Les conséquences pour le téléchargeur

En l'état, le projet de loi est paradoxalement plutôt favorable au téléchargeur. Il risque moins qu'avant (38 ou 150 € d'amende) et ne pourra pas faire l'objet de perquisitions avec examen de son ordinateur, ou de garde à vue. En outre, avec les complexités du net, je doute fortement qu'on puisse prouver quoique ce soit de cette façon. Une IP n'est pas une preuve. Et comme en plus, se faire prendre, ça n'arrive qu'aux autres, et nul doute que les internautes vont télécharger autant, voire plus.

Mais que vont-ils télécharger ? Les propos du Ministre On surveillera les oeuvres m'ont fait imaginé une autre conséquence possible. Si la police surveille les oeuvres, elle le fera logiquement, par souci d'efficacité, sur celles qui ont le plus de chances d'être téléchargées : les hits de la musique et les blockbusters du cinéma. Ce qui ne peut que pousser les gens à télécharger des oeuvres moins connues, donc moins surveillées, pour augmenter encore un peu le sentiment d'impunité. Et peut-être vont-ils les apprécier plus que ce que le marketing effréné des Majors essaie de leur faire ingurgiter. Ces dernières ne vont pas aimer ça...

MTP, DRM et Interopérabilté

Les Mesures Techniques de Protection sont sanctifiés par la loi : 750€ pour en contourner une, 3750€ pour trouver comment, 30 000€ et 6 mois de prison pour dire comment. Voilà qui parait bien lourd, et promet d'enchaîner encore plus les utilisateurs d'Appel Music Store à leur iPod. Oui mais... Grâce à un retournement de situation de dernière minute, il est légitime de les contourner pour des raisons d'intéropérabilité. Hors, l'intéropérabilité c'est en autre la possibilité de lire son morceau de musique farci au DRM et acheté légalement sur n'importe quel appareil, y compris un appareil ne gérant pas les DRM... En clair, on a le droit de convertir tout morceau de musique farci aux DRM en mp3 normal pour le lire sur un baladeur MP3 ne lisant pas les DRM.

Sauf à farcir toute la chaîne numérique de DRM obligatoires, et à interdire tout appareil ou fichier sans DRM, un DRM intéropérable est un DRM inefficace. D'ailleurs, comme j'en ai déjà parlé ici, le seul objectif réel et crédible des DRM est de bloquer l'interopérabilité, pour s'assurer un monopole ou des parts de marchés stable, via une clientèle captive. Le DRM est l'ultime avatar du standard propriétaire, son chant du cygne. Dans ces conditions, il ne serait pas étonnant que, comme certains le pensent, Apple se retire du marché français.

La loi n'aurait jamais du se mêler des DRM. C'est une affaire qui ne regarde que le vendeur et l'acheteur. Lorsqu'on dézonne un lecteur de DVD, ou qu'on installe un firmware non officiel sur un lecteur MP3, on ne perd que la garantie. De quel droit cela serait-il différent avec les DRM ?

L'exception du droit à l'exception du droit de l'exception à la copie privée (ou quelque chose comme ça)

Déjà malmenée depuis quelque temps par les Majors, au mépris de la loi, via les DRM et les systèmes de Copy-Control, elle a été achevée par le gouvernement. Tout d'abord avec cette étrange idée de limiter le nombre de copies. Ce nombre limite peut-être simplement inconfortable (5) mais aussi franchement ridicule (0 !). Je n'ai rien contre la philosophie, mais me demander si 0 copie est encore de la copie, ce n'est pas ce que j'ai envie de faire quand j'achète un DVD.

Une seule certitude toutefois : la taxe sur la copie privée restera, et ne baissera sûrement pas. Ça va sans doute finir comme la vignette auto : un impôt de plus, dont plus personne ne se souvient du rôle original.

Le Collège des Médiateurs

J'ai bien du mal à comprendre l'intérêt de cette chose. Théoriquement, il s'agit de surveiller les MTP et les exceptions permettant de les contourner. Sacré programme en perspective. C'est sans doute un exemple flagrant de dispositif destiné à maintenir artificiellement dans le monde nouveau les habitudes de l'ancien. Une institution mort-née, sauf à changer radicalement de mission dans les années à venir.

L'Amendement Vivendi-Universal

Il aura fait couler beaucoup d'encre, avant, pendant, et après le vote de la loi. Dans sa version finale, il faut bien le dire, c'est la contradiction incarnée. Internautes, députés, experts en tout genre hurlent au naufrage annoncé, non sans raison. Les termes sont tellement flous et inadaptés à la réalité du net et du logiciel, libre ou non, qu'un juge pourra décider ce qu'il voudra. Avoir un très bon avocat sera donc un avantage décisif, d'où une insécurité importante pour les entreprises, en particulier les PME et celle produisant des Logiciels Libres. Exode massif de cerveau en vie.

La Licence Globale

Rejetée comme une idée complètement stupide, une fausse bonne idée, elle a fini par être abandonnée même par ses promoteurs, une fois que tout était perdu pour cette bataille. Mais à mon avis, elle finira par revenir. Pourquoi ? Parce que, comme je l'ai déjà dit, rien ne pourra stopper la copie massive à but non lucratif, que ce soit sur le net ou dans le monde physique. Il arrivera bien un moment où l'on sera forcé d'admettre qu'on doit légaliser le téléchargement à but non-lucratif, parce qu'il est rentré dans les moeurs et qu'il constitue un manque à gagner bien faible. Il faudra alors mettre en place des mesures pour intégrer cette pratique dans les revenus des artistes. La Licence Globale est une de ses mesures. Pour en savoir plus, voici la retranscription d'un chat avec Roberto Di Cosmo.

Conclusion

Le monde est étrange. Nombre de mécontents et de contestataires pourfendent le libéralisme, qui grignoterait notre société actuelle comme une hydre à multiples têtes. Mais force est de constater que ce n'est pas vers une libéralisation à outrance que l'on va, mais bien vers une sorte de néo-aristocratie avide de contrôle. DADVSI est un exemple flagrant de ce phénomène, mais aussi de pourquoi ça ne marchera pas. Les Majors ont beau disposer actuellement d'une puissance impressionnante, il leur faudra évoluer ou mourir.

Tout d'abord pour des raisons techniques. Le niveau de contrôle sans cesse plus grand qu'ils désirent est tout simplement impossible dans le monde joyeusement bordelique des réseaux numériques. Augmenter le contrôle revient à réduire l'ouverture du système. Ce qui n'est possible qu'à coup de rustines précaires, ou de reboot complet du net. Hypothèse peu probable, et de toute façon, de tout temps les système trop fermés ou trop propriétaires ont été un fiasco, Sony en sait quelque chose. L'avenir à long terme des DRM est très sombre pour elles, elles devront disparaître ou changer radicalement de concept.

Ensuite pour des raisons juridiques et légales. Dieu merci, nous sommes encore dans une démocratie, même si on peut parfois etre saisis d'un doute. Le Conseil Constitutionnel a encore des choses à dire, en particulier sur l'amendement 150 (Vivendi-Universal). Il y a encore de fortes chance de voir une loi plus réaliste et juste passer. Mais aussi les élections arrivent, qui peuvent très bien mettre au pouvoir un parti qui abrogera la loi.

DADVSI, plus qu'une défaite des internautes ou du Logiciel Libre, est avant tout un bordel sans nom, et un fiasco pour tous ceux qui sont impliqués dedans, y compris les Majors, les artistes et le gouvernement. C'est donc loin d'être fini...