Il est difficile de donner à nom à ces deux camps, tant les noms qui viennent immédiatement à l'esprit sont souvent connotés et peuvent donc mener à un incompréhension. Je vais donc décire les deux camps sans leur donner de nom.

Le premier camp

Ce sont ceux qui globalement, sont contre les DRM et l'industrialisation de la culture, les Majors, etc... Pour eux l'art, la culture et les idées en général sont des composantes fondamentales de l'humanité, porteuses d'émotions et de sentiments. Ils y tiennent et ne veulent pas voir les créateurs disparaître. Pour eux, défendre la culture, c'est :

  • Protéger les créateurs de talent, quelque soit ce talent.
  • Aider par tous les moyens la diffusion la plus large possible de toutes les créations.

C'est pour cela qu'ils sont pour la circulation libre des versions numériques et immatérielles des oeuvres et des idées. Déjà à travers des systèmes comme Creative Commons ou l'Open Source. Mais ils rêvent aussi d'un monde ou le droit d'auteur et le copyright seraient rééquilibrés. Avec, pourquoi pas, la légalisation de l'échange de fichiers informatiques protégés par le droit d'auteur. Après tout, des études très sérieuses (par exemple celle-ci, de l'Université Paris XI (laboratoire ADIS) et l'UFC-Que Choisir) prouvent que ces échanges n'ont pas d'impact mesurable sur les ventes.

Pour eux le système actuel qui permet aux créateurs d'avoir un revenu est malade. Ils rêvent donc d'un monde où les Majors de la musique, du cinéma et des logiciels seraient démantelés, où les créateurs seraient plus proches et plus authentiques. Ou les créateurs commerciaux formatées disparaîtraient. Où chaque amateur de culture pourraient avoir la noble tâche de mécène de ceux qu'ils apprécient. Où l'on paierait pour avoir accès à un bel objet, à un concert inoubliable, et pas pour un vulgaire fichier de qualité moyenne, de durée de vie limitée et d'utilisation restreinte. N'importe qui a le doit d'être mécène, mais n'importe qui a aussi le droit d'être créateur, professionnel ou non. L'émergence de phénomènes comme les ProAm ou le pronétariat s'inscrit parfaitement dans cette évolution de la société.

Pour eux, le créateur n'a pas un droit de propriété au sens stricte sur sa création, une fois divulguée publiquement. Il a des droits lui permettant de pouvoir vivre de sa création et de créer à nouveau, mais pas plus. Car le public a le droit de s'approprier ces créations, d'en faire une partie de soi. Par exemple en le partageant avec ses amis, sans avoir le souci de savoir si ces amis ont "le droit" d'en profiter. Mais aussi en créant quelque chose de nouveau sur cette base[1]. Car c'est ainsi que la culture augmente depuis des millénaires : en faisant du neuf avec du vieux.

Pour résumer : la culture est pour eux une fin, et les bénéfices un moyen parmi d'autres de la créer.

Le second camp

Pour eux, le monde tourne uniquement autour de l'économie, et pas n'importe laquelle, puisqu'il ne connaissent qu'un seul schéma. C'est la vision la plus simple (voire simpliste) de la loi de l'offre et de la demande. Il consiste à produire quelque chose le plus rare possible pour le vendre le plus cher possible et faire le plus de bénéfices possibles[2]. Pour ces gens, seuls les biens rivaux ont donc un intérêt. Au point qu'ils en oublient l'existence des biens non rivaux, et ne savent qu'en faire. Ils ne savent créer que de la rareté et en profiter. Ils ne savent que faire de l'abondance. M. le Ministre de la Culture n'est pas loin de l'avouer avec cette petite phrase : "trop d'interopérabilité nuit à la sécurité des mesures techniques".

Pour ces gens là, une culture accessible à tous nuit à la rareté, donc aux bénéfices, donc au système lui-même. Ils voient donc comme normal un système où la culture est réservé à une sélection de happy-few, car ce système protégerait de façon idéale la création. Et en plus, ils veulent en plus que ces élus accèdent à la culture de façon limité (dans les utilisations, et dans le temps). Leur obsession est de créer de la rareté à tout prix (DRM, logiciels propriétaires), car ce sont des marchands, pas des mécènes.

Pour ces gens là, le créateur a un droit de propriété totale et inconditionnelle sur sa création, même si elle est devenue une part intégrante de la culture d'une génération, d'un pays ou de l'humanité. La durée des droits d'auteurs ne sera jamais assez longue et il n'est pas normale qu'elle tombe un jour dans le domaine publique. Il n'est pas non plus normal que quelqu'un ose créer quelque chose à partir de cette création, ou alors uniquement en payant le plus cher possible.

Pour résumer : les bénéfices sont pour eux une fin, et la culture un moyen parmi d'autre d'en créer.

Conclusion

J'ai allégrement mélangé dans ce post culture, art, logiciels, idées... car je pense que malgré les différences existant entre chaque domaine, le problème de fond reste le même. Ces deux mondes que j'ai décrit existent partout, et les tenants du second veulent nous l'imposer à tout prix. Par exemple en nous ressortant pour la millième fois la comparaison entre télécharger (une musique, un film, un logiciel) via le P2P et voler dans un supermarché. Je suis exaspéré par cette confusion entre des biens matériels rivaux et biens immatériels non-rivaux, qui est tout simplement ridicule, comme le confirmera n'importe quel économiste honnète.

Bien sur, je me catalogue moi-même aisément dans la première catégorie, et je ne prétends pas à l'objectivité absolue, loin de là. Peut-être les tenants du second camp ont-ils raison. En un sens, ils ont raison et savent très bien défendre leur intérêts et leur vision du monde. Mais, plus je lis certains arguments du second camp, plus je les trouve, au choix : biaisés, déformés, incomplets, mal renseignés, voire carrément faux. Les arguments du premier camp ne sont toujours parfaits. Personne ne l'est et il est difficile d'appréhender tous les changements que vit notre société. Mais je reste un utopiste s'accrochant avec force à l'idée de progrès, malgré toutes les raisons qui existent pour douter de cet idéal. Pour cette raison, je reste fidèle à mes idéaux et je fais le choix moral d'appartenir au premier camp, et de le défendre.

La culture doit être un patrimoine commun de l'humanité, pas un bien commercial au même titre que des petits-pois. La création d'art, de culture et d'idées n'a pas les mêmes exigences que la production de légumes. Alors cessons un peu de vouloir faire de la même façon ces deux activités !

Notes

[1] l'exemple le plus frappant est pour moi les Anime Music Video (AMV). pour ceux qui ne connaissent pas, il s'agit de vidéo d'images d'anime associés à une musique. Les plus simples sont un simple montage en rythme, les plus complexes mélangent incrustations, lip-sych, effets spéciaux, etc... Certains AMV sont de petites merveilles : elles récrivent l'histoire d'une série, font se rencontrer des personnages de séries différentes, font danser les personnages d'une trentaine de séries au son de la même musique, créent une histoire originale ou encore constituent un délire expérimental... Le degré de maîtrise technique et d'inventivité les classe comme de magnifiques oeuvres d'art. Mais bien sur, aucune AMV n'est légale, puisque faites par des fans pour des fans. Aucune autorisation n'a été donné par les ayant-droits. Et la multiplicité des ayant-droits dans certains AMV rend de telles autorisations, a priori ou a posteriori, totalement improbable. Les AMV restent donc dans l'ombre, en priant pour qu'on les tolère. Un pan entier de l'art est donc interdit par les abus du droit d'auteur...

[2] Dans ce système, un bien est produit, et appartient totalement à celui qui l'a produit. Ce produit va être transporté, vendu et revendu, jusqu'à arriver à ce qu'on appelle le consommateur final. Qui bien entendu considérera en avoir la propriété totale. Ce système marche à merveille pour des biens matériels : des tomates, une voiture, une télé, un meuble, etc... Pourquoi ? Parce que ce sont des bien rivaux par nature. Si je donne une tomate à quelqu'un, je n'ai plus cette tomate. Mais là ou ça coince c'est quand on veut adopter ce système aux biens culturels, surtout s'ils sont immatériels. Car ils sont par nature non-rivaux. Quand je donne un MP3 à quelqu'un, j'ai toujours ce MP3. D'où leur besoin de créer artificiellement des biens rivaux grâce aux DRM. Mais créer de la rareté par ce biais est une illusion, qui finira par s'effondrer.