenchèrent, sous les yeux quelque peu stupéfaits de Ciboltz qui essayait encore de comprendre ce qu'il se passait. Tandis que Leucée se précipitait sur le corps de l'inconnu pour tenter de le ranimer si par miracle il était encore vivant, ou constater sa mort dans le cas contraire. Argy scruta des yeux la façade au-dessus de lui pour voir d'où il venait. Ce n'était pas très difficile : une fenêtre du troisième étage était totalement éventrée. Mais aucun suspect n'était visible par le trou béant.  

- Quelqu'un a-t-il vu ce qui s'est passé ? Qui connaît cet homme ?

- Je le reconnais... C'est horrible, c'est M. Tithymalle. L'explosion a eu lieu chez lui. Je suis un de ces voisins. 

- Accompagnez-moi chez lui, alors. Ciboltz, reste avec Leucée, et regroupez ensemble les témoins. 

- OK, fit ce dernier. 

Il vit disparaître Argy avec son témoin dans le hall de l'immeuble. Sans perdre de temps, tous deux montèrent à toute vitesse jusqu'au troisième étage. Tout avait l'air étrangement calme et normal sur le palier. Bien entendu, la porte de l'appartement de M. Tithymalle était fermée à clé. 

- Il y a quelqu'un ? Ouvrez, au nom de la loi !

- Pas la peine, il vit seul. Je serais très étonné qu'il y ait quelqu'un à l'intérieur, et encore plus qu'on nous ouvre. 

- Pas le choix alors. Il faut enfoncer la porte. 

Et, sans hésiter un seul instant, Argy dégaina son épée et l'enfonça dans la serrure. Un rapide sortilège, et une petite explosion la transforma en poussière fine. D'un coup de pied, il poussa la porte, et entra dans l'appartement. Il passa alors les pièces en revue l'une après l'autre, prenant soin de ne laisser aucune trajectoire de fuite ouverte à quiconque se trouverait dans l'appartement. Ce qui ne fut pas forcément évident, vu la superficie importante du dit appartement. Mais il ne vit personne, caché ou non, et retourna dans le salon. En effet, trois pièces donnait sur la rue ou le corps gisait, mais c'était dans le salon que se trouvait la fenêtre éventrée. 

- Vous avez tout vu ? Est-il tombé avant, pendant, ou après la déflagration ?

- En même temps. C'est comme s'il s'était trouvé près de la fenêtre et que l'explosion l'avait propulsée au travers. Il y a une petite table pour prendre le poyzar devant, en temps normal. 

Argy contempla les restes déchiquetés et carbonisés, de ce qui avait du être une grande porte-fenêtre. Elle possédait un petit rebord formant un balcon lilliputien. Mais aussi petit que fut ce rebord, il devait en effet être agréable de s'y savourer une bonne tasse de poyzar, tout en contemplant l'activité de la foule sur la place. 

- Visiblement, cette explosion n'avait rien de naturel. Ce ne peut pas être le gaz vu son emplacement. Et je ne pense pas que la chimie amusante ne faisait pas partie de ces passe-temps. 

- Absolument pas. C'était un banquier très respectable, pas un apprenti-sorcier. 

Argy lança un sort de détection, puis, réfléchissant tout haut, il dit :

- Il y a de forts résidus de magie de bataille. Mais personne ne se trouvait avec lui dans cet appartement. La porte était fermé de l'intérieur et toute personne fuyant par une fenêtre aurait été vue de la rue. Avec la foule qui regarde la façade en ce moment, personne n'aurait pu passer inaperçu. 

Argy nota cependant dans un coin de son esprit qu'un magicien doué en sortilèges d'invisibilité aurait pu passer. Mais c'était peu probable : quelqu'un maîtrisant un art aussi difficile devant une foule n'aurait pas tué quelqu'un de façon aussi voyante et peu élégante. C'était bel et bien un mystère. 

- Il est probable qu'il a reçu un colis piégé... C'est la seule hypothèse qui semble coller. Mais il va falloir trouver les preuves. 

Argy était penché sur les débris à peine reconnaissables de la table située devant la fenêtre. La magie qui avait été à l'oeuvre avait été précise et sans pitié. Les dégâts était impressionnants mais très concentré. À deux mètres de la fenêtre, le tapis n'était même pas roussi. 

- Je ne comprends pas, dit le voisin. M. Tithymalle est un banquier prospère et respectable. Je le connais assez bien, et je ne vois guère de raison pour justifier cet acte ignoble. 

- Pourtant il est impossible que ce soit un accident. Les résidus magiques sont une preuve indéniable. 

La police municipale arriva alors à ce moment, avec à leur tête un Officier du nom de Senege. Argy lui confia immédiatement ses constatations, et les conclusions qu'il en avait tiré. Senege, de son coté, l'informa que malgré les efforts de Leucée, M. Tithymalle était définitivement mort. Ils refirent ensemble le tour de l'appartement, vérifiant que rien n'avait été ignoré. Mais ce fut volontairement superficiel, pour ne pas gêner le travail des techniciens qui allaient passer après eux. 

- Je suis extrêmement préoccupé par ce nouveau cas, dit Senege. Vous venez à peine d'arriver ici, donc vous ne le savez probablement pas, mais nous avons déjà deux morts suspectes sur les bras dans cette cité. Et ceci en moins d'un mois, ce qui est hautement inhabituel. Une troisième mort suspecte, aussi violente qui plus est, c'est incompréhensible. 

- Je vous comprends bien. La seule explication possible est que ces trois mort sont reliées. Statistiquement, c'est impossible autrement. 

-Oui... 

Les deux hommes, ainsi que les policiers de Senege, quittèrent alors l'appartement avec le témoin, pour redescendre auprès du corps de l'infortuné. 

De son coté, Leucée et Ciboltz avaient eut fort à faire. M. Tithymalle bien que quasiment mort, semblait encore posséder quelques étincelles de vie. Leucée se précipita donc pour tenter de le sauver, où pour moins, obtenir quelques informations sur la raison de la terrible chute. Ciboltz, qui n'était même pas Officier, se retrouva donc seul avec la délicate mission de contenir la foule des curieux tout en empêchant les témoins éventuels de partir. 

- S'il vous plaît, laissez un peu d'espace. Il a besoin d'air. Quelqu'un d'autre a-t-il vu ce qu'il s'est passé ?

Bien qu'un peu débordé, il avait réussi à ce que Leucée ait assez d'espace pour exercer son art des sortilèges sur le quasi-défunt. À force d'acharnement, ce dernier finit par rouvrir les yeux. Il poussa un long gémissement rauque, tandis que ces globes oculaires semblaient vouloir sortir de ces orbites. Un gémissement rauque sortir de sa gorge et Leucée jura :

- Merde, il va me claquer entre les mains !

Elle voulut lancer un nouveau sortilège, mais le mourant lui saisit le bras, la regarda avec une expression de dément et tenta de dire quelque chose. Mais il avait bien trop de mal à articuler pour que ce soit intelligible. 

- N'essayez pas de parler, ça va faire empirer les choses. 

Sans l'écouter, il continua, et fut pris d'une effroyable quinte de toux. Du coin de l'oeil, elle vit des hommes en uniformes, mais elle ne se laissa pas distraire. Seul l'arrivée d'un autre guérisseur lui aurait servi à quelque chose. 

- C'est... Thwe euh eurk !. qui m'a poussé. Le père Siguire !

Puis il se tut, et son regard devient vitreux. 

- Non, c'est pas vrai !

Leucée essaya encore un sortilège, mais elle savait que c'était définitivement trop tard. Il n'y avait plus aucune chance de le ramener. Il était désormais bien trop loin. De rage et de frustration, elle se leva et donna un violent coup de pied dans un tonneau. Mais elle ne réussit qu'à se faire mal aux orteils. 

- J'y étais presque !

Elle regarda alors autour d'elle ce qui se passait, et vit que la police municipale avait remis de l'ordre dans la rue. Un cordon de sécurité entourait le lieu du drame, et la plupart des badauds avaient disparus. En revanche, une demi-douzaine de personnes, dont Ciboltz, étaient en train de décrire ce qui s'était passé, chacun occupant un policier. 

- Officier Leucée Consolde ? fit l'un d'entre-eux en se présentant. Dois-je comprendre que se malheureux n'as pas pu être ranimé. 

- Oui. Vous pouvez officiellement le marquer comme décédé. Merci de ne pas m'avoir dérangé dans mes tentatives. 

- C'était la moindre des choses. Je regrette que nous n'ayons pas eu un guérisseur avec nous. À deux, peut-être que quelque chose aurait pu être fait.  

- Avec des si... fit Leucée, trop épuisée pour les hypothèses stériles. J'ai essayé tout ce que j'ai pu. Mais au moins ai-je pu recueillir ses dernières paroles. 

- Ah ! Voilà quelque chose de diablement intéressant. 

- Si j'ai bien compris, il a voulu me dire que quelqu'un l'avait poussé. Un certain Père Séguire, mais ses paroles étaient à peine intelligibles . 

- Un ecclésiastique ? C'est plus qu'intriguant. 

- Je ne peux être sur de rien, tant il avait du mal à articuler. Mais c'est un indice précieux 

Quelques minute plus tard, Argy et l'Officier Senege sortait de l'immeuble. Leucée alla leur répéter ce qu'elle venait de dire au policier. 

- Tu es sure de toi ? demanda Argy, très intéressé. 

- Certaine, nom. Je ne suis pas sur d'avoir bien compris le nom qu'il a dit. Mais pour moi, il ne fait aucun doute qu'il savait qui l'a tué. 

- Voilà qui sera précieux lors de l'enquête, dit Senege. Il va falloir passer au cribles toutes ses connaissances, en particulier tout ecclésiastiques qu'il connaîtrait. 

- Es-tu sur qu'il n'y avait personne dans l'appartement quand l'explosion a eu lieu ? demanda Ciboltz. 

- Oui. Il n'y avait que deux issues possible pour lui : la fenêtre, ou la porte d'entrée de l'appartement. Dans les deux cas, il aurait du utiliser une magie de haut niveau pour nous passer sous le nez. Ce qui ne colle pas avec le reste. L'explosion a été efficace, mais bien trop brutale et destructrice. 

- Mmm... fit Leucée. Et si c'était justement pour nous embrouiller ? Un sortilège d'invisibilité ou de téléportation expliquerait beaucoup de chose. 

- Je n'ai détecté personne en arrivant, et aucune autre utilisation de magie que pour l'explosion. Je suis d'accord que certains ont des pouvoirs assez puissants dans ce domaine pour me berner. Mais dans ce cas pourquoi une telle mise en scène ?

- Tu as raison. Ta thèse du colis piégé semble plus probable. 

- Je pense la même chose, dit Senege. De toute façon, avec le rapport des techniciens, nous aurons vite la réponse à cette question. Le plus dur viendra après, quand il s'agira de découvrir qui aurait put lui en vouloir, et pourquoi. Quelque soit le moyen utilisé, nous devons découvrir qui l'a tué. 

- Et trouver le lien avec les deux autres meurtres... ajouta Argy, 

- Trois meurtres en même temps !  murmura Senege en levant les yeux au ciel. C'est du jamais vu, notre ville est si tranquille, civilisée

> !

Une heure plus tard, nos trois terriens étaient dans une salle de réunion du poste de police de Hurtebize, en compagnie de Senege ainsi que ses deux collègues en charge des deux autres enquêtes en cours. Malgré la taille de la cité, il n'y en avait en effet qu'un seul poste de police pour toute la cité, tant la criminalité était basse. Ce qui était d'ailleurs la norme dans le mondes des Aériens. La plupart du temps, c'était un endroit calme où les citoyens venaient régler de façon civilisée leurs différents devant un tiers impartial, c'est à dire un Officier, voire même un simple policier. Les enquêtes n'étaient certes pas inconnues ni rares, mais derrière les mystères de la cité sa cachaient en général des accidents ou des crimes passionnels, non des meurtres prémédités de sang froid. Avec pas moins de trois morts éminents suspectes durant le même mois, le lieu connaissait donc une effervescence inhabituelle, qui vira presque à l'affolement avec le retour de Senege. 

- Vous êtes sur que j'ai le droit d'être ici, demanda Ciboltz en entrant. Je ne suis ni Officier ni policier, moi. 

- Ne vous en faites pas, lui répondit l'Officier Senege. Nous sommes dans une situation difficile et vous nous avez déjà montré que vous pouviez rendre de précieux service. Étant donné que nous sommes surchargés, nous avons besoin de toutes les personnes disponibles. 

- Si je comprends bien, dit Ciboltz en souriant, vous me demandez de devenir auxiliaire temporaire ?

- Parfaitement. J'en ai déjà parlé en chemin avec vos deux amis, qui se portent garant. Ce n'est pas une obligation, bien entendu, il faut être volontaire pour un tel poste. En aucun cas je ne peux ni ne veux vous obliger à quoique ce soit. 

- Cela ne me gène aucunement. Après ce que j'ai vu tout à l'heure, il est normal que je réponde à mes devoirs de citoyens.  

En fait, les vraies raisons pour Ciboltz d'accepter n'était pas exactement le dévouement d'un citoyen modèle. Cette proposition l'arrangeait surtout pour pouvoir suivre Argy et Leucée un peu partout. Ils avaient sans doute la même idée en tête lorsqu'ils s'étaient portés garant pour lui. Ce statut lui serait sûrement utile pour leur propre enquête personnelle, sur leur raison de se trouver sur ce monde exotique. 

- Le Directeur Sébaste est en ligne, annonça Argy. 

Ciboltz se tourna vers le large écran où le supérieur des trois Officiers présents (et aussi de lui, maintenant qu'il était auxiliaire, songea-t-il), et vit effectivement la silhouette du Directeur. Sa jovialité habituelle, qu'il avait pu constater quand il était venu à bord de la maison de M. Sophrone, avait quelque peu disparue. Pas entièrement, mais son expression indiquait clairement qu'il était préoccupé. Ça n'augurait rien de bon. 

Une fois les salutations d'usage effectuée, Senege expliqua rapidement la situation. 

- Hmmmm. Je vois. C'est très préoccupant. Je ne pense pas que cette série de meurtres soit le résultat d'une coïncidence. Et il y a une possibilité très inquiétante que cette épidémie d'homicides soit lié à l'affaire que les Officiers Argy et Leucée viennent de résoudre. 

- Les deux tentatives de meurtre sur M. Sophrone ? demanda Senege. 

- Je vois que les nouvelles vont vite... dit le Directeur Sébaste, en grinçant légèrement des dents. C'est bien de cette tentative dont je parle, et de l'éventuel complot qui existerait derrière tous ces évènements. 

- Éventuel ? tiqua Argy. 

- Ne vous inquiétez pas. J'ai assez de preuves pour ne plus douter de son existence. Mais politiquement parlant, si je n'ajoute pas ce mot, je risque de perdre mon poste. 

- Malgré les preuves ? dit Ciboltz, estomaqué. Personne ne peut nier que le meurtre d'aujourd'hui était prémédité !

- Hélas oui. La pression politique est trop forte. 

- Que peut-on faire alors ?

- Prendre un ou des conspirateurs en flagrant délit. C'est la seule chose qui pourra faire éclater le tabou. Du moins je l'espères. C'est pour cette raison qu'aucun effort ne doit être épargné pour trouver les responsables de ces trois meurtres et les liens entre eux. 

- Quoi ? Mais comment va-t-on faire ? se plaignit aussitôt un des collègues de Senege. Nous sommes déjà débordés. 

- J'en suis parfaitement conscient, et je suis désolé de devoir vous demander tant. Mais c'est indispensable. Tous les Officiers et policiers de Hurtebize doivent faire passer ce problème en priorité. 

- Désirez-vous que nous réorganisions les équipes ? demanda Senege. 

- Non, inutile de rajouter encore un peu plus de désorganisation. Les deux équipes qui enquêtent déjà seront conservés, et une troisième équipe monté avec les effectifs restants. 

- Ne pensez-vous pas que trois enquêtes séparées vont nous ralentir ?

- Elles ne seront pas totalement séparées... 

Il se tourna alors vers Argy et Leucée leur dit :

- Vous deux, votre mission sera de faire une enquête transversale sur ces meurtres, en coopération avec les trois équipes de Hurtebize. Je suis désolé pour vos vacances. 

- Bhaaaa. Nous nous y attendions un peu. Nos vacances ne pouvaient durer encore très longtemps avec cette pluie de cadavres. 

La réunion terminée, tout le monde se mit au travail après un rapide repas. Leucée, Argy et Coldreau découvrirent alors vite que l'essentiel du travail d'enquêteur n'était guère palpitant : Il consistait à éplucher des tonnes de documents, aussi bien sur l'écran d'un ordinateur que sous forme papier. Ils y passèrent une bonne partie de l'après midi, et le soleil était couché depuis un moment lorsqu'ils rentrèrent à la maison volante de M. Sophrone. Ils se réunirent alors dans une chambre pour faire un point de leur situation. 

- Pour moi, expliqua Ciboltz, mes théories se confirment. Nous sommes là pour participer à une espèce de jeu de rôles cinglé organisé par je ne sais qui. 

- Aussi grotesque que cette idée soit, je commence à croire que c'est la bonne. 

- La façon dont notre mémoire déraille était déjà un élément sérieux dans ce sens. Mais voilà  que nous sommes impliqués dans une enquête policière qui sort totalement de l'ordinaire pour ce monde. S'il est si paisible qu'il en donne l'impression, nous sommes au bon moment au bon endroit pour vivre quelque chose de spécial. Ce n'est pas un hasard, je pense.

- Disons que nous acceptons cette hypothèse comme vraie, demanda Argy. Qui est le responsable, et pourquoi fait-il cela ? Avons-nous un moyen de rentrer en contact avec lui ?

- Difficile à dire, dit Ciboltz. On a déjà tant cherché la raison de notre présence ici, que si notre marionnettiste avait laissé des indices, volontairement ou non, on les aurait sûrement déjà trouvés. 

- Très bien trouvé, ce terme de marionnettiste. Et hélas, je pense que tu as raison. Rien ne nous indique qu'on puisse comprendre ses motivations ou le rencontrer. La seule chose qu'on soit sûr de pouvoir faire, c'est de jouer le jeu. 

- N'est ce pas baisser les bras un peu vite ? demanda Leucée. 

- Non, simplement du pragmatisme. Il faut jouer à fond notre rôle, puisque c'est la seule arme, le seul outil, à notre disposition. De toute façon, en aucun cas ça n'implique qu'on ne puisse continuer à ouvrir l'oeil pour comprendre la raison de notre présence ici. 

 La réunion ne dura guère plus longtemps, tous les trois étant épuisés par cette journée bien remplie, et ils se réfugièrent dans leurs lits respectifs où ils sombrèrent très vite dans le sommeil.

* * * 

À peine réveillé, Christophe se précipita sur son carnet de notes pour retranscrire ses souvenirs, qui se dissipaient déjà à une vitesse effrayante. Depuis quelques mois, il ne cessait de faire des rêves étranges. Ils n'étaient pas particulièrement plus longs ou plus clairs que d'habitude, ils n'étaient pas non plus lucides. La grande nouveauté, c'est qu'il avait découvert peu à peu qu'ils se suivaient de façon troublante, comme s'ils constituaient une seule et même histoire. Ce qui ne lui était jamais arrivé auparavant. Écrivant frénétiquement, il réussit à consigner une dizaine de lignes, mais pas plus. C'était déjà un bon résultat, comparé à certains jours, et un grand sourire se peignit sur son visage. Tous les matins, il avait l'impression d'oublier des milliers de détails en quelques secondes, mais petit à petit, il accumulait bel et bien des lignes et des lignes de texte, contenant de précieuses informations. 

Depuis que le phénomène était devenu incontestable, il s'était plongé dans l'étude des rêves, glanant ses information sur le net et dans divers livres sur le sujet. Il avait appris beaucoup sur les rêves, à travers les différentes disciplines qui les avaient étudiés, la biologie et la psychanalyse au premier rang. Il avait en conséquence commencé à consciencieusement noter ses souvenirs de rêves, sous forme de texte, de dessins et de plans. Et incontestablement, une cohérence sous-jacente ressortait. 

Depuis quelques jours, le souvenirs étaient de plus en plus précis, même si paradoxalement, ils semblaient un peu plus confus. Les lieux semblaient avoir changé, et certains personnages aussi. Mais il ne pouvait plus nier que quelque chose lui faisait faire des rêves tout à fait uniques. 

* * * 

Le lendemain, Ciboltz et ses deux compagnons, ne désirant pour rien au monde replonger dans les épais dossiers, avaient décidé d'un commun accord de partir sur le terrain. Les recherches de la veille n'avaient rien donné : pas le moindre point commun entre les trois victimes n'avaient émergé. L'idée était donc aujourd'hui de faire une comparaison des trois scènes de crime. En chemin, ils abordèrent le sujet de leurs rêves de la nuit. 

- Une fois réveillé sur Terre, je ne me souvient que d'une fraction de ce qui se passe ici. À ce train là, je ne suis pas près de comprendre que ce ne sont pas de simples rêves.  

- Calme-toi, dit Leucée en voyant dans quel état se mettait Ciboltz. Ce n'est pas en t'énervant ici que tu feras avancé les choses là-bas. 

- Je le sais bien ! Et c'est pour ça que je m'énerve. Mon moi réveillé est d'une balourdise incroyable. 

- Ne sois pas si dur avec toi-même, dit Argy. Pour ma part, la part de moi-même qui est à Paris est encore loin de soupçonner ce qui se passe. 

- Ça ne fait que quatre jours que tu es dans cette situation. C'est un peu normal. Mais moi, cela fait des semaines. Je ne comprends pas pourquoi on se souvient si bien de la Terre ici et si mal de cet endroit sur Terre. 

- Il n'empêche que la Terre m'apparaît presque irréelle quand je suis ici, remarqua Leucée. Et le sentiment est de plus en plus fort au fur et à mesure de la journée. Je ne me sens vraiment terrienne que le matin. 

- C'est la même chose pour moi, fit Argy. Et toi ?

- Oui, j'ai constaté ça aussi. D'ailleurs la Terre me paraît biens moins réelle maintenant que au moment de mon arrivée. C'est peut-être ce qui me fait paniquer. J'ai peur de ne plus pouvoir distinguer la réalité de ce monde. 

- Comme si on savait vraiment où est la réalité... 

Mais cette constatation amère de Leucée ne fit que l'énerver un peu plus.  

- Ne le provoque pas encore plus, s'il te plaît... lui murmura Argy à l'oreille. 

Cependant ils étaient arrivés devant la demeure de la première victime. C'était une petite maison situé dans une ruelle envahi de verdure. La maison elle-même, petite et coquette, était à mille lieues de l'idée que l'on pouvait se faire d'une scène de meurtre. Ils se firent connaître aux deux policiers qui gardait la maison, puis rentrèrent directement à l'intérieur, délaissant le jardin dans un premier temps. À l'intérieur, la maison semblait tout aussi ancienne et douillette, si ce n'est plus. 

- La victime était une femme âgée de 67 ans. Elle était assistante d'un professeur de littérature à l'Université, expliqua Ciboltz à haute voix. C'est la première victime de cette série, et on n'a pas pensé tout de suite à un meurtre. On... 

- Merci, tu es très utile, on a lu tout ça aussi hier, ironisa Leucée. 

- C'est juste pour se remettre dans l'ambiance... 

- Où son corps a-t-il été retrouvé ? demanda Argy. 

- Ah ! fit Ciboltz à Leucée. Tu vois bien que ce n'était pas inutile. Dans sa chambre, à l'étage. Au début on a cru à une mort naturelle, mais l'autopsie a révélé des traces de poison dans son sang. 

Ils montèrent donc inspecter les lieux, mais la visite devint assez vite frustrante. À l'évidence, les  policiers de la cité avaient bien fait leur travail, et tous les éléments intéressants avaient été dûment notés et classés dans leurs dossiers.

- Il doit forcément y avoir une faille quelque part, dit Leucée. S'ils étaient aussi efficaces que ça, les meurtriers seraient déjà dans une cellule. 

- La question est de savoir si on sera plus efficaces qu'eux, ajoura Ciboltz. Le seul avantage que je vois est de ne pas être originaire de ce monde. Peut-être que notre vision extérieure sera la clé de la compréhension de ce fichu mystère. 

- Le seul point commun entre les victimes est leur mode de vie, nota Leucée. Tous trois étaient célibataires et vivaient seuls. Mais c'est bien la seule chose qui les rapproche. Une secrétaire, un médecin, un banquier. Pas le même âge, pas les mêmes centres d'intérêts, pas les mêmes quartiers de la ville. Ils ne se connaissaient pas, et n'avaient aucune raison se se croiser au cours de leur vie quotidienne. Et les modes opératoires des meurtres sont très différents... 

Malgré l'absence de tout élément encourageant, ils continuèrent leur visite de la maison, depuis la cave jusqu'au grenier. Où plutôt l'inverse, puisque c'est précisément au sous-sol, entre les réserves de bois et de cageots de fruits, qu'ils finirent leur inspection. 

- Je pense qu'on a tout vu, dit Ciboltz. Il faut je crois le reconnaître qu'on a aucune formation d'enquêteur, excepté les polars qu'on a pu lire ou regarder à la télé. 

- J'ai quand même une idée qui me trotte dans la tête, dit Argy. J'ai bien envie d'essayer la magie. 

- La magie ? fit Leucée, stupéfaite. 

- Je n'ai aucune idée des capacité que j'ai dans ce domaine. Donc je dois essayer 

- C'est d'une logique... 

Argy se posta au milieu de la pièce et fit dans le vide dans son esprit. C'était la première fois qu'il essayait d'utiliser ses pouvoirs magiques de façon consciente. Il n'avait donc aucune idée de comment faire et de ses chances de réussite. La seule idée qu'il avait pour le moment était de puiser dans son instinct, priant pour que ses pouvoirs se manifestent aussi miraculeusement que les autres jours. Ciboltz et Leucée le regardèrent, mi-dubitatifs, mi-convaincus. Au bout d'un long moment, le sol se mit soudain à vibrer, et ils pensèrent quelques instants que Argy arrivait à ses fins. Mais cela ne dura pas; et il arrêta brusquement de ce concentrer, et toute vibration cessa. Il était en sueur et sa respiration était presque haletante.  

- Ça ne sert à rien. On n'ira nul part comme ça, dit-il, découragé. 

- Pourtant, il se passait quelque chose... dit Ciboltz. 

- Comment ça ? Vous avez senti vu chose se passer ?

- Ne me dis pas que tu n'as pas ressenti les... 

Ciboltz ne put jamais finir sa phrase. Toute une partie du sol de la pièce où ils étaient s'effondra sans prévenir, et ils furent entraînés avec, sans pouvoir se raccrocher à quoique ce soit. 

Toussant comme des malheureux à cause du nuage de poussière qui avait été soulevée par l'effondrement, les trois compagnons émergèrent péniblement de la pile de débris dans laquelle ils avaient fini. Couverts de gravats, ils se relevèrent et essayèrent de regarder autour d'eux. 

- On est où là ?

- Bonne question... 

Mais ils durent attendre un bon moment avec que le nuage de débris ne se dissipe assez pour que que la lumière en provenance de la cave, un étage plus haut, puisse éclaire le lieu où ils étaient. La pièce sécrète était visiblement de la même taille que la cave. Peu à peu , ils distinguèrent un bureau, des étagères remplies de livres et de paperasses, et plus intriguant, un cachot. 

- Tout va bien en bas ? fit une voix. 

C'était un des plantons de garde, qui venait voir ce que si se passait, alarmés par le bruit. 

- Oui, on est tous les trois sain et sauf. Mais appelez le poste de police. Ils doivent absolument voir ça. Et trouvez une échelle, qu'on puisse monter et descendre moins violemment... 

- A vos ordres !

Il disparut alors pour s'acquitter de ses ordres. Il ne dut pas avoir trop de mal à trouver une échelle, car à peine cinq minutes plus tard, il était de retour et disposait l'échelle, probablement trouvée dans le jardin, au bord du trou béant. Puis pour s'assurer que l'installation était solide, il les rejoignit dans la cave cachée. Leucée était précisément en train d'ouvrir la porte du cachot à coup de magie quand il arriva en bas de l'échelle. Assez curieux, il regarda en même temps que les trois Terriens. 

- Il a pas l'air en bonne santé, celui-là, fit Argy, réprimant un léger frisson. 

En effet, un cadavre à moitié momifié, enchaîné au mur, les regardait avec un sourire figé. Ils entendirent un bruit sourd derrière eux. Ils se retournèrent et virent que le policier était tombé dans les pommes. 

- Pas solides, les flics, dans ce monde, dit Argy. 

- Tu oublies encore que la violence est quasi-inexistante dans ce monde, dit Ciboltz. Sur Terre, entre le JT, les films, les jeux-vidéo et le reste, on est hélas habitué à voir tous un tas de trucs assez moches. Mais pas eux. 

- Quand même, c'est un policier, pas un citoyen lambda, dit Leucée. Et le cadavre d'hier n'a pas fait tant d'effet que ça. 

- Je sais pas, sans doute parce qu'il était plus frais... 

- C'est ignoble ce que tu dis... 

- Je sais, mais il faut s'y faire, comparé à eux on est un peu des barbares. 

Leucée et Argy voulurent protester, mais ils durent se rendre à l'évidence. Ils avaient trouvé la découverte macabre, mais pas plus que ça. Et ils n'avaient pas vraiment envie de savoir s'ils devaient leur sang-froid à leurs origines de Terriens ou à leurs rôles dans ce monde. 

Le temps que les renforts arrivent, ils avaient eu le temps de fouiller la pièce. Celui ou celle qui l'utilisaient étaient de toute évidence convaincu que personne ne pourrait la trouver, car les papiers les plus compromettants étaient bien en évidence sur le bureau, parfaitement classé. Nul code ne les rendaient indéchiffrables, et nul euphémisme abscons ne tentait de les faire passer pour autre chose que ce qu'ils étaient. Aussi quand toute une petite troupe de policiers encadré par l'Officier responsable de l'enquête sur le premier meurtre débarqua du commissariat pour voir la fameuse pièce secrète, Ciboltz et les autres eurent presque peur de leur montrer leur découvertes. Ça n'allait pas être facile pour eux d'admettre la vérité. La joie et l'excitation qui se peignait sur leurs visages ne faisaient qu'empirer les choses. 

- Jeter un sort de détection dans la cave ! dit l'Officier. Il fait être un peu fêlé pour faire une telle chose. Mais je suppose que cela signifie que quelqu'un de prudent et de raisonnable n'aurait jamais pu résoudre cette enquête... 

Argy grimaça à cette affirmation, mais l'Officier ne dit rien de plus, et il ne put apprendre en quoi exactement il avait été imprudent. Encore un mystère à résoudre. 

- Montrez-moi donc vos trouvailles. 

- Je ne sais pas si ça va vous plaire, dit Argy. Tenez. 

L'Officier prit les papiers qu'on lui tendait à se mit à les lire. Au fur et à mesure qu'il en prenait connaissance, son visage changea peu à peu de couleur, devenant blanc comme un linge. Il finit par s'asseoir, ou plutôt tomber, sur une chaise, bouleversé. 

- C'est impossible. Je refuse de croire que tout ceci ait un quelconque fond de vérité. 

- Quel intérêt de si bien cacher des papiers s'il s'agit d'une plaisanterie de mauvais goût ? demanda Leucée. Nous devons admettre que tout ceci est vrai pour la suite de l'enquête et chercher des confirmations. Nous n'avons pas le droit d'ignorer ces révélations. 

- Je suis hélas d'accord. Mais tout ceci doit rester le plus secret possible. Il est hors de question de montrer ces documents à qui que ce soit en dehors des nécessités de l'enquête. 

- Cela va de soi. 

Ils décidèrent donc, avant toute chose, de rassembler tous les papiers, et de les mettre sous scellés pour les envoyer au commissariat. Les simples policiers, n'ayant pas le droit de toucher aux secrets brûlants qui venaient de surgir, se virent cantonnés dans le rôle de coursiers, allant chercher des containers vides et les ramenant une fois remplis et scellés. Le travail fut assez pénible en raison de la poussière soulevés par les gravats, et ils furent soulagés quand la pièce fut vidée de tout document sensible. Après une dernière vérification, ils cédèrent la place aux techniciens, visiblement mécontents de devoir travailler sur une pièce qui avait été fouillé avant eux. Puis ils se dirigèrent sans attendre vers le commissariat. 

Une réunion de crise les y attendait sans surprise, et les deux autres Officiers de Hurtebize étaient déjà là lorsque Ciboltz et les autres arrivèrent. Le Directeur Sébaste en personne était arrivé quelques heures plus tôt. 

- Qu'avez-vous découvert, pour que nous ayons une réunion aussi tôt ?

- Ils sont incroyables, expliqua le collègue de Senege. Ils ont réussi à trouver une pièce caché en à peine quelque minutes, alors que nous avions fouillé minutieusement la maison !

- Je n'ai pas autant de mérite que vous le pensez, intervint Argy. C'est plutôt un mélange de chance et de folie passagère qui nous a permis de trouver cette pièce. Devant une situation aussi invraisemblable, j'ai agit de façon invraisemblable, c'est tout. 

- Notre seul tort serait d'avoir enquêté de façon sensée ? dit l'autre collège de Senege. Très diplomate de votre part. 

- Trêve de discussions, passons aux choses sérieuses, dit Leucée. Les documents que nous avons découverts dans la seconde cave sont de la plus haute gravité. En aucun cas leur contenu ne doit parvenir au grand public. Nous risquerions d'ébranler toute la société des Aériens. 

- Quelques sont donc ses révélations ?

- Il semblerait bien que... commença Argy. 

Il essaya de choisir biens ses mots, redoutant à l'avance les réactions de ses collègues. 

- ... ses papiers prouvent que l'absence presque totale du crime dans notre civilisation n'ait pas entièrement due à notre efficacité en tant que police. 

- Quoi ?

Il jeta un coup d'oeil en coin au Directeur Sébaste, qui avait l'air d'être le seul à ne pas être surpris. Son expression se voulait calme, mais une sorte d'accablement résigné semblait le hanter. 

- De toute évidence, ce travail de secrétaire n'était qu'une couverture. Elle faisait partie d'une organisation du nom de section π. Cette section suit le même but que les trente sections de la police, mais agit en secret, et, fait plus inquiétant, en toute autonomie. Bien entendu, avec de telles principes de base, cette section utilise des méthodes très spéciales, que ne pouvons ni le voulons employer.

- C'est impossible ! Vous délirez. 

- Hélas non. Les preuves sont sous vos yeux. 

- M. le Directeur, réagissez !

- Hélas... 

L'air grave et le teint livide du Directeur Sébaste arrêta d'un coup les protestations incrédules, tel le couperet de la guillotine. La salle de réunion fut plongé dans un silence pesant et glacé tandis qu'ils attendaient tous que le Directeur prenne la parole. 

- Je ne peux contredire ce qui vient d'être dit sans devenir malhonnête. Cela fait un moment que des rumeurs sur une telle organisation courent au sein du corps de Directeurs. La plupart d'entre-nous, moi y compris, écartions jusque-là une telle idée, comme totalement fantaisiste, le fruit des réflexions de quelques illuminés à la santé mentale défaillante. Mais les évènements récents ont fait vaciller mon scepticisme. Devant des documents aussi accablants, je ne peux que accepter comme réel l'existence de la section π. Les évènements récents deviennent compréhensible si on accepte cette existence.

- Mais si je comprend, bien, dit Senege, ce sont trois membres de cette organisation qui se font tuer. Comment de tels fantômes peuvent-ils être aussi vulnérables ?

- Nous devons, je suppose, admettre que leurs adversaires sont encore plus redoutables, dit Leucée avec amertume. 

- Ça ne me rassure guère... Avons-nous donc une idée sur l'identité de ces « adversaires redoutables » déterminés à détruire un pilier de notre civilisation ? Pilier dont nous ne connaissions même pas l'existence... 

- Pour l'instant non, hélas... Nous savons très peu de choses sur ces conspirateurs qui pour parvenir à leurs fins, semblent vouloir semer la discorde et le chaos sous toute ses formes chez nous. Les éléments recueillis auprès de personnes comme M. Sophrone ne nous pas permis d'aller bien loin. Ils sont très organisés, et ont une sérieuse dent contre nous. Le pire est sans doute que l'on ignore complètement les raisons qui les motivent à nous nuire. La confusion est telle que certains disent que ceux qui tirent les ficelles ne sont pas des Aériens... 

Au vu de la réactions des Officiers de Hurtebize, Sébaste regretta dans la seconde de s'être laissé aller à de telles confidences en dehors du cercle des Directeurs. Et puis, il aurait du au moins les préparer progressivement, et non enchaîner les révélations aussi brusquement. Hélais, il fallait bien l'avouer : Il n'était plus totalement maître de lui même quand on abordait les points les plus inquiétants de cette crise. 

- Mais c'est impensable ! s'exclamait violemment un Officier. Notre civilisation est-elle donc sur le point de s'écrouler ? Est-cela que vous sous-entendez ? Comment diable des membres des autres civilisations pourraient-ils venir chez nous ?

- Et pourquoi ? renchérit un autre. L'équilibre parfait a été atteint, et le cloisonnement strict de nos quatre sociétés est la base de la prospérité de chacune d'entre-elle. Seuls des fous voudraient détruire ce système. 

- Par pitié, fit Argy, pas encore cette histoire de folie ! Si les adversaires auxquels nous avons affaire étaient fous, nous les aurions déjà mis hors d'état de nuire. Ils ne seraient pas aussi efficaces et insaisissables !

- Je suis d'accord, continua Sébaste. Quelque soit leur origine, leur efficacité est la preuve qu'il ne sont pas de simples fous furieux. Probablement pas totalement saints d'esprits, certes. Mais assez lucides et intelligents pour réussir des actions sans laisser un seul indice. On ne peut les sous-estimer de la sorte. 

- Pour en revenir à leur origine, demanda Ciboltz, a-t-on idée si un changement brusque, une catastrophe, ou quelque chose du même genre, est survenue dans une des trois autres civilisations ? Cela expliquerait ces attaques irrationnelles contre la culture des Aériens. 

- Comment le saurions-nous ? Nous n'avons pas assez de contacts avec elles. Vous le savez bien. 

Un instant, Ciboltz se mordit la langue de sa maladresse. Mais il se reprit vite. 

- Je ne suis pas Officier. Je me disais peut-être que pour des raisons de police vous étiez mieux informés que les simples citoyens. 

- Hélas non, dit Sébaste. Mais vous avez raison, il aurait été utile d'avoir un système quelconque pour communiquer en cas de problème grave avec nos homologues des autres civilisation. Si nos adversaires sont réellement tels que nous le craignons, nous avons ici un point faible terriblement gênant. 

Sébaste constata avec un mélange de satisfaction et de soulagement que ses Officiers réagissait mieux à cet aveu qu'à la révélation qu'il avait fait un peu plus tôt. Ils avaient déjà accepté qu'une crise grave était en train de se dérouler. Ce n'allait sûrement pas être facile, mais ils allaient probablement se révéler assez efficace pour pouvoir se consacrer à cette crise. Dieu soit loué la capacité d'adaptation des humains. 

- Ils nous faut maintenant décider de nos prochaines actions. Si j'en crois ces papiers... 

Ce n'avait pas été facile de prendre connaissance de cette masse de papier rapidement en allant droit à l'essentiel, sans se noyer dans la détail. Mais l'efficacité, l'ordre (et aussi la confiance aveugle en leur  cachettes) de la section π l'avait grandement aidé.

- ... il reste un seul membre de la section π dans cette ville. Et pas n'importe qui. Il s'agit du responsable pour toute cette région.

- Envisagez-vous de le contacter ?

- En effet. Mais il est probable qu'avec les évènements actuels il redouble de prudence. Il n'est pas sur du tout que nous puissions le trouver avec les informations disponibles ici. Il a probablement changé toutes ses cachettes à l'heure actuelle. 

- Et concernant les responsable du complot. ?

- C'est sans doute le plus décevant dans ses papiers, ils ne parlent absolument pas de la crise actuelle. Nous avons beaucoup d'information sur plusieurs crises mineures qu'ils ont résolus récemment, mais rien sur ce qui se passe aujourd'hui. Je ne vais sans doute pas vous surprendre si je vous dis que notre priorité va être désormais de chercher des pièces secrètes chez les deux autres victimes. Nous devons à tout prix trouver une piste sur le vrai problème. 

Un murmure d'approbation parcourut l'assemblée. Malgré la gravité de la situation et la menace qui pesait, ce début de piste, au combien faible, était une importante lueur d'espoir. Le moral des Officiers était enfin en train de remonter un peu, après plusieurs journées noires d'improductivité. Le Directeur Sébaste partit donc quelque peu rassuré de cette réunion. La crise était grave, mais la police était belle et bien en train de la résoudre. 

Les Officiers et policiers se mirent donc de nouveau au travail, avec diverses tâches longues, méthodiques, peu gratifiantes, mais indispensables et efficaces. Il ne fallut cependant pas attendre bien longtemps pour qu'ils soient interrompus par un nouvel évènement. Ciboltz, Argy et Leucée étaient en train de chercher une pièce secrète dans la maison de la seconde victime quand la nouvelle tomba. Des combats avaient lieux dans la partie ouest de la cité, tout prêt du rebord. 

- Des combats ? dit quelqu'un. C'est impossible ! On ne se bat pas entre aériens !

La situation fut au début quelque peu confuse. On parla d'émeutes, puis d'une attaque sur des policiers, avant que de vraies informations tombent enfin. 

- Il n'y a que trois personnes qui se battent, mais ce sont de puissants magiciens. Les dégâts qu'ils commettent commencent à devenir considérables, expliquait Senege dans la radio. Tous les Officiers ont ordre de venir pour que l'on puisse faire cesser les combats. On n'arrive absolument pas à les maîtriser pour le moment. Ils ont déjà envoyé un Officier et deux policiers au tapis sans qu'ils aient été gênés dans leur combats. Je suis en route mais vous êtes les plus proches, dépêchez-vous. À ce train là, ils vont démolir tout le quartier. 

Les trois Terriens réquisitionnèrent donc un petit glisseur rapide qui les amena rapidement  sur la scène des combats. Ils furent effectivement les premiers Officiers à arriver sur place, si on exceptait celui qui avait été déjà gravement blessé. Cependant, une surprise les attendaient.

- Détrompez-moi si je suis dans l'erreur, dit Ciboltz tout en essayant de suivre les combattants aux jumelles. C'est le fameux responsable de la section π qui est en train de se battre là. Celui qu'on ne savait comment le localiser.

- Exactement. L'identité de ses deux adversaires n'est donc pas difficile à deviner. 

- Au moins on sait sur qui taper en priorité... 

Trois policiers quelques peu affolés, était en train de prendre soin des blessés, en particulier le seul Officier qui avait eu l'occasion d'essayer de stopper les combats. Il était gravement blessé, mais conscient, et il les accueillit avec un soulagement plus que visible. 

- Je suppose que c'est à nous d'agir, et tout de suite, fit Argy à ses deux compagnons, à mi-voix. Si on attend des renforts, la moitié de la ville sera détruite. 

- Tu as une idée de comment les arrêter ? murmura Leucée, un brin sarcastique. Regarde ce qu'ils  ont fait à notre collègue.

- Si ça se trouve vous avez les mêmes pouvoirs et talents de spadassins magiques que ceux-là... dit Ciboltz. 

 Il n'osait pas trop en parler, mais il réfléchissait à toute allure depuis qu'ils étaient arrivés. Que ce soit dans la course-poursuite du premier jour, ou dans le rapide combat du second jour, les deux terriens Officiers, ainsi que leurs adversaires, avaient fait preuves de pouvoirs magiques bien réels, mais en définitive assez limités. Sinon Argy n'aurait pas eu à crapahuter sur les toits, mais il aurait arrêté le premier assassin en quelques secondes. Quant au second assassin, ils l'avaient certes neutralisé très rapidement et avec un professionnalisme remarquable, mais d'un autre côté c'était un assassin improvisé et incompétent. Personne n'avait trouvé ces évènements anormaux, en particulier le Directeur Sébaste. Ils en avaient tous les trois conclu que c'était un échantillon assez représentatif de leur capacité en matière de combat et de magie.

Mais le combat qui se déroulait sous ses yeux remettait tout ceci sérieusement en question. Leucée et Argy étaient bien loin d'avoir fait étalage d'une telle puissance et d'une telle habileté jusqu'à présent. Les trois combattants sautaient d'un promontoire à un autre, volant presque, tout en échangeant des jets de sortilèges et des attaques à l'épée à une vitesse impressionnante. Ce qui expliquait les destructions qui s'accumulaient tout autour des combattants. Il ne faisaitt sait nul doute qu'une seule fraction de seconde d'inattention dans un tel combat était mortel. 

- Ne dit pas n'importe quoi... rétorqua Leucée, ce qui découragea Ciboltz encore un peu plus de leur confier ses spéculations. On est loin d'avoir montré de tels pouvoirs 

- Et pourquoi pas ? dit Argy. Je vais me lancer, on verra bien. 

- Hein ? Tu délires !

Il dégaina sa longue et fine épée, ferma les yeux, et se concentra. C'était le moment ou jamais de tester son niveau réel en matière de combat et de magie. Ciboltz le regardait avec un très grand intérêt, assez curieux et anxieux de découvrir l'étendue exacte des pouvoirs magiques de son compagnon. Avec un profond soulagement, Argy sentit en lui remonter des souvenirs venus d'on en sait où. Il savait parfaitement se servir de cette épée, et il connaissait des sorts offensifs destructeurs. Une détermination et une certitude rassurante s'emparait de son corps, à un niveau presque effrayant. Il était de taille à affronter ses adversaires, et il allait encore découvrir une nouvelle partie des compétences cachées qu'il possédait dans ce monde. 

Sans prévenir, un cercle magique d'un bleu lumineux apparut sous les pieds de Argy, formée d'un pentagramme, d'un bordure constituée de deux cercles concentriques, et de tout un tas de runes et de décorations secondaires qui transformait en fouillis difficile à déchiffrer le dessin de base assez simple. Puis il fit un bond prodigieux qui le mit à la hauteur d'un des deux conspirateurs supposés. Il ne savait pas trop si c'était bien lui qui maniait son épée pour combattre ou le contraire, mais il frappa son adversaire avec une intensité surprenante. L'épée semblait saturée d'énergie magique, au point de flamboyer comme si elle était en feu. Mais ni sa couleur ni son comportement n'était celui d'un feu normal L'inconnu fut complètement pris par surprise, et Argy put l'envoyer dans le décor du premier coup. Il percuta un mur, rebondit et tomba par terre. Mais malgré son vol plané, l'inconnu lui même ne semblait pas plus diminué que ça. Il devait avoir un quelconque moyen de protection magique, car il se releva très vite alors que tout humain normal aurait eu eu la colonne vertébrale pulvérisée. Seul un filet de sang perlait à la commissure droite de sa bouche. Argy, flottant dans les airs, le contemplait en contrebas, et avait du coup une vue imprenable sur son expression mauvaise. 

- Encore un Officier ? fit-il. Je déteste les gêneurs. Prépare-toi à subir le même sort que ton prédécesseur. 

Il prit une position martiale, tenant son épée au dessus de lui, presque à l'horizontale, et dirigée vers Argy, avant de bondir pour foncer sur lui à une vitesse encore plus surprenante que précédemment. Argy eut tout juste le temps de parer, mais fut projeté en arrière de quelques mètres. Le visage de son adversaire était à peine à quelques centimètres du sien. 

- Tu te défends mieux que l'autre. Mais tu ne fais pas le poids contre moi. 

- Tu parles trop, se contenta de répondre Argy. 

Il se mirent à enchaîner diverses attaques et contre-attaques, mêlant subtilement escrime et magie à chaque coup. Argy ne cherchait plus trop à comprendre ce qui se passait et s'en remettait complètement à son instinct, qui ne semblait pas vouloir le trahir pour le moment.  

- J'y vais, fit à son tour Leucée. 

- Hein ? fit Ciboltz 

- Les renforts sont toujours loin. Je m'occupe de l'autre, sinon on ne s'en sortira pas. 

Et dégainant son épée, elle l'activa puis décolla de la même façon que Argy, après avoir fait apparaître un cercle magique à la fois très semblable, mais subtilement différent de celui d'Argy. 

- Putain c'est trop génial cette histoire de fou... murmura Ciboltz, en essayant de suivre le combat. 

Il avait déjà eut du mal à suivre Argy et son adversaire, tant ils allaient vite, zigzaguant dans le ciel et entre les bâtiments, quand ils ne passaient pas à travers en soulevant un nuage de poussière opaque. Mais avec l'entrée de Leucée dans la danse, cela devenait strictement impossible. Il cessa donc de suivre les évolutions de Argy pour voir comment Leucée s'en sortait. Sans se soucier de principes, elle attaqua l'autre inconnu par derrière, tandis qu'il était occupé à se battre avec le responsable de la section π. Mais il devait avoir des yeux derrière la tête, car il réussit à parer son attaque d'un coup d'épée, sans même se retourner. L'autre essaya d'en profiter pour se faufiler dans une ouverture, mais le conspirateur était loin d'être un novice. Il ne sembla pas s'inquiéter un seul instant de se retrouver avec deux adversaires, un de chaque coté et commença sur le champ à les combattre simultanément. Il avait matérialisé une seconde épée et, sans jamais baisser sa garde, il s'employa à les faire reculer.

- C'est incroyable, fit un des policiers. Ces deux là ont réussi à envoyer un Officier au tapis, et même à deux contre trois, on dirait qu'ils ont le dessus. Mais qui sont-ils, merde ?

- Oui, c'est très préoccupant, dit Ciboltz. Toujours pas de nouvelles des renforts ?

- Ils ne sont plus très loin, mais vu la violence des combats, ils risquent d'arriver trop tard. 

- C'est bien ce qui me fait peur. 

Au même moment, comme pour confirmer ses craintes, il vit que Argy était en train de mordre la poussière. 

- Et merde !

Devant lui, il vit l'épée de l'Officier qui avait été blessé. Ce dernier, dont il ne connaissait même pas le nom, venait d'être évacué, mais son arme était resté là où elle était tombée sans que personne ne s'en occupe. Il la contempla un moment, jouant avec l'idée de la prendre. Il mourrait de curiosité de vérifier s'il n'avait pas des capacité équivalentes de ses deux amis Officiers. Mais il fallait rester réaliste... 

Se tournant de nouveau vers les combats, il vit que Argy s'était relevé et combattait toujours avec fougue, lançant sortilège sur sortilège. Son niveau dans cet art se révélait plus impressionnant encore que ce qu'il avait vu en arrivant. Non seulement il maîtrisait parfaitement la magie offensive, mais il enchaînait les feintes avec virtuosité pour prendre en surprise son adversaire. Ciboltz reprit donc espoir en voyant cela : Lentement, mais sûrement, Argy était en train de prendre l'avantage.  

Mais en se tournant vers Leucée, il vit que cette dernière se battait désormais seule. Le responsable de la section π était à terre, visiblement inconscient, ou pire, mort. Sans hésiter ni perdre une seconde, Ciboltz courut vers lui pour lui porter secours. Les policiers, le remarquant à leur tour se précipitèrent derrière lui pour l'aider.

- Il est encore vivant, constata Ciboltz.  

- On s'occupe de lui, dit un policier. 

Ciboltz s'écarta, laissant le blessé entre les mains de quelqu'un de plus compétent que lui en matière de premiers secours. Mais il resta néanmoins juste à côté, au cas où il reprenait conscience et pouvait parler. 

- Il a une chance de s'en sortir ?

- Il est en très sale état, mais je pense qu'on peut le sauver. La majeure partie de ces blessures viennent de sa dernière chute. À première vue, je dirait que l'autre l'a battu à l'usure, en l'épuisant, pas en le blessant gravement. 

- Il revient à lui. 

- N'essayez pas de vous relever. Vous êtes trop gravement blessé.  

- Il faut... absolument... balbutia le blessé. 

- N'essayez pas non plus de parler !

Mais le moribond semblait ne pas se soucier du peu de vie qui lui restait, et continua d'essayer de parler malgré son état. 

- Il faut... les stopper... sinon.. 

Il se tourna alors vers Ciboltz, et dans un dernier élan, avec une force dont on ne l'aurait pas cru capable, il lui agrippa un bras. Il le regarda droit dans les yeux, avec une expression qui glaça littéralement le sang de Ciboltz. 

- Stoppez-les ! Ils vont tous nous détruire !

Le regard de Ciboltz dériva alors à nouveau vers l'épée, se demandant ce qu'il devait faire. Où plus exactement, ce qu'il pouvait faire. Il était normal que des Officiers sachent se battre, même si les méthodes de combat de ce mode étaient pour le moins exotique. Mais, lui, en revanche, pour autant qu'il le sache, n'était qu'un civil, un simple ingénieur. Il doutait donc fortement d'avoir le niveau de ses deux compagnons, si tant était qu'il eut un quelconque niveau en matière de combat, que ce soit la partie escrime ou la partie magie. 

- Moi ?

- Oui ! Vous ! Votre soeur m'a dit le plus grand bien de... 

Mais à ce moment là, il retomba inconscient, voire mort. Ciboltz était trop bouleversé pour entendre ce que les policiers disaient. Il saisit enfin l'épée, et quand sa main se referma sur la garde, un sentiment de certitude le saisit. De toute évidence, il était plus qu'un simple ingénieur. Sinon la dernière remarque du mourant n'aurait pas eu de sens. Tous les doutes qui l'étreignaient quelques secondes plus tôt. 

- J'y vais, dit-il, sans se préoccuper de savoir si quelqu'un l'écoutait. 

Argy était le plus proche de lui, et visiblement le plus en difficulté. Il fondit sur son adversaire au moment ou celui-ci allait toucher Argy. Il n'aurait pas pu tomber à un meilleur moment, même s'il avait mûrement réfléchi sur le moment et la façon de se jeter dans la bagarre, au lieu de foncer sans réfléchir. Son épée transperça l'épaule du criminel, ressortant devant sous la clavicule. Il lança une décharge d'énergie magique, qui pulvérisa les os les plus proches, et fissura l'omoplate. Leur propriétaire hurla de douleur, mais ne put se dégager. Il était cloué comme un papillon. 

- Vas-y Argy !

Ciboltz s'écarta pour laisser Argy achever leur adversaire, mais ce fut une erreur. Le conspirateur reprit soudain du poil de la bête, s'arracha à l'emprise de l'épée de Ciboltz, et s'éloigna rapidement pour se mettre à l'abri. 

- Et merde. Ça va Argy ?

- Un peu crevé, répondit-il en soufflant comme un phoque. Mais je pense que ça va aller. Il faut l'empêcher de fuir. 

- Il est encore plus crevé que toi, il ne va pouvoir aller bien loin. Mais je suis d'accord, il faut en finir au plus vite. Qui sait ce qu'il peut encore sortir de son sac ?

Cependant, l'adversaire de Leucée venait lui aussi d'opérer une petite retraite stratégique, rejoignant son complice. Ils étaient de toute évidence dans un sale pétrin. L'avantage numérique dont ils disposaient au début s'était inversé, et ils combattaient depuis maintenant un moment, ce qui  avait épuisé une grande partie de leur énergie.

- Il vont sans doute tenter de s'enfuir, dit Leucée. Il ne faut pas les laisser faire, notre enquête en dépend !

Ils se déployèrent alors en triangle, prenant en tenaille les deux criminels, puis fondirent sur eux, leurs épées pointées en avant. Les deux conspirateurs dressèrent alors une barrière magique pour les stopper. Mais ils n'avaient plus assez de force pour maintenir longtemps un tel sortilège. Les trois terriens découvrirent vite que ce n'était qu'une ruse pour les ralentir. 

- Ils s'échappent par le haut. 

Ils continuèrent alors la poursuite, mais de façon plus désordonnée, ce qui laissait du temps aux autres pour contre-attaquer. En particulier, ils commencèrent à lancer derrière eux de petits sortilèges explosifs, de toute évidence pour les ralentir et les désorienter. Dès qu'une ouverture se présentaient, ils revenaient à la charge, et les trois compagnons avaient bien du mal à se défendre quand ils ne savaient pas où se trouvaient leurs adversaires. 

- Argy, cria Leucée. Prend de l'altitude et éloigne-toi pour avoir une vue globale. 

- Quoi ?

- Comme ça tu pourras nous indiquer où ils sont quand on les perds de vue. 

- OK !

Argy accepta la proposition de Leucée, bien conscient que ses blessures commençaient à se faire sentir. Et il s'avéra que l'idée de Leucée était fort judicieuse. Il commença à guider ses compagnons, quand il aperçut soudain que des renforts arrivaient. C'était Senege accompagné d'un autre Officier et de plusieurs policiers. Les deux conspirateurs les virent aussi, et comprirent qu'ils étaient dans un sale pétrin. Leurs chances de victoire réduisaient comme neige au soleil. Une grosse explosion retentit alors, bien plus puissante que toutes les précédentes 

- Et merde, je vois plus rien. 

De toute évidence, ils avaient tenté le tout pour le tout, et balancé un sort plus puissant pour tenter de s'échapper. 

- Ils sont là ! cria Argy, quand il aperçu deux silhouettes quittant à toute allure la scène. 

Il fonça à leur poursuite mais les deux diables allaient à une vitesse étonnante quand on considérait qu'ils avaient semblé être épuisés. Leucée et Ciboltz, ayant entendu le cri de Argy, se lancèrent sur ses traces. Senege, lui semblait hésiter entre rétablir l'ordre dans la zone des combats et les suivre. Il finit par décider que les policiers pouvait s'en charger, leur donna rapidement des ordres et se lança lui aussi dans la poursuite, mais avec quelques précieuses secondes de retard. 

Après avoir cheminé dans tout un dédale de cours, de rues et de ruelles, Ciboltz déboucha sur un grand espace découvert. Il se demanda d'abord où il était, avant de comprendre qu'il était arrivé au bord de la cité. Un large boulevard planté en faisait le tour, et plusieurs pontons de pierre ou de bois saillait de la cité, surplombant le vide. Les deux fugitifs essayaient de toute évidence de trouver un esquif pour quitter la cité. Argy était à quelques mètres devant lui, et Leucée juste à ses côtés. 

- Arrêtez-vous ! hurlait-il en fonçant sur eux, l'épée brandie. 

Mais bien sûr, les deux fugitifs ne prirent même pas la peine de l'écouter. Il se précipitèrent sur un des pontons, visant de toute évidence un petit esquif se trouvant a son extrémité. Ce n'était pas le plus rapide ni le plus maniable en vue, mais il avait l'incomparable avantage d'être un modèle facile à démarrer, même quand on en n'était pas le propriétaire. Ce n'était certes pas un défaut de conception. Tout simplement ce genre d'esquif n'avait aucune raison d'attirer des voleurs en temps normal, en particulier dans un monde sans voleurs ou presque, comme celui des Aériens. 

Le combat repris au milieu du ponton, quand Argy les rattrapa, et réussit à les ralentir assez pour que Leucée et Ciboltz se jettent dans la mêlée. Senege était toujours un peu derrière et il était en train d'appeler des renforts aérien, ce qui le ralentissait un peu plus. 

Malgré les efforts conjugués des trois terriens, les deux fugitifs se rapprochaient toujours un peu plus de l'extrémité du ponton. L'un des deux finit par profiter alors d'un court moment de répit pour sauter dans l'esquif et se précipiter sur ses commandes. Les moteurs s'activèrent en ronronnant, tandis que l'autre conspirateur tenait à distance ses trois adversaires, faisant preuve d'un talent indéniable et d'une énergie insoupçonnée. Mais il ne pouvait durer bien longtemps. Il finit par s'effondrer sous les coups conjugués de Argy et Leucée tandis que Ciboltz sautait dans l'esquif pour empêcher son complice de démarrer. Mais il arriva avec quelques secondes de retard, et le petit aéronef s'écarta brusquement du ponton, arrachant ses amarres. Leucée, qui était sur la planche en bois entre le ponton et l'aéronef, n'eut que le temps de sauter à son bord, tandis que Argy restait sur le ponton sans avoir eu le temps de faire quoique ce soit. 

Le frêle esquif fonça d'abord droit devant, pour mettre le plus de distance possible entre lui et la cité, mais les renforts que Sénege avait demandé arrivèrent à point nommé. Ils lui bloquèrent la route et il dut faire demi-tour, fonçant  vers la cité, tout en regardant de toute part où s'enfuir. En même temps, il ne cessait de zigzaguer pour tenter de déloger les deux passagers indésirables qui se trouvaient à l'arrière. Ciboltz et Leucée durent donc se cramponner fermement, et ce ne fut que centimètre par centimètre qu'ils arrivèrent à hauteur du pilote, pour tenter de s'emparer de lui. Mais il donna un coup d'accélérateur brusque, ce qui envoya valdinguer les deux terriens. Leucée faillit même passer par dessus bord, et ne dut son salut qu'à ses réflexes, qui lui permirent de saisir un morceau de rambarde au dernier moment.

Mais du coup, le petit aéronef fonçait droit sur le ponton d'où il venait. Il plongea pour l'éviter, mais son pilote sentit une vibration sourde, et découvrit en se retournant, avec déplaisir, que Argy, jouant les casse-cou, avait sauté à son tour à bord. 

- Mais c'est pas vrai... Quelle bande de casse-couille !

- Tu ne peux plus aller nul part, lui dit Argy, tandis que Ciboltz aidait Leucée à remonter. Rends-toi. 

- Jamais de la vie, bande d'imbéciles. 

Et il accéléra de plus belle, mais cette fois-ci, il semblait avoir renoncé à fuir. Ce qui n'était guère rassurant, car les trois terriens comprirent très vite qu'il fonçait droit sur la muraille de la ville dans sa partie inférieure, là où elle commençait à s'incurver pour former le grand ovoïde qui formait la coque de la cité. 

- Et merde ! Il veut se suicider. 

Il ne zigzaguait plus, aussi les trois terriens purent-ils se jeter sur lui pour lui arracher les commandes. Mais il était déjà trop tard pour une manoeuvre. L'aéronef freina un tout petit peu, commença à virer de bord pour éviter la coque de la cité, mais ne put éviter la collision. Tout le coté tribord fut pulvérisée sous le choc, de morceaux de bois, de métal, de plastique et d'autre matériaux volèrent en tout sens. Les occupants sautèrent dans le vide pour éviter d'être broyés, tandis que les restes de l'aéronef se disloquaient progressivement. 

Ciboltz, Argy et Leucée n'avaient appris moins d'une heure plus tôt qu'ils avaient le pouvoir de voler. Aussi quand ils avait sauté dans le vide, ils avaient l'espoir raisonnable de pouvoir rejoindre un ponton ou tout autre appendice de la cité, voire un n'importe quel autre aéronef si c'était le refuge le plus proche. Aussi furent-ils profondément désappointé, le terme est faible, de découvrir qu'ils n'arrivaient plus à voler, dans une situation ou pourtant une telle capacité étaient bien plus utile que précédemment. 

- Merde, qu'est ce qui se passe ?

- Je sais pas !

- On doit être trop loin du sol... suggéra Ciboltz, et son explication lui glaça le sang. 

La cité ne cessait de s'éloigner, et il n'était pas raisonnable d'espérer qu'un des aéronefs de la cité les rattrape. De toute évidence, ils n'étaient pas assez maniable pour ça, et du point de vue des trois terriens, ils étaient soudain devenus aussi lents et pataud que des tortues. 

La vitesse de leur chute ne faisait qu'accélérer, et un vent de plus en plus fort les frappait. Ciboltz  ne cessait de fixer le sol de la vallée en dessous de lui, si loin, mais se rapprochant si vite. Sa vision se brouilla, puis tout devint noir, et il finit par perdre connaissance.

Creative Commons License
Ce texte est mis à disposition sous un contrat Creative Commons.